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Rentrée scolaire : Contre la monotonie comme gage de succès, cinq ''audaces'' à avoir - Par Bilal Talidi
Le ministre de l’Éducation nationale et des Sports Chakib Benmoussa
Dans les expériences réussies, la rentrée scolaire est toujours associée à des thématiques significatives qui suscitent le débat, créent l'événement, et suggèrent que l'autorité en charge du secteur de l'éducation nationale porte une vision et met en œuvre ses priorités de manière méthodique et programmée dans le temps.
Dans notre expérience marocaine, nous sommes plutôt habitués à la stagnation et à la monotonie. La réalisation dont tout ministère de l'Éducation nationale peut se prévaloir au sein de n'importe quel gouvernement se limite à ce que l'on appelle dans les rapports officiels "le bon déroulement" : une rentrée scolaire en temps T, sans aucun incident perturbant le processus éducatif. Il suffit que les enseignants se présentent à l'heure prévue selon la circulaire ministérielle, que les élèves s'inscrivent, que les formulaires d'évaluation soient remplis sans que personne ne sache comment ils seront exploités, et qu'il n'y ait aucune protestation liée à un manque de ressources humaines ou à des perturbations dans la gestion.
Cette monotonie recherchée par les responsables du ministère de l'Éducation nationale, qu'ils considèrent comme une réalisation, ne donne en réalité aucun sens à la rentrée scolaire et ne suggère en rien l'existence d'une autorité capable de changer l'image, de révolutionner le système éducatif, de mobiliser et canaliser les énergies ou même de transformer la rentrée scolaire en un événement qui suscite le débat et implique tout le monde, étant donné que le processus éducatif touche chaque foyer et concerne chaque individu et institution.
Réforme du baccalauréat
Il y a plus d'un objectif que le ministère de l'Éducation nationale aurait dû se fixer cette année. Je me contenterai d'en mentionner cinq, et je pense que la rentrée scolaire aurait beaucoup plus de sens si le ministère décidait de les mettre en avant.
Le premier de ces objectifs est de réformer le système d'examen du baccalauréat, qui est peut-être le plus long au monde, puisqu'il commence début juin ou fin mai et se termine fin juillet. Il est totalement insensé de maintenir un système d'examen qui a été détourné par le secteur privé, au point de violer le principe d'égalité des chances (les institutions du secteur privé modifient le calendrier et le programme scolaire en supprimant certaines matières et en se concentrant sur les matières de certification), sapant les bases solides de l'orientation (les résultats de la deuxième année dépendent des résultats de la première année, bien que les matières examinées en première année soient toutes littéraires), et introduisant beaucoup de confusion dans les processus de correction (en particulier les examens des non-scolarisés qui sont soumis à des programmes différents de ceux dans lesquels les élèves scolarisés sont examinés), tout en créant une dualité dans le temps d'obtention du diplôme (les élèves scolarisés obtiennent le baccalauréat en deux ans, tandis que les non-scolarisés l'obtiennent en un an qui concentre deux examen).
Interdiction des manuels étrangers
Le deuxième objectif important est que le ministère prenne une décision décisive en faveur du programme national et interdise totalement l'utilisation des manuels scolaires étrangers dans les langues, et qu'il révise la clause qui permet l'utilisation à titre indicatif des manuels étrangers, car c'est de ce détail que le diable s'est saisi, permettant aux institutions du secteur privé de transformer ces manuels de référence en manuels principaux, reléguant le programme national décidé par le ministère à de simples feuilles de papier sans utilité.
La décision peut sembler difficile, mais en réalité, elle ne l'est pas. Il suffit au ministère de retirer totalement son approbation de ces livres et de soumettre trois ou quatre institutions à une sanction sévère pour que tout le monde se conforme et que l'enseignement des langues en tire de nombreux avantages, le premier étant la valorisation du produit national, puis l'unification du programme scolaire de manière à garantir l'égalité des chances, et enfin d'apporter de l’air aux familles qui déboursent plus de 400 dirhams par manuel, notamment en langue française.
