Politique
Application de ''contact tracing'' du Covid-19, Seghrouchni se cabre
La CNDP, que préside Omar Seghrouchni, est une Commission Nationale à laquelle il été conféré la mission de contrôle de la protection des données à caractère personnel et de la vie privée, en particulier au sein de l’écosystème numérique. C’est une institution constitutionnelle dont le Royaume peut s’enorgueillir. Alors que le gouvernement vient de lancer un appel d’offre pour la mise en place d’une application de « contact tracing » dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, la CNDP s’est fendue d’un communiqué par lequel tacitement elle s’étonne d’apprendre par voie de presse que le gouvernement s’apprêtait à lancer cette application qui lui permettrait de « traquer » les personnes contacts d’un cas avéré de Covid 19 pour qu’il soit possible aux autorités sanitaires d’intervenir à temps pour détecter les personnes contaminées et procéder par mesure de précaution à la mise ne quatorzaine de toute personne susceptible de développer la maladie.
En temps normal, le gouvernement a l’obligation d’associer dans sa démarche la CNDP, mais il a de fortes circonstances atténuantes et son action ne s’inscrit pas forcément dans l’illégalité, sachant que la constitution qui dispose dans son article 24 le droit à la protection de la vie privée dans toutes ses ramifications, souligne aussi (art. 20, 21 et 22) que le droit à la vie est un droit premier protégé par la loi.
Outre que le gouvernement agit dans l’urgence et qu’il a bien des chats à fouetter, le décret-loi de l’état d’urgence sanitaire lui permet d’activer toute mesure de nature à l’aider dans sa mission.
Entre l’application des mesures d’urgence, la consolidation d’une infrastructure sanitaire nullement préparée pour semblable épidémie, la garantie de survivance d’une large frange de la société en marge du formel et une économie à l’arrêt, il n’est pas interdit qu’il y ait des ratés. La régularisation de l’état d’urgence, elle-même, déclarée le 19 mars pour le 20 du même mois à partir de 18 h, n’est intervenue qu’ultérieurement, le 22 mars, et officialisée par le BO du 24 mars. Sans oublier que le décret qui la fonde stipule particulièrement qu’aux « termes ‘du décret-loi n° 2.20.292 relatif à l’état d’urgence sanitaire et aux procédures de sa déclaration, les autorités sont autorisées à prendre toutes les dispositions utiles et nécessaires et également à décréter l’état d’urgence sanitaire dans n’importe quelle région, préfecture, province ou commune, ainsi que sur l’ensemble du territoire national en cas de besoin, à chaque fois que la sécurité des personnes est menacée par une épidémie ou une maladie contagieuse. Durant cette période, les autorités publiques peuvent prendre toutes les mesures nécessaires par des décrets ou des décisions administratives ou des circulaires ou encore par voie de communiqués ».
L’instant n’étant pas à la polémique, la CNDP, qui n’a pas tort sur le fond et joue dans le même camp, avait toute latitude de se faire prévaloir de son caractère constitutionnel et des missions qui lui sont conférées, d’approcher par les voies appropriées le gouvernement et exiger son implication dans la mise en place de l’application de « contact tracing ». De même que le gouvernement devrait se faire accompagner par la CNDP dans cette action qui est par ailleurs délicate. Pour information voici le communiqué de la CNDP qui déclare se mettre « à la disposition du gouvernement pour renforcer, en termes de respect de la vie privée, ses politiques proactives. »
« La CNDP a pris connaissance, par voie de presse, de la volonté du gouvernement de mettre en place une application de « contact tracing ». Cette annonce a immédiatement généré, une interrogation, et voire, une inquiétude citoyenne autour des risques de déploiement d’un Etat de surveillance dans le cas où les usages permis par cette application n’étaient pas respectueux des droits humains et encadrés juridiquement. La loi 09-08, en alignement avec l’article 24 de la Constitution du Royaume, confère à la CNDP la mission publique de contrôle de la protection des données à caractère personnel et de la vie privée, en particulier au sein de l’écosystème numérique. Les concepts de minimalité et de proportionnalité font partie des outils d’appréciation qui permettent d’évaluer, dans le cadre d’une analyse des risques élargie, le pour et le contre de chaque usage au regard du respect de la vie privée, mais aussi au regard des autres droits fondamentaux. La gravité de la situation sanitaire et les évolutions observées au travers des courbes de propagation des contaminations, mais aussi celles à gérer lors des phases de