Lettre à M. Benkirane : Nos fillettes ne sont pas du ''pain chaud à peine sorti du four'' - Par Soukaïna Regragui

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Abdalilah Benkirane faisant du charme à l’animatrice de la cérémonie des prix Tamayuz pour la femme marocaine, Nouhad Senhaji, en mars 2015 à Casablanca

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Soukaïna Regragui est écrivaine et militante des droits humains. Cette lettre a été écrite au lendemain de la soumission au roi en mars 2024 des résultats des travaux de la commission chargée par le souverain d’élaborer un projet de réforme du Code de la Famille. Dans une de ses sorties, M. Benkirane, qui dans une autre vie avait comparer les femmes à des lustres, a cette fois-ci comparé les fillettes à marier à du « pain chaud ». Outrée, Mme Regragui s’est fendue de cette lettre qu’elle a gardée sous le coude, sachant que le débat sera long. Aujourd’hui, alors que la polémique autour de la Moudawana s’installe, elle a décidé de la publier.  

Monsieur Abdalilah Benkirane, 

Vous êtes indubitablement convaincu que par des sorties sur la scène publique, dont celle de mars dernier, à quelques jours de l’expiration du délai pour le rendu des propositions de l’instance chargée du pilotage de la révision de la moudawana, vous allez influer sur l’évolution du Code de la Famille ! Qui entendez-vous apeurer ? 

Des lignes rouges bien établies

Êtes-vous effrayé Monsieur Benkirane par un pays qui fonctionne dans la liberté d’expression et où de ce fait, toute citoyenne, tout citoyen a le droit de penser et d’exprimer ses opinions ? Ou ne sauriez-vous pas que dans une démocratie réelle, toutes les voix ont place. 

Les lignes rouges sont bien établies dans notre royaume : l’islam et la monarchie. Néanmoins, de quel islam parlez-vous quand vous parlez de la femme et de ses droits ? L’islamisme politique ou l’islam, religion de la dignité humaine, de l’équité, de la justice ? 

Sortez de votre torpeur Monsieur Benkirane car, entre ricanements et sanglots en vous adressant au digne peuple Marocain, vous laissez transparaitre votre frayeur devant un pays ancré dans une civilisation millénaire, qui, sans renoncer à ses acquis, continue d’œuvrer pour des droits justes et égalitaires.

Mais vous voilà comparant une fille à du pain chaud qu’il faut consommer avant qu’il ne refroidisse, ricanant en prononçant le qualificatif « chaud ».  

On ne le sait que trop, cela fait partie de votre mode de communication qui vous a d’ailleurs donné accès à la gouvernance, car, oui, vous aviez, dans une autre vie, séduit une frange de la population avide d’un nouveau style de communication, assoiffée d’un parler qui serait franc. 

Hélas pour vous, et tant mieux pour la communauté des Marocaines et des Marocains, ce style est vite tombé, comme retombe un soufflet, en désuétude. 

La femme n’est pas un lustre

Rendez-vous à l’évidence Monsieur Benkirane, votre style n’agit plus que sur vous-même et possiblement sur quelques-uns de votre famille politique. Vos discours populistes ont fait leurs temps. 

N’injuriez plus l’intelligence des citoyennes et des citoyens à votre guise, les femmes en particulier qui ne peuvent, malgré vos vœux, demeurer juste les lustres des maisons. 

Ne l’oubliez pas, les Marocaines et les Marocains vous ont largement désavoué, vous et le parti que vous représentez, dans une débâcle historique en ce mois de septembre 2021.

Consommer une fille, comme du pain chaud sorti du four a été une bourde supplémentaire à quelques jours du rendu des propositions du projet de refonte de la moudawana. Calmez-vous M. Benkirane, sur ce terrain comme sur bien d’autres, vous n’avez plus rien à prouver, même pas à vous-même. Sauf à vous enfoncer plus.

Votre ambition est de diviser la société marocaine, de mobiliser la rue et surtout, surtout, vous avez toujours faim, soif, de faire reparler de vous. L’arène politique, la scène publique, vous manquent. On peut le comprendre, mais pas sur le dos d’enfants, de filles, de fillettes, Monsieur Benkirane ! 

Vous voilà à nouveau, toutes voiles dehors, en guerre contre les restrictions au mariage prématuré des mineur-e-s, des enfants ! Vous voilà encore crachant votre venin comme à l’accoutumée sur ces femmes, ces hommes qui, selon vous, veulent occidentaliser le pays ! Sérieusement, qui pourrait selon vous occidentaliser une civilisation millénaire qui sans rien renier de son passé, ne renonce pas non plus à ses avancées majeures et ne se conçoit qu’allant de l’avant ! 

Et oui Monsieur Benkirane, prenez la mesure des acquis et du développement par étapes pour lesquelles œuvrent une monarchie séculaire et des citoyennes et citoyens épris d’égalité en droits et obligations, épris de justice et de dignité. 

Vous êtes dépassé Monsieur Benkirane. Vous êtes dépassé par un pays qui, clairement, dès son accession à l’indépendance a inscrit dès sa première constitution, celle du 7 décembre 1962, le choix clair de la démocratie et d’institutions modernes. 

Revisitez l’histoire politique du Royaume du Maroc Monsieur Benkirane ! Juste pour une mise au point : moderniser ne signifie aucunement occidentaliser. Pensez-y profondément, la tête froide et non surchauffée par des pulsions qui n’ont d’autres ambitions que de diviser les Marocaines et les Marocains, de hurler haut et fort à l’appel des ‘’vrais Marocains’’, vous arrogeant ainsi le droit de diviser les citoyens de ce pays en vrais et faux Marocains, comme s’il s’agissait d’ivraie et de bon grain.  

