Et la Marche fut ! Par Seddik Maâninou

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Face aux manœuvres franquistes, Hassan II répondit par l’organisation de la Marche verte.

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Décisions douloureuses – Par Seddik Maâninou

A47ème anniversaire de la Marche verte, conférence au grand amphithéâtre de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah à Fès.

Survol historique

J’ai commencé par les évènements majeurs jalonnant l’histoire du Maroc au cours du 20ème siècle, depuis le Protectorat jusqu’à la proclamation de l’Indépendance, en passant par la résistance armée contre l’occupation, la genèse du Mouvement national et l’exil qui s’achève par le retour triomphal de Mohammed V.

La France a par la suite quitté la zone sultanienne et l’Espagne la zone khalifale. Nous avons recouvré Tanger, placée alors sous administration internationale. Mais, l’Espagne a suspendu son retrait pour rester à Tarfaya, Sidi Ifni et dans les provinces sahariennes, en plus de l’occupation de Sebta et Melillia. Des kystes dans l’indépendance du Royaume.

Tarfaya d’abord

Mohammed V a tenté de rappeler à l’Espagne ses engagements sur le respect de l’unité territoriale du Royaume, devant un Franco qui louvoyait sournoisement entre l’esquive et l’intransigeance. En 1958, le Prince héritier Moulay Al Hassan, à la tête d’unités militaires, est arrivé à Tarfaya qu’il a rattachée à la mère-Patrie. Ce fut une aventure menée sans les ordres du Commandant suprême, mais une aventure nécessaire pour le recouvrement du territoire.

Ifni et le Sahara

Les Espagnols refusant de restituer Sidi Ifni et le Sahara, le Maroc s’est dirigé vers les Nations-Unies pour revendiquer la libération de ces zones spoliées et a déposé un dossier dans ce sens auprès de la 4ème Commission. Dans l’entretemps, Hassan II allait armer les tribus d’Aït Bâamrane qui ceinturaient Sidi Ifni et obtint la libération de cette localité après d’âpres combats laissant sur le champ de bataille plusieurs martyrs, cependant que l’Espagne perdait nombre de ses soldats. Il réduisait à néant ainsi le rêve de la Régence ibérique de transformer Sidi Ifni dans le sud marocain en un ‘’préside’’ à l’image de Sebta dans le nord du pays.

A la 4ème commission de l’ONU, la question du Sahara n’en finissait pas toutefois de faire du sur-place. Chaque année, la délégation marocaine soulevait le problème de la décolonisation et de la récupération par le Maroc de ses droits, face à la partie espagnole qui, maniant l’art de l’esquive, se portait constamment aux abonnés absents. 

Aux milieux des années 1970, Madrid entamait les préparatifs pour l’organisation d’un référendum devant officialiser l’annexion définitive du Sahara à la couronne espagnole. Face à ces manœuvres, Hassan II choisit la confrontation et répondit par l’organisation de la Marche verte.

Le je me souviens d’une volontaire 

Parmi l’assistance dans l’amphithéâtre, se trouvait une octogénaire une ancienne de la Marche verte. «Le 16 octobre 1975, j’ai suivi le discours de feu SM Hassan II et j’ai immédiatement décidé de me porter volontaire», raconte-telle. «J’ai laissé mes enfants chez mon père. Je me suis levée tôt le lendemain et je me suis rendue à l’arrondissement où j’ai obtenu ma carte de volontaire. Elle porte le numéro 7, le début de milliers d’inscriptions d’habitants de Casablanca qui allaient suivre», explique-telle. Puis a marqué une pause, fouillé sous sa djellaba et sorti une carte usée de marcheuse qu’elle a jalousement conservée depuis le grandiose évènement, provoquant un standing ovation de l’assistance composée en majorité des femmes fassies.

Période de communication

Poursuivant mon récit, j’ai rappelé que feu Hassan II m’avait convoqué à Marrakech pour me charger de confectionner une émission destinée à rassurer l’opinion publique sur le cheminement des dizaines de caravanes composées de milliers de camions, qui se déroulait dans la sécurité et la fluidité. Il m’avait confié la tâche de répondre aux multiples interrogations des volontaires. 

Faut-il le rappeler, Hassan II, un homme de communication par excellence, ne négligeait aucun aspect. Il avait prononcé en l’espace d’un mois 15 discours et reçu 16 délégations de journalistes représentant les plus grands médias du monde.

Sur la ligne de front

Le 2 novembre 1975, j’ai mis le cap sur Tarfaya qui était un bourg perdu d’à peine 400 personnes et ne disposait en tout et pour tout que de trois appareils téléphoniques, tous dans des bureaux de responsables locaux. 

La disposition impeccable des effectifs énormes de volontaires dans ce vaste espace particulièrement désert, m’impressionna. Il n’y avait là ni eau, ni électricité, ni téléphone, ni commerce fut-ce pour les besoins élémentaires, ni pharmacie d’ailleurs et encore moins d’hôpital. 

C’était mal connaitre Hassan II. Concevant l’opération dans ses moindres détails, il avait mobilisé, dans la confidentialité absolue, la logistique du transport, l’hébergement, l’alimentation en nourriture et en eau, la sécurité physique et sanitaire des participants. 

Les volontaires n’avaient plus qu’à dresser leurs bivouacs à un jet de pierre des fils barbelés séparant le Maroc de son Sud saharien.

Tempête de sable

La volontaire casablancaise reprend : «Au troisième jour de mon arrivée, une forte tempête de sable s’est déclenchée. Le sable flagellaient les visages et s’insinuaient douloureusement dans les yeux. Les gens se sont agglutinés sous les tentes. J’ai pris place à côté de mon amie malade et j’ai remarqué sa pâleur, son front ruisselant de sueur. J’ai eu peur pour sa vie, et encore plus lorsqu’elle a formulé le vœu d’être enterrée dans la terre du Sahara. 

