société
Ci-gît le café mort des Oudayas
''Mille et une cogitations, plutôt qu’un coup de ciseaux !''* Celui ou ceux qui ont présidé au rasage du mythique café maure des Oudayas ne connaissent apparemment pas cet adage populaire qui recommande la sage prudence avant de commettre ce qui peut advenir, une fois fait, l’irréparable. Pareils à un voleur nocturne, ils ont profité de l’obscurité du confinement pour mener à terme une véritable opération de saccage d’un espace qui a sa propre magie et un charme surannée qui tire son pouvoir de fascination précisément de sa désuétude.
…. et avant
Un verre de thé « chbbari » à la menthe et un plateau de rhroyba et de cornes de gazelle au milieu de vieilles pierrailles qui murmurent le temps passé et absorbent celui qui passe. Voilà ce que l’on a assassiné !
Chaque pierre avait une anecdote à rapporter, chaque carrelage une histoire à raconter et c’est dans les stigmates apparents de leur usure que se lisaient les récits, petits ou grands, qu’ils ont abrités et couvés.
Je ne sais pas de quand date le café maure des Oudayas, mais de mémoire d’homme il a toujours été là, une fenêtre conviviale grande ouverte sur l’embouchure du Bourgreg et une vue imprenable sur Salé, sa plage et sa muraille atlantique. Une aire de villégiature pour les mouettes et une source d’inspiration pour les poètes, les peintres et les tourtereaux qui y venaient se jurer amour et fidélité pour la vie.
Le rendez-vous des rêvasseurs et un ancrage pour les doux nostalgiques qui vivent de souvenirs d’une jeunesse à jamais révolue, passant à leur insu le relais à ceux qui viennent (qui venaient) y jeter les premières pierres de leur nostalgie future.
Peut-on parler d’homicide quand il s’agit d’un lieu ? Dans le cas du café maure des Oudayas, sans doute, car ce café maure, encastré dans la Kasbah vieille de huit siècles, plus que d’autres, a une âme, une vie, un souffle.
On nous dit qu’on l’a détruit pour le restaurer à l’identique. Argument après désastre de celui qui ne sait plus comment se défendre ou expression désastreuse d’une ignorance crasse ? Sans doute les deux.
Un amoureux de Rabat, fin connaisseur de sa culture et de son patrimoine a pour eux cette réplique sans appel : On ne détruit pas pour restaurer et on ne restaure pas à l’identique ce que l’on a détruit, car en détruisant les murs, on a fait fuir l’esprit des lieux.
Le mal est fait et on ne nous a laissé que nos yeux pour pleurer. Une fois qu’il sera reconstruit, si on le reconstruit, on s’y rendra comme on se rend sur les sépultures de nos aïeux, prier pour l’âme de ce lieu, qu’à sa façon, restera un lieu de mémoire. Peut-être gardera-t-on de ses pierres abimées par les bulldozers une, pour en faire une pierre tombale. On y scribera : Ci-gît le Café mort des Oudayas, victime de crime contre le patrimoine.
Qui peut restituer cette image à l’identique ?
*ألف تَخْميمة و تَخْميمة و لا ضرْبة بلمقص