À quand la réconciliation des Marocains avec le cannabis ?

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Libéraliser le cannabis de son aura de « fruit défendu » est le plus sûr moyen de le banaliser. Dès lors que le produit devient banal, il ne compte plus que par l’usage qui en est fait.

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Dans un de mes récents articles que j’ai publié en Arabe, j’ai essayé d’analyser les raisons de l’échec de la plupart des mesures antitabac. J’insistais en particulier sur la grande imposture des gouvernants qui veulent faire croire que c’est en augmentant les taxes sur le prix des cigarettes qu’on arrivera à bout du tabagisme. Mais personne n’est dupe : plus le prix est élevé, mieux c’est pour le trésor public, au point que le budget de l’état devient dépendant des recettes de la vente du tabac.

On se retrouve dans une situation cocasse où le tabac crée une double addiction, d’abord chez le fumeur, ensuite chez l’Etat qui ne peut plus se passer des taxes qu’il collecte.

Après avoir passé en revue la vanité des diverses mesures, j’ai relevé le grand paradoxe des cigarettiers. Alors qu’on pensait qu’ils étaient les plus enclins à maintenir le statu quo, ils ont surpris quand ils ont pris le virage de l’innovation. En effet, ces dernières années, l’industrie du tabac s’est orientée vers la mise au point d’une cigarette plus « propre ». La mise sur le marché de la cigarette iQos de Philippe Morris va dans ce sens. Le tabac est chauffé au lieu d’être consumé par une flamme. Il en résulte moins de goudron, l’élément toxique par excellence de la cigarette traditionnelle. Même allégée de beaucoup de composants toxiques, la nouvelle cigarette n’en demeure pas moins nocive, ne serait-ce qu’à cause de la nicotine, le facteur déterminant de l’addiction.

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Oui, la nocivité est toujours là, mais incontestablement moindre que la cigarette traditionnelle. Il y a tout lieu de penser que les futures générations de cigarettes seraient de plus en plus « propres ». Certains spécialistes vont jusqu’à imaginer que dans deux ou trois décennies, la cigarette ne serait pas plus dangereuse pour la santé publique que ne l’est aujourd’hui le soda. 

A propos de santé publique, je suis saisi d’effroi chaque fois que je m’aventure dans un site réservé à cette thématique. Des spécialistes nous livrent avec luxe détail leurs craintes sur nos habitudes alimentaires, notre mode de vie etcetera. A croire que nous sommes tous en sursis, que nous survivons malgré nos comportements peu conformes aux règles de vie qu’ils édictent.

Souvent, ils ne sont même pas d’accord entre eux. Entre par exemple le Pr. Généreux qui fait campagne contre la consommation du lait et de ses dérivés, et ceux qui préconisent un apport régulier des nutriments du lait, notamment son calcium, qui choisir alors ? On nous demande aussi d’arrêter le sucre, sinon c’est l’obésité assurée et/ou le diabète garanti. Pas de sel non plus pour se préserver des maladies cardiovasculaires. Pour faire plus savant et surtout plus inquiétant on brandit les perturbateurs endocriniens ou les particules fines des pots d’échappement. 

Apparemment il faut rester chez soi pour ne pas s’exposer à ces risques. Avec cette logique autant éviter l’hôpital pour ne pas attraper des maladies nosocomiales.

La psychose rôde, on ne sait plus à quel saint se vouer.

Pourtant, de toujours il est établi que rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, que rien n’est totalement neutre. Le meilleur médicament comporte des effets secondaires, la plus extraordinaire des inventions n’est pas exempte de conséquences indésirables. Bref, rien ne sera jamais parfait dans ce bas monde comme dirait M. Jacques de La Palice. 

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Pourquoi alors s’acharner à vouloir prouver coûte que coûte la nocivité de tel ou tel produit. La nocivité est là, apparente ou même masquée, on finira par la déceler. Faut-il à ce moment-là bannir le produit ? Au rythme où vont les choses, nous rentrons de plein pied dans un univers kafkaïen, où la névrose guette.

Heureusement qu’il y a une nouvelle approche philosophique qui se fait jour. Elle consiste à ne plus focaliser sur l’objet ou le produit, mais à mettre en exergue l’usage qui en est fait. Tout est dans l’usage ! L’image caricaturale avancée pour expliquer la philosophie de l’usage, c’est le couteau de cuisine. Voilà un objet dont l’utilité est reconnue universellement, mais qui peut devenir une arme redoutable dans les mains d’un nervi. On voit que c’est l’usage qui fait l’objet et non l’inverse.