Je suis sortie en courant à la recherche d’un médecin. Après deux heures de marche et de quête, j’ai fini par tomber sur la tente du Croissant rouge marocain. J’ai trouvé celui que j’ai pris pour un gardien assis sur une chaise vétuste, un morceau de pain à la main. Je l’ai supplié de m’aider à trouver un médecin. Il a esquissé un sourire et m’a répondu : Je suis le médecin. Mais aujourd’hui, je suis plus volontaire que médecin».

Le discours d’Agadir

J’ai repris la parole avec le discours du Roi, mais cette fois celui d’Agadir d’où il a annoncé depuis la salle de la municipalité : «Cher peuple, quand ta décision est prise, aie confiance en Dieu», avant d’ajouter «Demain, tu franchiras la frontière. Demain, tu entameras ta Marche. Demain, tu fouleras une terre qui est tienne». Une journée mémorable qui a mis un terme à toutes les supputations sur une éventuelle annulation ou le report de la Marche verte.

Le jeudi 06 novembre, les préparatifs terminés, chacun était vent debout dans l’attente impatiente de l’ordre royal. 10h32mn. Le défunt Roi appela son Premier ministre Ahmed Osman lui intimant l’ordre d’avancer : «Aie confiance en Dieu, en avant !» 

La traversée

C’est du haut d’une Jeep mise par la Gendarmerie royale à la disposition de la Télévision marocaine que j’ai entamé mon reportage immortalisant une Marche grandeur nature en train de s’ébranler. Vagues humaines sur vagues humaines sans ressac, elle avançait avec force et discipline, scandant Allah Akbar, brandissant des forêts de drapeaux et de corans. La délégation de Ksar Essouk, rebaptisé Errachidia, ouvrant la Marche, était la première à franchir les frontières factices. Je revois encore comme si c’était aujourd’hui comment les dames de cette région de Tafilalt, pures et authentiques, certaines pieds-nus, ont coupé en lambeaux les fils barbelés. 

La Marche devenait procession, à la fois grave et majestueuse. 

Nous nous sommes arrêtés 20 kilomètres plus loin, à 300 mètres du mur dressé par les militaires espagnols. On pouvait suivre à l’œil nu l’activité des camions, des chars et les nids des mitrailleuses. 

Le barrage militaire

Notre volontaire témoigne : «Lorsque nous avons franchi les frontières, la Marche est devenue communion. Nous ne faisions plus qu’un. Nous scandions et implorions le Tout-puissant d’accorder succès et triomphe à notre démarche. Nous marchions au pas sans nous soucier des amas de pierres rocheuses. Prêts à poursuivre la marche jusqu’à Laâyoune. Cinq heures de marche et nous étions face au barrage militaire. La nuit tombée, nous avons fait la fête, chanté et dansé aux rythmes des musiques enjouées de notre pays. Indifférents aux militaires de l’occupation, prêts que nous étions au martyr… 

Dimanche soir, un nouveau discours royal est annoncé».

Le choc du retour

Je me souviens des journalistes attendant avec beaucoup d’appréhension le discours du 9 novembre. Si le Roi ordonnait la poursuite de la Marche, on atteindra le mur espagnol en quelques minutes. Les militaires espagnols allaient-ils ouvrir le feu sur des civils ? Quelle serait alors la réaction du Maroc ? Et qu’en dirait la communauté internationale et comment réagirait-elle ? et bien d’autres interrogations sans réponses…

Mais comme à son habitude, Hassan II allait prendre tout son monde de court, ordonnant aux marcheurs de revenir au point de départ, alors que lui-même regagnait Marrakech. 

Un nuage de tristesse avait jeté son voile sur les volontaires. De joyeuse et enthousiaste, l’atmosphère était passée à une forme indicible d’abattement. Des gens pleuraient, protestaient, refusaient, s’insurgeaient… Ils finiront par se résigner. 

Un vieil homme drapé dans une cape grise me héla : «Ssi Maâninou qu’est-il arrivé au Roi ?». L’homme refusait de tout son être de battre en retraite. Il sortit de sous sa cape un tissu blanc. «C’est mon linceul. Je suis venu pour le martyr», lança-t-il. Bouleversé, j’en ai eu les larmes aux yeux. Je l’ai enlacé en lui susurrant à l’oreille : «Nous sommes dans un navire qui a un Roi sage à la barre. Tu n’as rien à craindre». 

Puis nous nous sommes séparés. Je ne l’ai plus revu.

A Madrid

Le 12 novembre, j’ai été dépêché à Madrid pour suivre les négociations maroco-espagnoles. De là, j’ai envoyé une correspondance TV ou je ne me suis donné à cœur joie pour féliciter le peuple marocain pour sa victoire et le recouvrement de son Sahara. L’Espagne a demandé un délai pour retirer ses soldats, dont l’effectif dépassait les 75.000 militaires, évacuer les armes et les archives et rapatrier ses ressortissants. Le 28 février 1976, les Espagnols retiraient du leur drapeau, les Marocains hissaient le leur. Pour toujours.

Deux wissams

Après la conférence, la volontaire casablancaise est venue vers moi, arborant fièrement le wissam de la Marche verte. Nous étions là, l’un face à l’autre, chacun sa décoration, la mienne au revers de ma veste. «Ce wissam, m’a-t-elle dit, je le ressors de son écrin chaque 6 novembre. Je l’accroche à ma poitrine et j’écoute le discours royal. D’ailleurs c’est ce que je compte faire sous peu quand Sa Majesté prononcera son discours». Puis on s’est quittés avec l’espoir incertain d’une autre rencontre un 6 novembre... Si le destin le veut.

 

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