POUR L’ABOLITION DU MARIAGE DES MINEUR-E-S – Par Soukaïna Regragui

5437685854_d630fceaff_b-

Des fillettes impubères sont livrées aux plaisirs d’hommes et aux corvées de ménage avant même leurs menstruations, alors même que la religion les absout à cet âge de l’obligation du jeûne du mois sacré de Ramadan

1
Partager :

Est-il encore possible, et surtout justifié d’admette des exceptions dans la loi sur le mariage des mineur-e-s, sachant que la loi est censée garantir l’avenir des filles et des garçons, protéger leurs droits fondamentaux à une vie digne, à l’éducation, à une santé mentale et physique saine, à une place valorisante pour eux-mêmes et dans la société ?

Les exceptions introduites dans la Moudawana promulguée par Dahir le 03 février 2004, donnent aux juges une grande marge d’interprétation. Des mariages de mineur-e-s sont ainsi autorisés selon leur mentalité, leurs convictions ou leurs idéologies et non sur la base d’un texte claire, fermée à toute interprétation. Ce libre cours et ses variables se manifestent d’ailleurs, sans qu’on s’en soucie, dans les différences de jugements entre les tribunaux ! 

Quand le lien du mariage plonge dans le délictueux

Au travers de cette ouverture se réalisent des mariages par alfatiha (premier verset du Coran), par contrat, dans le déni absolu de la protection des enfants qui subissent alors un mariage, sans doute aucun « forcé », les marquant à vie. Le cas échéant, dire ou croire que ce n’est pas une forme hypocrite de légalisation de la pédophilie, ne peut relever que de la duplicité. 

Le champ est resté ouvert au mariage coutumier par alfatiha en présence d’hommes, persuadés de participer à une bonne œuvre (hassana). En raison des exceptions contenues dans la Moudawana 2004, subsistent des mariages précoces, voire très précoces, des fillettes étant promises, engagées, parfois dès leur naissance. Souvent, elles sont « remises » dès l’âge de 7, 8,9,10,11,12,13 ans à des futures belles-mères et beaux-pères devant les baigner dans le moule d’épouses de leurs fils, dans le déni absolu de la candeur de leur enfance, dans la seule jouissance de ses besoins et désirs, également comme petites mains au service des ‘’sa’’ famille d’accueil. Cette pédophilie légale, en réalité pédocriminalité, d’autant que phylie en grec signifie amour, place le lien du mariage en dehors de l’amour, pour le plonger dans le délictueux.

Ainsi, des fillettes impubères sont livrées aux plaisirs d’hommes et aux corvées de ménage avant même leurs menstruations, alors même que la religion les absout à cet âge de l’obligation du jeûne du mois sacré de Ramadan. S’ensuit le calvaire de la séparation familiale rythmé par un second douloureux sevrage affectif et les voici objets d’une jouissance malsaine d’hommes autrement plus âgés qui ont « blanchi sous le harnais » de cette exploitation qui dissimule honteusement son nom. Pour leur bonne conscience, soutenue, n’ayons pas peur des mots, par une certaine ignorance, leurs familles se réfugient dans l’islam qui autoriserait le mariage dès les menstruations. Et s’accordent le pouvoir de les marier hors leur consentement, hors leur capacité à comprendre les conséquences sur leur santé psychique et morale, et sur leur avenir.

17 ans ? L’exception qui ouvre la porte à la règle

La porte demeurée béante à la faculté pour les juges de se fonder sur l’exception, a induit l’augmentation du taux de mariage des filles mineures. Selon une étude du Parquet général en partenariat avec l’UNICEF, 85% des demandes en mariage d’enfants ont été autorisées par les juges entre 2011 et 2018, dont 94, 8% de filles. En 2020, 12 600 contrats de mariage ont été conclus pour des filles mineures.  

Dans la réforme de la Moudwana qui en est à sa phase de rédaction, on espère probablement qu’en encadrant le mariage des mineur-es par un âge proche de la majorité, 17 ans, on sort confortablement de la zone de l’impuberté et on réduit la marge d’interprétation dévolue aux juges. C’est concevable. Seulement, la pratique a bien montré que l’exception finit presque toujours par en créer d’autres qui terminent en règles d’autant plus accommodantes qu’on s’en accommode. 

