Le point sur la formation religieuse et la création des élites africaines - Par Bilal TALIDI

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Le Roi Mohammed VI à La Fondation Mohammed VI des oulémas africains, créée en 2015 et forte d’une trentaine de sections

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Dialogue social : Face aux fuites, parler vrai et dissiper les ambiguïtés -  Par Bilal TALIDI

Le discours du le Roi Mohammed VI à l’occasion du 47ème anniversaire de la Marche verte reflète l’image d’un Maroc qui a transcendé la logique de la réaction dans son traitement des développements que connaît la question de l’intégrité territoriale. Les contrecoups subis par le Maroc sur ce chapitre et la récurrence des manœuvres des adversaires de l’intégrité territoriale, en plus des exigences nouvelles et anciennes des alliances régionales et internationales, ont incité Royaume à élaborer une conception stratégique intégrant les dimensions politiques, diplomatiques, économiques, développementales et culturelles.

L’adoption de cette stratégie multidimensionnelle et intégrée indique que le Maroc a bien assimilé que la solution du différend autour de ses provinces du Sud ne se trouve pas aux Nations Unies en dépit de l’importance de la voie politique parrainée par l’organisation internationale. Mais sur le terrain à travers la réalisation du développement de la région, de l’amélioration des conditions de vie de ses habitants pour déjouer toute velléité séparatiste et rendre les populations de ces régions imperméables aux sirènes séparatistes. 

Le cadre naturel du Sahara

Sans s’attarder sur l’ensemble des dimensions de cette stratégie, il importe de noter que le Maroc a restitué la question du Sahara à son cadre naturel en se réappropriant sa profondeur africaine et en renouant avec la vision stratégique historique que l’Etat marocain a constamment privilégié dans la gestion de l’étendue géographique du pays. Elle rend toute solution possible à la question du Sahara tributaire de son incorporation dans son prolongement stratégique appréhendé comme espace de passage et de liaison avec la profondeur africaine du Royaume.

Il est, certes, important de se doter d’une planification à long terme pour renforcer les liens économiques du Maroc avec les pays de l’Afrique de l’ouest. Mais plus important encore est de bâtir ces liens sur une vision équilibrée de développement, adossée au principe du partenariat mutuel tel que le conçoit le Roi Mohammed VI, de gagnant-gagnant. Sans jamais toutefois se départir du devoir de précaution consistant à suivre attentivement les bouleversements de la donne politique. Les conjonctures internationales et régionales, outre la rivalité et les politiques agressives à l’encontre des choix du Maroc, menacent d’instabilité et d’inconstance les liens économiques et les dimensions de développement que le Royaume entretient avec les pays de l’Afrique de l’ouest, ou, du moins, en font des segments qui requièrent un redoublement d’efforts  et une vigilance de tout instant pour les accompagner et les immuniser, particulièrement pendant les heures difficiles lorsque ces pays font face à des crises aigues en termes de sécurité alimentaire et énergétique quand ce n’est pas de sécurité tout court. 

Donner corps à une indéfectible relation

Ces difficultés sont susceptibles de plonger certains pays dans des crises politico-économiques les contraignant à des changements de loyauté ou les exposant, sous l’effet des besoins pressants, aux pièges dressés par les ennemis de l’intégrité territoriale. D’où la nécessité de cimenter de toute part les relations du Maroc avec les pays de son continent, l’Afrique. 

Le retour à la diplomatie historique telle qu’incarnée par le comportement de l’Etat marocain ne répond pas uniquement au besoin stratégique du Maroc que constitue sa profondeur africaine. Il induit la nécessité d’apporter une réponse à une nécessité plus importante que le Royaume est en mesure de faire valoir pour surmonter les défis susceptibles de surgir des choix économiques limités, des bouleversements qui en découleraient ou des transformations régionales de nature à réduire l’efficacité des options disponibles.

Cette nécessité se rapporte à la création des élites africaines et au rôle scientifique, religieux et académique que le Maroc se doit de poursuivre et de consolider pour donner corps à ce besoin d’élites fondé sur l’indéfectibilité de la relation avec le Maroc. 

Les leviers disponibles

Par le passé, feu Hassan II a actionné le levier des élites africaines en l’inscrivant plus dans le cadre de la politique religieuse du Royaume, suivant une stratégie basée sur deux iliers : la formation des oulémas africains au Maroc et le maintien du Royaume comme une source spirituelle où les confréries soufies africaines puisent leur profondeur.

La zaouiya Tijania a joué son rôle dans le champ spirituel cependant que Dar El Hadith El Hassaniya assumait sa mission dans le domaine religieux, académique et scientifique. Les accords de coopération culturelle ont ouvert d’autres espaces pour la formation des élites africaines dans les universités marocaines, notamment dans les départements des sciences islamiques. En parallèle, le Maroc a mené dans son prolongement africain une politique religieuse basée essentiellement sur la construction des moquées dans les pays africains, avec tout ce que cela requiert en termes de création d’écoles d’enseignement originel, de formation des imams, d’impression du Saint Coran et de soutien à l’art de la calligraphie arabe.

