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LE TOURISME EN CLAIR- OBSCUR - Par Mustapha SEHIMI
Fatim-Zahra Ammor, ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire - La réserve à formuler regarde l'importance des compagnies low cost dans le total du nombre d'opérateurs qui a doublé avec 50 compagnies. ces vols drainent des visiteurs avec des budgets touristiques modestes qui les voient privilégier le logement surtout dans le secteur informel
Pour le département de tutelle, l'ambition affichée est claire : réinventer l'avenir touristique d'ici 2030. En d'autres termes, arriver à classer le Royaume dans le lot des vingt premières destinations mondiales.
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Une approche déjà déclinée dans la feuille de route 2023-2026 et devant se prolonger pour attirer 26 millions de visiteurs dans cinq ans. Des investissements de l'ordre de 50 milliards de dollars sont ainsi prévus pour des projets liés à la Coupe du monde, notamment dans des secteurs comme les infrastructures, les transports, les soins de santé et le tourisme. De l'ambition certes, mais reste les moyens de réaliser les objectifs fixés. A ce jour, la capacité litière est de 290.000 lits environ, soit pratiquement l'équivalent de 145.000 chambres; il est prévu 40.000 lits supplémentaires d'ici 2026 et quelque 200.000 autres lits ensuite pour un objectif de 400.000 en 2030.
Quel modèle économique ?
Reste l'interrogation sur la nature et la dimension du modèle économique à prioriser. Faire du chiffre ? Oui sans doute, c'est quantitatif, dira-t-on; mais qu'en est-il du qualitatif ? Ce qui fait référence, pour commencer à l'exigence d'un tourisme durable. Pour reprendre une formule connue, « une ville ou une destination qui n'est pas accueillante pour sa population ne l'est pas pour les touristes". Cela commande trois orientations liées entre elles: l'amélioration de l'infrastructure, la promotion et la régénération des zones enclavées et sinistrées, enfin la préservation du patrimoine culturel et naturel : autant de composantes du produit touristique. Des outils de contrôle de l'impact sur le développement d'un tourisme durable sont à mettre au point et à utiliser; des initiatives économes en ressources sont à entreprendre (consommation d'énergie et sources d'énergie renouvelables); conserver et préserver la biodiversité mais aussi le respect des écosystèmes terrestres.
L'ONMT a investi 2,7 milliards de dirhams (MMMDH) pour des programmes de promotion et de marketing élargis, au-delà des pays émetteurs traditionnels (France, Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne...), vers des marchés relevant d'autres latitudes considérées comme porteurs sinon potentiels. Mais qu'en est-il de l'efficience d'un tel investissement ? Tel professionnel explique qu'il y a lieu de s'interroger sur « le coût du touriste additionnel » (2024 par rapport à 2023). Il précise que sur la base d'un différentiel entre les deux années de l'ordre de 1.450.000 arrivées, aura dépensé un budget de 1.850 DH en promotion et marketing pour 1,8 jour, soit 1.000 DH par jour. Le compte pour une durée de séjour est-il bon ? Il est vrai qu'il faut cependant attendre plusieurs années pour amortir cet investissement et mieux appréhender son impact.
Un autre paramètre est à relever : celui de la balance touristique. Les prévisions de recettes en 2024 sont de l'ordre de 115 MMMDH et les dépenses de voyages des Marocains à l'étranger se situent à hauteur de 27 MMMDH. C'est donc un solde positif de 85 MMDH, un indicateur clé de la contribution du secteur touristique à l'économie nationale. Voilà bien un paramètre pertinent qui traduit l'attractivité du Maroc mais également la place des voyages dans la vie sociale des nationaux.
Agenda 2030
S'il faut relever le chiffre record des arrivées, c'est parce que c'est là 1'impact d'une politique multidimensionnelle : 1'importance du budget de promotion, les programmes marketing aussi sans oublier le gros effort du transport aérien avec la multiplication des dessertes notamment avec la compagnie RAM et d'autres low cost. La réserve à formuler regarde l'importance des compagnies low cost dans le total du nombre d'opérateurs qui a doublé avec 50 compagnies. L'offre enregistre une diversification accrue et partant une augmentation durable de la part des vols low cost. Or ces vols drainent des visiteurs avec des budgets touristiques modestes qui les voient privilégier le logement surtout dans le secteur informel (Airbnb,...). La loi 80-14 encadre et la réglementation des locations de cet courte durée, notamment les plateformes comme Airbn. Mais que fait-on pour assurer la conformité des hôtes aux normes légales (enregistrement, autorisations, normes de sécurité, limitation de la durée maximale de la durée de location à 120 jours, obligations fiscales...). Dans cette même ligne, comment ne pas évoquer la situation fiscale de grandes plateformes internationales (Booking, Expedia, Vrbo, Hôtels.com...) ou encore de vols d'hébergements et transports (Kayak, Skysaccer, Omio; FlixBus, Rentalcars.com) ? Des commissions abusives sont imposées aux opérateurs marocains pour faire des surprofits alors que tous ces groupes ne sont soumis à aucune imposition locale...
Une situation qui laisse perplexe ! Par ailleurs, le taux de retour des visiteurs étrangers non MRE est seulement de 2 alors qu'il est de plus du double en Égypte ou en Turquie...
L'agenda 2030 est une grande opportunité de développement de l'industrie touristique. Un portefeuille diversifié avec un positionnement unique, des programmes touristiques et des projets structurants, un plan national articulé autour de plans régionaux d'accompagnement et une nouvelle gouvernance nationale et régionale : voilà le challenge !