N'est-il pas aussi très dommageable que les institutions publiques soient strictement soumises aux directives du ministère concernant le programme national, de sorte qu'il est absolument impossible d'enregistrer même une seule institution qui utilise un manuel étranger, tandis qu'on tolère grandement, parfois au point de la complicité, les institutions d'enseignement privé à cet égard.
Mettre de l’ordre dans le système des assurances
Le troisième objectif touche aux frais d'inscription et d'assurance, qui varient selon qu’il s’agit de l'enseignement public ou privé. Le ministère doit prendre une décision concernant ces frais et créer un mécanisme unique qui régit les deux secteurs en ce qui concerne l'assurance. Le ministère devrait lancer un appel d'offres pour les compagnies d'assurance afin de concourir pour la police d'assurance scolaire qui couvre tous les élèves du secteur public et privé, choisir l'offre aux meilleurs avantages, et fixer le prix pour le secteur public soutenu par l'État et pour le secteur privé non soutenu, de manière à ce qu'il soit connu et non susceptible de fraude. Cela réduirait la pression sur les familles, protégerait les droits de leurs enfants, et obligerait le secteur privé à clarifier si les frais de scolarité couvrent dix mois ou plus, au lieu de se cacher derrière les frais d'inscription et d'assurance pour couvrir un mois de salaire pour ses employés.
La formation des enseignants en langues
Le quatrième objectif est d'ouvrir un chantier de formation en langues pour les enseignants. Les rapports officiels diagnostiquant la formation des enseignants soulignent souvent qu'il y a une faiblesse dans l'acquisition des langues, alors que certains enseignants de langues n'étudient que quatre à six heures, notamment en allemand, italien, et espagnol.
La contradiction est qu'il existe une élite pionnière d'enseignants qui paient chaque année des sommes conséquentes aux centres de langues étrangers pour acquérir et maîtriser la langue, et sont surpris dans les salles de classe de ces centres de constater que la plupart de leurs enseignants sont des cadres du ministère de l'Éducation nationale.
Je suppose que l'annonce de l'une des deux décisions, l'ouverture d'une formation certifiée en langues étrangères (en partenariat avec un organisme certificateur étranger) ou au moins la création de partenariats avec les centres de langues étrangers pour réduire la pression financière sur les enseignants, serait une décision révolutionnaire sans précédent qui contribuerait à améliorer la formation des enseignants et à augmenter leur maîtrise des langues étrangères.
De l’ordre dans les fournitures
Last but not least, le cinquième objectif consiste en une décision ferme d'interdire aux institutions privées de vendre des manuels scolaires, et de soumettre toute institution privée qui demande à ses élèves d'acheter des fournitures incluses dans le budget de fonctionnement de ces institutions à des sanctions sévères. Il y a un grand désordre dans les institutions d'enseignement privé qui demandent aux élèves d'apporter des boîtes de papier, du papier toilette, et des mouchoirs en papier utilisés par l'administration et les enseignants dans les classes.
Une telle décision stricte pourrait réduire la pression sur les familles, soulager les librairies qui basent leur activité commerciale sur les manuels scolaires, et concentrer les institutions privées sur leur rôle principal, à savoir l'éducation, plutôt que le commerce.
Le ministère a toujours affirmé qu'il interdit aux institutions privées de vendre des manuels scolaires, mais face aux nombreuses plaintes répétées sur les réseaux sociaux et aux pratiques répréhensibles des inspecteurs du ministère, il n'a jamais été enregistré une seule intervention stricte contre ces institutions pour remettre de l’ordre et orienter les institutions éducatives vers leur véritable rôle éducatif.
Ce sont là cinq objectifs importants, si le ministère décidait de les adopter ou d'en faire l'un des slogans de cette année, cette rentrée scolaire serait la plus réussie que le Maroc ait connue depuis plus de deux décennies.