Ce plancher de 17 ans est donc inacceptable. Il faut mettre fin à ces drames où des filles sont chosifiées et considérées « mariables », devenant une marchandise à reléguer, « des bouches de moins à nourrir pour leurs familles », comme il fut odieusement argumenté par une personnalité publique.   

Le Maroc du troisième millénaire, en pleine transition démocratique, a pour haute responsabilité de protéger tous ses enfants. Les lois nationales, les règles de droit et principes universels sont l’outil garant. Faudrait-il le rappeler, la Constitution de 2011 votée à 99, 9 % de voix populaires, instaure la majorité légale à dix-huit (18) ans et la primauté du droit international sur le droit interne. Le Maroc ne peut donc déroger aux conventions signées et ratifiées, notamment la Convention des Nation-unies relative aux droits de l’enfant ratifiée en 1993, selon laquelle est considéré comme enfant toute personne ayant moins de dix-huit (18) ans et que les enfants en tant que mineur-e-s ont des droits spécifiques et ont droit à cet égard à une protection particulière. Marier des filles et des garçons avant l’âge de dix-huit (18) ans est ainsi inconstitutionnel.

18 ans et plus, pas moins

Dix-huit (18) ans ! Dix-huit ans et plus, pas moins, doit être la règle de droit ferme, n’admettant aucune exception. Tous les vides juridiques, toutes les exceptions sont à bannir dans la future Moudawana version 2025. Toute exception est un nid d’injustices, de dérives, aux conséquences très lourdes tant au niveau individuel que sociétal, impactant négativement le développement du pays. La loi doit garantir la scolarisation de tous les garçons et de toutes les filles et enrayer toutes causes d’abandon scolaire, dont le mariage précoce. Ceci est un principe fondamental sur lequel nulle exception ne saurait être admise. 

Toute voix a droit de cité dans une réelle démocratie. Et des voix tapageuses se dressent contre toute évolution. Dans le brohaha par lequel on essaye d’intimider les bonnes volontés et freiner l’évolution, les politiques - parlement et gouvernement, majorité et opposition, société civile - doivent assumer leurs responsabilités et voter et aider à voter un Code de la famille verrouillant toute possibilité pour les juges de disposer d’un pouvoir d’interprétation, permettant l’exception. Pour l’assurer, il faut, répétons-le, exclure toutes dérogations à l’âge matrimonial de dix-huit (18) années grégoriennes révolues, correspondant à la majorité légale constitutionnelle établie en 2011 et ceci pour les deux sexes

Une volonté royale

La Moudawana 2004 a réalisé des avancées avec le soutien du Roi. Celle encore en gestation n’est naturellement possible sans le soutien du Souverain qui porte une attention particulière à l’intérêt supérieur (almaslaha lfoudla), de l’enfant. Ses orientations ont été sans équivoque notamment dans le communiqué du Cabinet royal de lundi 23 décembre 2024, qui exige pour le libellé juridique de la réforme une « forme de règles juridiques claires et intelligibles, afin d’éviter les lectures judiciaires contradictoires et les cas de conflit dans leur interprétation », tout en insistant sur « la nécessité de garder à l’esprit la volonté de réforme et d’ouverture sur le progrès, voulue par le souverain à travers le lancement de cette initiative prometteuse de réforme ».

 C’est dire que maintenir l’exception c’est non seulement entretenir les inégalités de genre, les chiffres démontrent nettement que les filles sont plus concernées que les garçons, mais ce serait aussi et surtout faire défaut à l’esprit de progrès voulu par le Roi. 

Il appartient en conséquence à toutes les forces de progrès de se mobiliser pour soutenir cette volonté et raffermir l’égalité entre les hommes et les femmes établie, non pas tant par les conventions internationales, mais avant tout par l’article 19 de la Constitution du Royaume adoptée en 2011. 

Soukaïna Regragui. Militante UAF. Écrivaine.

lire aussi