Penser l’influence africaine autrement – Par Adnan Debbarh

5437685854_d630fceaff_b-

Réunion de la deuxième édition du Forum des présidents des Commissions des Affaires étrangères des parlements africains le 20 février 2025

1
Partager :

L’Afrique n’est pas une option pour le Maroc, elle est une priorité stratégique dictée par la géopolitique et l’économie. C’est sur ce continent que se jouent les alliances diplomatiques les plus décisives, que se consolide la place du Maroc comme acteur global, et que se mène, en parallèle du cadre onusien, la bataille d’influence autour du Sahara.

Depuis deux décennies, le Royaume a déployé une présence diplomatique et économique intense, mais être présent ne suffit plus, il faut devenir incontournable. Cela exige un changement de prisme et d’échelle : ne plus voir l’Afrique uniquement comme un marché prometteur ou une arène diplomatique, mais comme un espace structurant, où seules les stratégies de long terme s’imposent.

Il faut opérer un saut qualitatif, donner à notre ancrage africain cohérence et profondeur. Une influence durable ne se décrète pas, elle se construit. Il faut une présence qui épouse les mutations du continent, qui anticipe plutôt que de subir.

Cela passe par une transformation profonde : rompre avec une approche fragmentée, ponctuelle et cloisonnée, pour bâtir un maillage institutionnel robuste, une vision intégrée où l’économique, le diplomatique, le culturel et le sécuritaire convergent vers un objectif commun.

Peser dans la durée, ce n’est pas additionner des accords isolés, c’est structurer un réseau d’influence où chaque levier renforce l’autre, où le Maroc ne se contente pas d’être un acteur africain, mais un pivot stratégique du continent.

C’est d’abord sur ce continent, entre autres, que se joue la bataille diplomatique du Sahara. Autrefois bastion des adversaires du Maroc, l’Union africaine est devenue un terrain où Rabat doit non seulement consolider ses acquis, mais aussi verrouiller toute manœuvre adverse. Depuis son retour en 2017, le Maroc a fissuré des soutiens historiques de l’Algérie, mais l’équilibre reste fragile. L’influence diplomatique ne repose pas sur des alliances conjoncturelles, elle s’ancre dans des dynamiques structurelles, soutenues par des engagements tangibles.

C’est tout le sens des projets d’envergure que le Maroc déploie sur le continent. Le gazoduc Nigéria-Maroc, l’intégration aux corridors logistiques africains et la consolidation de sa présence dans les instances de l’UA ne sont pas de simples accords économiques : ce sont des instruments d’influence durable, des leviers stratégiques qui inscrivent le Maroc dans les équilibres africains à long terme.

Toutefois, réduire l’Afrique à une question diplomatique serait une erreur d’analyse. Elle représente aussi un levier d’intégration régionale et un tremplin vers les marchés de demain.

Aujourd’hui, 66 % des exportations marocaines sont destinées à l’Europe, qui absorbe encore 17 % de la consommation mondiale. En 2050, cette part tombera à 9 %, soit autant que la région MENA. Ce basculement impose une réorientation stratégique vers les futurs pôles de croissance : l’Inde, l’Asie émergente et le Golfe. Dans cette nouvelle équation, l’Afrique devient un point d’ancrage essentiel. Non pas comme un marché final — car en 2050, elle ne pèsera que 5 % de la consommation mondiale — mais comme un axe de connexion avec les nouvelles puissances économiques.

L’intégration africaine du Maroc doit donc être pensée au-delà des seuls échanges commerciaux. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) ne doit pas être vue comme un simple débouché pour les produits marocains, mais comme un levier stratégique, un hub logistique et financier capable de capter les flux du commerce intercontinental. Le Maroc ne sera pas, à terme, un investisseur de masse en Afrique, du niveau de la Chine ou même de l’Inde, mais il peut devenir un acteur structurant du commerce intra-africain, un facilitateur de transactions, un pivot entre les économies africaines et les marchés mondiaux.

Si l’économie et la diplomatie sont les axes les plus visibles de l’engagement du Maroc en Afrique, le soft power reste un levier sous-exploité. Chaque année, des milliers d’étudiants et d’imams africains viennent se former au Maroc. Pourtant, une fois diplômés, ils repartent sans lien institutionnel fort avec le Royaume. Pourquoi ne pas les intégrer à des cercles d’influence marocains ? Des pays comme la France ou les États-Unis ont su transformer leurs anciens étudiants étrangers en ambassadeurs d’influence. Le Maroc dispose d’un vivier immense, mais ne le mobilise pas.

Il en va de même pour le sport. L’Académie Mohammed VI a déjà prouvé son efficacité dans la formation de talents africains, mais l’organisation de la CAN 2025 et de la Coupe du Monde 2030 est une opportunité unique pour inscrire le Maroc dans une stratégie sportive africaine durable.

Enfin, la coopération sécuritaire est un domaine où le Maroc dispose d’un avantage comparatif certain. La montée du terrorisme au Sahel, la fragilité des États et la menace des groupes extrémistes font de la stabilité régionale un enjeu majeur. Le Maroc a su développer une expertise reconnue en matière de lutte antiterroriste, de formation des forces de sécurité et de coopération en renseignement. C’est un levier d’influence stratégique, qui pourrait être mieux exploité dans le cadre de partenariats sécuritaires structurants avec des États influents.

Tous ces leviers — diplomatique, économique, académique, sportif et sécuritaire — doivent être pensés comme un tout cohérent. Trop souvent, l’action marocaine en Afrique avance en silo, sans synergie entre les initiatives. Il faut une coordination plus efficace, une stratégie unique qui articule ces axes sous une même ambition : faire du Maroc un pays structurant en Afrique, non pas par la puissance économique, mais par la constance et la complémentarité de son engagement.

L’Afrique n’est pas une destination, c’est un espace d’intégration. Le Maroc ne doit pas y être un acteur parmi d’autres, mais un pivot. Un pays qui ne cherche pas à imposer un modèle, mais à construire des alliances solides et à offrir des solutions adaptées aux réalités africaines.

L’enjeu n’est pas de s’enfermer dans une logique purement africaine, mais de faire de l’Afrique une base de projection vers les nouvelles dynamiques mondiales.

Ceux qui voient l’Afrique comme un simple marché se trompent. Elle est bien plus que cela. Elle est un espace de convergence, un terrain où se joue l’avenir du Maroc dans la mondialisation. S’y ancrer intelligemment, c’est prendre une longueur d’avance.

lire aussi