Maroc – France : Éclairer l'histoire pour une transformation radicale du présent et de l'avenir – Par Abdelhamid Jmahri

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Le roi Mohammed VI accueillant à Rabat le président français Emmanuel Macron, le 28 octobre 2024

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Il est probable que de nombreux observateurs du discours du président français Emmanuel Macron devant le Parlement marocain lors de sa visite à Rabat (du 28 au 30 octobre dernier) n’ont pas accordé une attention particulière à son rappel de l’accord de La Celle-Saint-Cloud (novembre 1955) avec le roi Mohammed V que la France avait exilé en raison de ses positions nationalistes et de la politique coloniale française de son gouvernement, représenté par le ministre de l'Intérieur Antoine Pinay.

Le facteur temps a probablement estompé les effets cet accord ayant été signé il y a 70 ans, mettant ainsi fin à l'exil du roi et ouvrant la voie à l'indépendance du Maroc. Probablement encore que les jeunes parmi l’assistance n'ont pas saisi le lien entre cet accord et l'invitation du chef de l’État français au roi Mohammed VI à visiter la France pour établir un "nouveau cadre stratégique entre les deux pays". Ceux qui ont saisi la portée symbolique et connaissent les stigmates de l’histoire dans les relations entre les deux nations ont certainement réalisé que l'initiative de Macron n'était pas anodine, pas plus que la réponse positive du roi pour ouvrir la discussion. 

Des relations d'État à État et l'égalité de souveraineté

C’est que l'accord de La Celle-Saint-Cloud, signé par Mohammed V avec la France en 1955, a établi le principe d'une "indépendance dans l’interdépendance" plutôt en faveur de la France. Depuis, les relations ont oscillé entre la ferme volonté du Maroc de s'affirmer souverain et libre, et une France qui peine à se départir de son héritage colonial, considéré par une partie de son élite comme un prolongement de la pensée protectrice ou comme sa traduction.

La France doit faire preuve de davantage d’humilité en écoutant le Maroc, transformant son admiration pour le modèle marocain de réformes en positions concrètes et tangibles. La première manifestation de cet engagement vers un nouveau type de partenariat, tant en nature qu’en degré, est apparue dans la déclaration commune entre le roi Mohammed VI et le président Emmanuel Macron, un moment fort de la visite. La troisième partie de cette déclaration stipule que les efforts conjoints des deux pays sur les plans bilatéral et international continueront de se fonder sur des relations d'État à État, l'égalité de souveraineté, la non-ingérence dans les affaires intérieures et les choix de politique étrangère, le respect des engagements, la confiance, la transparence, la consultation préalable, et la solidarité et la responsabilité mutuelle.

C'est sans doute la première fois que le concept d'"égalité de souveraineté" est affirmé sans ambages, sans artifices rhétoriques dictés par l’ambiguïté politique. L'accueil général réservé à cette déclaration révèle que "Mohammed VI a déraciné les derniers vestiges de la mentalité coloniale de la France à l'égard du Maroc", ce qui devrait mettre les relations à l’abri des tensions intenses et récurrentes de ces trois dernières années, où Macron a tenté de s’adresser directement au peuple marocain après le séisme de septembre 2023, certaines élites françaises n'ayant pas hésité à poser la question provocante et dramatique de savoir si le Maroc pouvait surmonter les dégâts du séisme sans la France ?

L'omniprésence de l’histoire dans le discours du président devant le Parlement avec des références et des messages implicites et explicites englobant la philosophie, la littérature, le sport, la langue et la diplomatie commune entre les deux pays depuis des siècles, signifie la prise en compte du passé, tant il est devenu évident que ses éléments sont nécessaires pour façonner la nouvelle étape de la relation entre les deux nations qui envisagent désormais l'avenir sur deux bases : les principes fondateurs qui les unissent depuis 70 ans, pour mieux les dépasser, et les constantes qui structureront leurs relations sur leurs nouveaux fondements pour les trente prochaines années.