déconfinement à venir, constituent un risque majeur. Ainsi, pour maîtriser la propagation de la pandémie, en particulier lors de la phase de déconfinement à venir, nous ne pouvons-nous permettre, pour l’intérêt collectif, de nous tromper de combat. Il est louable que le gouvernement anticipe, et la CNDP salue le courage politique et opérationnel avec lequel le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur adoptent cette démarche proactive. Cependant, la CNDP insiste sur la nécessité de conforter la confiance, en particulier la confiance numérique : Si celle-ci n’est pas assurée, le nécessaire large usage de l’application s’en trouvera affecté et les résultats escomptés altérés. Il est recommandé que l’usage de ce type d’application soit déployé sur la base d’une confiance volontariste et non sur la base d’une obligation difficile à mettre en œuvre. Pour assurer cette condition sine qua non de confiance concernant la collecte et l’utilisation des données à caractère personnel, la CNDP recommande fortement au gouvernement de :
• Veiller à garantir la complémentarité annoncée comme nécessaire entre le pistage et l’usage de cette application, d’une part, et la politique de dépistage et de tests au COVID19, d’autre part. Ces deux dispositions vont de pair. L’insuffisance du dépistage peut remettre en cause l’intérêt du pistage.
• Justifier que cette complémentarité et les algorithmes utilisés répondent effectivement à la finalité du contrôle de la propagation de la pandémie.
• Veiller à définir, de façon explicite, la finalité stratégique et les moyens opérationnels et techniques pour l’atteindre. La finalité stratégique est le contrôle de la propagation de la pandémie. Les moyens opérationnels et techniques pour l’atteindre doivent distinguer les moyens de type « tracing » induits par des technologies comme le bluetooth et les moyens de type « tracking » induits par des technologies comme la géolocalisation et le GPS. Les moyens utilisés doivent être adéquats avec la finalité stratégique.
• Veiller à informer, en application du principe de transparence, l’utilisateur ciblé de la finalité affichée et des moyens utilisés pour l’atteindre.
• Veiller à ce que seules les autorités dûment habilitées (sanitaires, mais aussi le personnel d’autorité régulièrement affecté afin de faire respecter les décisions sanitaires), soient en mesure d’accéder, chaque agent selon ses missions, aux seules données à caractère personnel, jugées nécessaires à l’exécution de ses missions propres en conformité avec la finalité affichée.
• Veiller à ne pas réutiliser les données à caractère personnel autrement que pour la finalité affichée.
• Veiller à détruire les données collectées et générées à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, sauf celles pouvant alimenter, de façon anonymisée et réglementaire, la recherche scientifique.
• Prendre en considération que l’administration, vu la sensibilité du sujet, ne peut recourir à l’acquisition de boîte noire (black box). Elle doit être en maîtrise complète des codes développés et des architectures mises en œuvre.
• Veiller à partager, voire rendre publics, le code développé, les architectures et les technologies utilisées en autorisant leur audit citoyen, ce qui permet aussi de respecter le principe de la publication proactive mais aussi de la procédure d’urgence prévue par la loi n°31-13 relative au Droit d’Accès à l’Information. Cet audit peut être également sollicité, par tout autre acteur, selon les mécanismes constitutionnels existants.
La CNDP se tient à la disposition des autorités gouvernementales pour les accompagner à conforter le cadre de confiance numérique pouvant contribuer à gérer les deux priorités du moment : la gestion du risque sanitaire et le maintien de l’activité économique.
La CNDP se tient également à la disposition des citoyens pour répondre à leurs interrogations et suivre leurs craintes et inquiétudes au sujet du non-respect de leur vie privée et de leurs données à caractère personnel.
La CNDP prend bonne note des efforts menés, depuis sa création, par la CDAI (Commission du Droit d’Accès à l’Information) pour la mise en œuvre des dispositions de la loi 31-13 et qui contribuent à conforter la confiance numérique.
La CNDP, en vue de réaliser un rapport sur le respect de la protection des données à caractère personnel pendant la période d’urgence sanitaire, sollicitera les administrations concernées pour recueillir toutes les informations utiles à cet effet.
La CNDP est confiante sur le fait que, grâce à l’interaction constructive des différents acteurs, notre pays est en train d’utiliser son intelligence collective pour jeter les bases d’un nouveau départ.