Non, Monsieur Benkirane, le Maroc est un, protégeant sous la vision éclairée de ses monarques contemporains, tous ses citoyens. Le Maroc a besoin de tous ses enfants sans nulle distinction ni de genre, ni autre. Il n’abandonne aucun de ses enfants à une protection qui vous dépasse, mais les confie à celle de la plus haute autorité de l’Etat, le monarque, la monarchie ciment du peuple. 

La faim ne justifie pas le mariage des fillettes

Cessez Monsieur Benkirane d’exploiter des conditions de vie d’une frange de la société et de tenter mobiliser contre « ces femmes sataniques » et ces « défenseurs des droits humains » qui veulent, affirmez-vous depuis des décennies, occidentaliser le pays. Dans vos perversités Monsieur Benkirane, vous ne cessez de crier à l’occasion de tout projet de réforme ou de refonte de la moudawana, que le mariage des mineur-e-s, en fait de fillettes doit être maintenu, car osez-vous argumenter, ce sont des bouches en moins à nourrir pour des familles.  A ce point, vous osiez et osez encore en cette année 2024, revendiquer le mariage des filles, des enfants en réalité, et alerter contre le risque de voir aboli ce droit de marier des filles, de retirer, dites-vous, cette opportunité de les sauver de la misère. 

Non, la faim ne saurait justifier le mariage des fillettes.

Ou auriez-vous plutôt la nostalgie des années 2000 qui ont justement impacté une évolution qui pouvait être autre s’agissant de la moudawana 2004, qui au cours de deux décennies de sa pratique, a démontré les dangers de ces exceptions introduites, permettant justement des mariages d’enfants avec toutes les conséquences désastreuses sur leur santé physique, mentale et leur devenir dans la société. Ces exceptions permettent à nombre de filles d’être mariées chaque année avec la bénédiction de juges, alors qu’elles sont encore des fillettes dans l’absolue candeur de leurs 13 ans, 14 ans, voire moins, fracassant leur innocence, brusquant leur enfance, et violentant leurs corps pour les livrer, et il est difficile de le souligner, à l’exploitations par des hommes ayant le double, le triple de leur âge et bien au-delà, des quinquagénaires et sexagénaires. 

Il n’y a pas de quoi s’enorgueillir. Car les violences à l’égard d’enfants, de femmes, sont criardes. Les statistiques livrées par la Présidence du Ministère Public pour l’année 2023 concernant les demandes d’autorisation de mariage des mineures, affichent que sur un total de 14.197 demandes déposées, 5.240 ont été rejetées, tandis que 8.452 ont été accordées. 

Des expressions tartuffiennes

La société civile reste et restera battante, pour agir face aux défaillances de l’Etat, et c’est le cas ans mariage dit de « mineur-e-s », expression tartuffienne pour éviter d’appeler les choses par leur nom : mariage d’enfants !

Qu’est-ce que ces voix d’obscurantistes, prétendant sauver des fillettes de leurs conditions de vie, de la pauvreté de leurs familles ne pouvant les nourrir ! Sacrifier des enfants au nom de défaillances étatiques et de la pauvreté est intolérable ! Cessez de manipuler la misère, Monsieur Benkirane, à des fins libidineuses ! La pauvreté est la responsabilité de l’Etat et donc de nous tous qui devons agir pour l’enrayer et non de lui sacrifier des filles, tandis que leur place est à l’école, au collège, au lycée et que leurs corps, leurs organes, leur mental, ne peuvent supporter ce qui leur est infligé par ce qu’il faut clairement nommer de la pédo-criminalité. Il n’est plus question de parler de pédophilie, car phyllie signifie en grec, amour. 

Chef de gouvernement et durant une décennie de gouvernance pjidiste, pourquoi n’aviez-vous pas œuvré pour l’Etat social et créé les conditions économiques, sociales, pour protéger des enfants, des filles en fait mariées de force, subissant des viols commis dans la « légalité » et « la bonne conscience » d’un mariage légal ? Entre ricanements et sanglots, qui ne manifestent que votre fragilité, cessez de porter atteinte à la dignité humaine. Après avoir comparé une fois un écrivain à un chien de compagnie, vous voilà comparant des enfants, des filles, à un pain chaud à déguster. 

Vous cherchez à impacter la mouture finale de la moudawana. Assurément Monsieur Benkirane. Votre projet est synonyme de recul, au mieux de stagnation.  A quand sortir d’un projet de destruction et s’investir dans un projet constructif, comme le soulignent tant et tant d’observateurs, d’observatrices de la vie publique ? 

Aux commandes de l’exécutif et représentant alors la deuxième personnalité de l’Etat Marocain, vous disiez avoir été nommé pour exécuter les projets royaux. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ! Rattrapez-vous alors et remettez-vous en question Monsieur Benkirane ! Il serait temps, le pays a fait une overdose de vos diatribes, vos injures, vos irréalismes. Sachez renoncer là où il se doit. Votre discours populiste a fait son temps, les Marocaines et les Marocains qu’il vous parait avoir séduit à jamais, vous ont lâché, vous lâchent. N’insultez pas leur intelligence. Ne jouez pas avec la pauvreté Monsieur Benkirane, et surtout pas sur le dos des enfants. 

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