Sans conteste, les résultats ont été probants. Cette politique a permis de former des élites africaines attachées au Maroc et convaincues de son rôle civilisationnel reliant le passé au présent, reconstituant dans le même élan la contribution historique du Royaume au rayonnement religieux. Les Causeries hassaniennes ont, de leur coté, constitué un moment fort de convergence de ces élites et de renforcement de leurs rapports avec le socle marocain.

La politique du Roi Mohammed VI, n’a pas dérogé à cette règle. Elle s’est fortement investie dans le renforcement des acquis, à travers le soutien de la dimension soufie et la construction et l’entretien des mosquées dans les pays de l’Afrique de l’ouest, tout en mettant l’accent davantage sur la formation des imams et des mourchidines.

Le variant terroriste

La différence est que la politique africaine actuelle du Maroc n’est pas exclusivement une réponse à la problématique de l’intégrité territoriale et à la contribution des élites africaines à son immunisation. Elle ne se limite pas non plus à la défense des intérêts vitaux du Royaume. Elle est également sinon plus en rapport avec une autre mission majeure, en l’occurrence la lutte contre le terrorisme et la pensée extrémiste que propagent les groupes armés affiliés à Al Qaida, Daesh voire Boko Haram.

Ce contexte mutant exige de tenir compte d’un changement important dans le lexique de la politique religieuse africaine du Maroc qui, désormais, met l’accent davantage sur la formation des imams et des mourchidines aux dépens de l’aspect scientifique et académique de formation des élites rattachées au Maroc et à ses choix théologique, doctrinaires et religieux. 

Dar El Hadith El Hassaniya, longtemps le noyau dur de cette orientation, a opéré une mue profonde en procédant au renouvellement des programmes d’enseignement des sciences religieuses, à travers la priorisation des langues étrangères et orientales et l’augmentation du volume des sciences sociales (sociologie, science comparée des religions, etc.), au risque d’impacter négativement le niveau d’apprentissage et d’enseignement des sciences religieuses. La renommée et l’aura de cette institution, initialement dédiée aux sciences religieuses (hadith, jurisprudence, fondamentaux, sciences du Coran, lectures et interprétations, finalités de la charia), ont régressé et le nombre des étudiants africains s’est rétréci en conséquence, du fait qu’elle ne répondait plus à l’objectif de formation académique et scientifique des élites africaines. 

Le rôle des sections des études islamiques dans les facultés a également connu le reflux sous l’effet conjugué de la politique du départ volontaire et de la vague des retraites ayant submergé les universités marocaines, ce qui a réduit le nombre des oulémas érudits en sciences religieuses. Il en a résulté que cette section ne répondait plus à l’objectif stratégique de création de nouvelles élites africaines liées au Maroc, à ses choix religieux et à son rayonnement ancestral.

La Fondation Mohammed VI des oulémas africains, créée en 2015 et forte d’une trentaine de sections, était censée assumer cette mission. Elle a cependant choisi la voie du raffermissement des liens entre les oulémas marocains et leurs pairs africains et de la réplique au défi intellectuel et religieux que représentent les groupes extrémistes, à travers la consécration des valeurs de tolérance, du vivre-ensemble et de modération dans les sociétés africaines en vue du développement global du continent. 

Les activités de cette Fondation dans les divers pays africains renseignent sur la mission de coopération et d’immunisation qu’elle assume, plus d’ailleurs que sur son rôle en matière de création des élites, depuis la formation jusqu’à la diplomation, en passant par la consécration des lauréats et l’occupation des chaires scientifiques.

Une nouvelle ‘’Qaraouiyine’’

La situation étant ce qu’elle est, il est sans doute temps de mettre en place une grande institution scientifique, à l’image de l’Université Al Qaraouiyine par le passé, dédiée aux élites africaines confiées à des titulaires de chaires scientifiques sélectionnés parmi les érudits en sciences religieuses, l’objectif étant d’en faire la plus grande université des étudiants africaine dans la sphère arabe.

Cela dit, il serait légitime de s’interroger sur les raisons de parier sur les sciences religieuses dans la création d’élites africaines rattachées au Maroc ? La réponse est que le champ religieux, contrairement aux autres disciplines, est le seul à même d’asseoir les fondements d’une loyauté pérenne.

La démonstration la plus éloquente de cette affirmation n’est autre que la politique africaine de la France. La francophonie, avec ses dimensions linguistique et culturelle aliénantes, n’a pas raffermi les liens de loyauté à l’égard de l’Hexagone, malgré la présence d’élites africaines plus francophones que les Français. Et en dépit de leurs études littéraires, scientifiques et techniques en France, elles sont aujourd’hui les premiers porteurs de la défiance envers la présence française en Afrique de l’ouest.

Il est vrai que l’exploitation économique et le recours de la France à un partenariat inéquitable peuvent expliquer ce ressentiment anti-français. Il n’en reste pas moins que face aux bouleversements internationaux et les crises qui ébranlent les structures économiques et mettent en péril la stabilité des gouvernements et des Etats, il ne suffit plus de bâtir la loyauté africaine uniquement sur la base des profits mutuels et de la vision gagnant-gagnant. Il est impératif et urgent de renforcer le segment de la coopération par la formation d’élites africaines armées de l’arsenal théologique nécessaires à la stabilisation de leurs rapports avec le Maroc. Une œuvre qui passe obligatoirement par un nouvel investissement conséquent et correctement pensé dans le champ religieux.

 

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