Le moment est venu d’appliquer cette approche philosophique au cannabis. Tout en insistant sur la dangerosité du produit, on doit le dépoussiérer de tous les oripeaux liés à son usage. Pendant des temps immémoriaux le Marocain aurait fait bon ménage avec le kif. Ni la littérature, ni les récits rapportés par les anciens ne font état de problèmes de santé publique résultants de la consommation de cette drogue. Ma génération a connu parmi ses aînés des consommateurs réguliers de cannabis. Rien dans leur comportement ne permettait de détecter chez eux une anomalie physique ou mentale. Probablement que l’accès libre et sans entraves au produit, masquait-il les perturbations que provoque généralement l’état de manque chez les addictifs. 

C’est vers le milieu du siècle dernier que le Protectorat a commencé à entraver la production et la diffusion du kif. Le faisait-il pour favoriser la Régie des Tabacs, comme certains l’imaginaient à l’époque, ou bien obéissait-il à un réel besoin de préserver la santé publique ? C’est sûrement le souci de santé publique qui prévalait, d’autant plus que le cannabis se répandait de plus en plus en France.

Il est vrai qu’au début le cannabis qui passe pour être une drogue douce, par opposition aux drogues dures comme l’héroïne ou la cocaïne, n’a pas connu les mêmes entraves. Ce n’est qu’au moment où il est devenu un phénomène de société qu’on a cherché à endiguer son expansion.

Il n’empêche qu’au plus fort des campagnes menées pour son interdiction, le cannabis a bénéficié d’une mansuétude plus grande que pour le tabac, qui pourtant rapporte gros au trésor public. C’est le cas en particulier de la Hollande et de la Suisse où des lieux réservés à la vente de kif ont été tolérés. La « permissivité » de ces deux pays a été bénéfique, puisque la démonstration a été faite qu’il y a moins à craindre du libre accès au produit que de son interdiction.

Progressivement d’autres pays se sont inscrits dans cette nouvelle tolérance, qu’on n’appelle plus désormais permissivité. On citera le cas du Colorado qui, après avoir autorisé la vente publique du cannabis, a vu progresser à la fois le nombre de touristes et le taux de croissance. Plus récemment le Canada a libéralisé à son tour le cannabis et projette pour la première année un volume d’affaires de cinq milliards de Dollars. Un peu partout dans le monde, les Gouvernements souhaitent prendre leur part du gâteau. Le dernier en date est le Portugal qui manifeste le désir de devenir la plaque tournante du cannabis en Europe. 

Après avoir décrié avec force l’usage du cannabis, ces Gouvernements ont opéré un virage à 180 degrés en mettant en exergue les vertus thérapeutiques de cette drogue. Certaines revues spécialisées prétendent que des molécules extraites de la plante, bloquent la croissance de cellules cancéreuses.

Pour réhabiliter le cannabis, il fallait insister sur son pouvoir thérapeutique. Ce voile pudique jeté sur ce produit, masque mal les véritables raisons de sa spectaculaire promotion aujourd’hui. Plus que jamais c’est une affaire de gros sous, de très gros sous ! Ce juteux commerce a profité jusque-là aux dealers et aux trafiquants. Désormais, en organisant la production et la vente du cannabis, les États ramènent ce commerce dans le giron de l’économie formelle et collecteront de ce fait des revenus considérables pour les Trésors Publics. Et ce n’est pas étonnant que de nombreux pays acceptent que le commerce de cannabis figure dans les comptes publics pour le calcul du PIB.

Le Maroc, berceau du cannabis, ne peut continuer à tourner le dos à un produit de subsistance pour nombre de compatriotes. S’inscrire dans cette tendance mondiale n’a rien de répréhensible. On ne pourra plus nous qualifier de narco Etat à partir du moment où on fait les choses à l’identique de ce qui se fait ailleurs.

Faire comme les autres, revient à créer un établissement public pour organiser la production, la transformation thérapeutique et la distribution. Il n’y aura que des avantages à créer cet établissement qui va pouvoir rémunérer honnêtement les producteurs, mettre sur le marché un produit moins dangereux car expurgé d’une partie de sa nocivité, et éliminer des circuits la horde de trafiquants et de dealers de tous acabits. 

J’aurais voulu insister sur la très grosse manne d’argent qui viendrait remplir les caisses de l’Etat, mais tel n’est pas le but de l’article. Car je redoute tout ce qui pourrait faire croire que l’adhésion à la libéralisation du cannabis ne soit dictée par le mirage de cette formidable manne. Je préfère revenir à mon leitmotiv de départ : la nocivité d’un produit dépend d’abord de son usage. La permissivité a un côté prophylactique qu’on ne saurait ignorer. Libéraliser le cannabis de son aura de « fruit défendu » est le plus sûr moyen de le banaliser. Dès lors que le produit devient banal, il ne compte plus que par l’usage qui en est fait.

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