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Maroc-Algérie : le duel entre l’offre globale et l'approche sécuritaire au Sahel – Par Bilal Talidi
Le Roi Mohammed VI recevant, le 24 décembre 2024 à Casablanca, le Président de la Mauritanie Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Après l’échec de Guergarate, l’Algérie travaille le verrou mauritanien pour isoler le Maroc du reste de l’Afrique. Les récents développements semblent contrarier cette stratégie.
Le magazine français Jeune Afrique a publié une analyse de la région du Sahel et la nouvelle confrontation entre le Maroc et l'Algérie, dans laquelle il a présenté des indicateurs et des arguments en faveur de la supériorité de l’approche soft du Maroc, tout en soulignant le recul de l’influence algérienne dans cette région.
Bien que de nombreux éléments de ces éléments de cette analyse soient pertinents, l'article a évalué les deux stratégies sous l'angle de leurs principales caractéristiques – à savoir, la sécurité contre le développement – mais a omis un élément important : les changements en cours dans la région et l'intelligence tactique et stratégique dans leur accompagnement.
En pratique, nous sommes face à deux approches différentes dans leur fonctionnement et dans leur rapport au temps. Le Maroc, en raison de sa décision de boycotter l’Organisation de l’unité africaine en 1984, n’a véritablement activé sa politique africaine de manière forte qu’avec l’avènement du roi Mohammed VI, qui a mis fin à la politique de la chaise vide. Le souverain a effectué plus de 25 visites dans des pays africains, que ce soit à l’ouest, à l’est, au sud ou au centre du continent, permettant à Rabat, grâce à cette dynamique, de conclure plus de mille accords de coopération dans divers domaines.
L’action de l’Algérie sur le continent africain a précédé cette dynamique. Elle a probablement été la principale bénéficiaire du retrait du Maroc de l’Organisation de l’unité africaine, tissant avec l’Afrique du Sud et le Nigeria un axe stratégique qui a influencé une partie importante de la politique africaine pendant plus d’un quart de siècle. Depuis le début des années 1990, l’Algérie a adopté une vision sécuritaire qui lui a permis d’établir une influence notable dans la région subsaharienne étant donné que la plupart des groupes jihadistes ayant infiltré la région des avatars de l’Algérie provenant du territoire algérien. De plus, elle a su exploiter habilement la question touarègue pour mener des dialogues politiques avec le gouvernement malien avant le coup d’État. Pendant deux décennies (1991-2010), elle s’est positionnée comme un médiateur clé dans la résolution des conflits au Sahel, notamment après la création, en 2010, d’un Comité d’état-major des opérations conjointes.
Mais ce terrain déserté par Rabat, va être progressivement et assidument réinvesti par le Maroc avec le roi Mohammed VI. Pour comprendre les raisons du succès de l’approche marocaine, il y a quatre déterminants essentiels, qui auraient dû être pris en compte dans l’analyse de Jeune Afrique,
Le basculement stratégique marocain vers l’Afrique
Le premier déterminent est la production par le Maroc d’une dynamique diplomatique active mobilisant les dimensions religieuses, sécuritaires, développementales, économiques et commerciales. Cela s’est traduit par un approfondissement des relations avec l’Afrique de l’Ouest, ainsi que par des percées significatives en Afrique de l’Est, australe et centrale, contribuant ainsi à désarticuler l’axe algéro-nigérian-sud-africain, notamment à travers l’établissement de relations stratégiques avec le Nigeria, et à renforcer le rôle régional central du Maroc dans la région du Sahel, particulièrement au Mali et au Burkina Faso.
La diplomatie marocaine s’est démarquée dans ce contexte par son intelligence dans la lecture et la réaction aux différentes évolutions. Le Maroc a su ainsi décliner des approches spécifiques à chaque développement. Un exemple en est l’attitude tempérée et modératrice de Rabat lorsque les gouvernements issus de coups d’État au Sahel se sont opposés à l’influence française. La position mesurée de Rabat lui a permis de maintenir de bonnes relations avec les nouveaux pouvoirs de ces Etats. En témoigne la réussite de la médiation du roi Mohammed VI pour la libération de quatre citoyens français retenus en otage au Burkina Faso à la fin de l’année 2024. En témoigne aussi la déclaration de Choguel Kokalla Maïga, Premier ministre malien, qui a salué le Maroc en le qualifiant de pays ami sur lequel le Mali peut compter pour poursuivre son processus de reconstruction et de stabilisation. En témoigne encore les relations privilégiées entre Rabat et Niamey où une centrale électrique, portant le nom Mohammed VI, a été récemment inaugurée.
Ces éléments soulignent la subtilité de l'approche marocaine, qui conjugue flexibilité tactique et vision stratégique globale dans son engagement avec la région du Sahel et au-delà, évitant également et soigneusement tout propos et toute posture de nature à vexer ses interlocuteurs subsahariens.
Les contextes internes ayant paralysé la diplomatie algérienne
Le deuxième déterminant concerne les contextes qui ont conduit au fil des ans la diplomatie algérienne à l’immobilisme et au repli. Ces contextes sont liés principalement à la situation intérieure, notamment : l’incapacité des différentes directions algériennes à s’émanciper d’une vision et d’une diplomatie fondées sur les agrégats de la guerre froide dans un monde devenu très mouvant, la guerre civile (1992 – 2000), le mouvement populaire algérien (Hirak) déclenché en 2019, les élections présidentielles de décembre 2019, le référendum sur la constitution en novembre 2020, ainsi que les élections législatives de 2021. Cette période a été marquée par des conflits entre les factions au sein du régime, qui l’ont empêché de présenter une politique extérieure choérente.