Évoquer la Celle-Saint-Cloud pour mieux la dépasser

La référence à La Celle-Saint-Cloud renvoie en fait à la doctrine des négociations d'indépendance, c'est-à-dire l'indépendance marocaine dans un cadre d’interdépendance. Dans cet accord, la France et le Maroc ont convenu de construire ensemble leur avenir solidaire sans ingérence extérieure, en affirmant leur souveraineté et en garantissant mutuellement leurs droits et ceux de leurs citoyens, tout en respectant le cadre instauré par les traités avec les puissances étrangères. Cet accord n’a pas toujours été équitable, entraînant parfois des déséquilibres, comme l'imposition de conditions pour la formation du premier gouvernement marocain.

L'auteur de ces lignes a souvent insisté dans divers articles, y compris dans "Al-Araby Al-Jadeed", sur la nécessité d'un changement radical vers un partenariat substituant la réciprocité à la philosophie de l'interdépendance en instituant l'égalité dans la construction de relations nouvelles pour solder ainsi les reliquats de l’accord de La Celle-Saint-Cloud. Dans le contexte de cette référence historique, il est question de poser les fondations d'une alternative ou de franchir une étape vers son dépassement. Dans cette œuvre de refondation, le Maroc verse de nouveaux éléments notamment :

- Une reconnaissance explicite par la France du leadership régional et continental du Maroc, qu’elle contestait parfois implicitement ou explicitement. La France doit désormais construire ses stratégies régionales, méditerranéennes, atlantiques, et avec l’ensemble du continent africain en tenant compte de cette nouvelle donne.

- Un nouveau dialogue politique que le Maroc souhaite porter au niveau de celui de Paris avec ses partenaires européens, en reconnaissant l'égalité de traitement avec son premier partenaire en Afrique du Nord, leader dans de nombreux secteurs. Pour le Maroc, il est important que la France, engagée à soutenir la reconnaissance de la souveraineté marocaine au niveau national et international, joue un rôle majeur dans la maturation d’une position européenne commune parmi ses partenaires européens, en rompant avec la mauvaise habitude des remises en cause menée tantôt au nom de la loi et tantôt au nom du Parlement européen.

- La France doit acquérir davantage de modestie dans son écoute du Maroc, en transformant son admiration pour le modèle marocain de réforme en positions concrètes et tangibles, comme l'a exprimé Étienne Girod, président du Club des investisseurs français en Afrique : "Les Français doivent désormais aller chez les Marocains pour s'inspirer de leur stratégie africaine". Cette démarche ne cache pas son ambition de construire une nouvelle réalité avec de nouvelles aspirations et intérêts.

- La France a également choisi de construire une relation aux contours clairs : aucun autre partenaire de la France n'est semblable au Maroc, et réciproquement. Divers facteurs concourent à ce projet commun, parmi lesquels l'interdépendance des souverainetés. Aujourd'hui, la France affirme sans détour qu’elle souhaite renforcer son tissu national et ses positions internationales pour consolider ses souverainetés économique, alimentaire et énergétique. C’est précisément ce que le roi avait déjà proclamé pour le Maroc peu après la pandémie de Covid-19, en des termes qui replacent la souveraineté au cœur des stratégies géopolitiques et remettent les nations au centre des relations internationales.

Au cœur de ces croisements se trouvent les enjeux africains, pour lesquels le Maroc porte un projet clair, appuyé sur un agenda allant des migrations aux initiatives économiques, en passant par la sécurité intérieure et extérieure, le renforcement militaire et la lutte contre le changement climatique.

Ces ambitions s'appuient sur des outils économiques et culturels, notamment l'accompagnement du développement des provinces du sud sur une période de 30 ans. Le Maroc s'attend à ce que cette collaboration respecte les programmes souverains nationaux ainsi que les partenariats internationaux qui ont renforcé sa doctrine souveraine de diversification des alliances, sachant que la prochaine étape consistera à donner un contenu économique et social global à la souveraineté marocaine sur le Sahara.

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