En parallèle, entre 2019 et 2022, le Maroc a connu l’une des phases les plus actives de sa diplomatie qui représente le couronnement de plus de deux décennies de déploiement. Cette période a été marquée par la résolution 2602 du Conseil de sécurité en 2021, que l'Algérie a vivement critiquée, accusant certaines puissances internationales de parti pris en faveur du Maroc. Durant cette même phase, les États-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara, tandis que l'Allemagne et l'Espagne ont exprimé leur soutien à l’initiative marocaine d’autonomie, avant d’être rejointes en 2024 par la France.
Les grandes transformations au Sahel et l’incapacité algérienne à s’y adapter
Le troisième déterminant est lié aux grandes transformations dans la région du Sahel au sud du Sahara, et à l’incapacité de la diplomatie algérienne à s’y adapter. Parmi ces transformations, on peut citer les coups d’État militaires au Mali (2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), qui ont entraîné des tensions dans les relations de l’Algérie avec le Mali et le Niger.
Avec le Mali, les tensions qui ont commencé en 2021, ont atteint des niveaux très tendus la semaine dernière, en raison du soutien de l’Algérie à des groupes qualifiés par les autorités maliennes de séparatistes.
Avec le Niger, les tensions ont éclaté après que les autorités algériennes ont expulsé des citoyens nigériens de leur territoire, dans des conditions portant atteinte à leur dignité et sans respecter les règles en vigueur. L’Algérie a tenté d’apaiser la situation et de rétablir les relations normales lors de la visite du Premier ministre nigérien, Ali Mahaman Lamine Zeine, en août 2024, et de sa rencontre avec le président Abdelmadjid Tebboune. Cependant, des indicateurs suggèrent que ces relations pourraient à nouveau se détériorer. La récente montée des tensions au Niger, liée aux attaques de groupes affiliés à Daech et Al-Qaïda, accroît le défi sécuritaire pour l’Algérie, qui fait face à de nouvelles vagues de migration clandestine. Ce risque a été souligné à plusieurs reprises par le magazine de l’armée algérienne, qui met en garde contre de graves menaces sécuritaires à la frontière sud du pays.
Les transformations stratégiques dans la région
Le quatrième déterminant est lié aux transformations stratégiques dans la région, dans lesquelles l’Algérie n’a pas su trouver sa place. Cela inclut les contradictions entre les intérêts américains et russes au Sahel, plaçant l’Algérie devant des choix cornéliens entre deux mauvaises options :
L’alignement sur la Russie : Cela pose deux problèmes majeurs pour l’Algérie :
- Sur le plan de la sécurité nationale, car la Russie soutient les autorités maliennes contre les Touaregs, alors que l’Algérie considère son soutien aux Touaregs comme une composante essentielle de son système de sécurité.
- Sur le plan diplomatique, s’aligner sur la Russie placerait l’Algérie en confrontation directe avec l’Occident, ce qu’elle tente d’éviter autant que possible, notamment en utilisant la carte de l’approvisionnement énergétique de l’Europe pour alléger les pressions américaines et européennes.
L’alignement sur les USA lui fait par ailleurs courir le double risque d’une relation rythmée par la suspicion, Alger étant marquée son passé aux cotés de Moscou, et de la perte totale de la confiance russe déjà malmenée par la substitution du gaz algérien au gaz russe suite à la guerre d’Ukraine, sachant que l’Algérie reste dépendante de la Russie pour son armement.
Sans oublier que sur le dossier libyen, la position algérienne diverge également de celle de la Russie. Tandis que l’Algérie considère le général Haftar comme une menace pour sa sécurité nationale depuis la frontière est, la Russie le voit comme un levier stratégique pour s’implanter dans la région du Sahel et y assurer un flux d’armes.
Un aveu implicite de l’échec algérien
Ces quatre déterminants, qui expliquent les avancées du Maroc et l’isolement de l’influence algérienne au Sahel, se sont vus consolidés par lancement par Rabat de l’initiative atlantique pour permettre aux pays du Sahel d’accéder à l’océan Atlantique. Une démarche qui contrarie au plus haut degré les desseins de l’Algérie la poussant à travailler à son avortement, notamment en essayant d’isoler la Mauritanie de cette initiative. Les récents développements semblent contrarier cette stratégie. La visite du président mauritanien au Maroc, sa rencontre avec le roi Mohammed VI, l’annonce conjointe de projets stratégiques renforçant les relations bilatérales, et la déclaration du palais royal sur l’adhésion de la Mauritanie à l’initiative atlantique, ainsi que le projet du gazoduc africain, ont placé l’Algérie dans une position difficile, avec peu d’options.
Et c’est à l’aune de ces développements que doit se faire la lecture du dernier discours du président algérien Abdelmadjid Tebboune devant les deux chambres du parlement algérien, appelant à renforcer le front intérieur et promettant de lancer un dialogue politique national, assorti des attaques habituelles contre le Maroc. Il reflète une prise de conscience de l’échec des politiques extérieures. D’habitude, le pouvoir algérien fait face à toute demande populaire de réforme politique ou de critique des politiques publiques en agitant l’agenda extérieur, souvent appuyé sur une mise en avant de la « force de l’armée » et on pourrait imaginer que l’appel à renforcer le front intérieur s’inscrit dans cette tradition.
Il n’en est rien. Le récent appel à renforcer le front intérieur ne vise pas tant à répondre à une demande de réforme du pouvoir politique, quand bien même elle est réelle et pressante, qu’à faire face à ce que le régime algérien perçoit comme des « dangers » extérieurs qu’il n’a pu ni su contenir par des moyens diplomatiques, incapable qu’il est à céder sur son fantasme «d’Etat pivot de la région », sachant pertinemment que le cas échéant, il perdrait le peu de crédibilité qui lui reste à l’intérieur.