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Sur fond de pandémie, les Jordaniens, deuxième grands fumeurs du monde, battent des records de tabagisme
En 2019, huit hommes jordanien sur dix de 18 à 69 ans fumaient (cigarettes "classiques", électroniques ou narguilé)
Parmi les plus grands fumeurs de la planète, les Jordaniens ont encore augmenté leur consommation de tabac depuis l'imposition il y a plus d'un an de mesures restrictives pour lutter contre la pandémie de coronavirus.
"De un à deux paquets par jour avant l'épidémie, je suis passé à quatre/cinq aujourd'hui à cause du stress", explique Mounir Shana, vendeur dans un magasin de tabac pour narguilé à Amman.
"Je fume de plus en plus depuis un an à cause des pressions psychologiques dues aux confinements partiels ou totaux", assure ce jeune homme de 24 ans, qui grille cigarette sur cigarette.
Face au virus, les autorités ont établi dès mars 2020 des mesures très strictes, dont un couvre-feu, visant à limiter les mouvements de la population.
"Réconfort"
Selon l'OMS, les hommes jordaniens étaient en 2015 les deuxièmes plus gros fumeurs (70,2%) au monde
Mounir Shana avoue dépenser chaque mois 300 dinars (environ 350 euros) pour sa consommation tabagique.
"Je connais les dangers et je souffre de douleurs thoraciques, mais que voulez-vous? Quand je suis enfermé entre quatre murs chez moi, le tabac me procure un réconfort", confie-t-il à l'AFP.
En 2015, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), les hommes jordaniens étaient les deuxièmes plus gros fumeurs (70,2%) au monde derrière les Indonésiens (76,2%).
Et d'après une étude réalisée en 2019 par le ministère de la Santé avec l'OMS, huit hommes sur dix de 18 à 69 ans fumaient (cigarettes "classiques", électroniques ou narguilé).
Ces chiffres ont encore augmenté depuis le début de l'épidémie dans le royaume où plus de 700.000 cas, dont 8.800 morts, ont été recensés dans une population de dix millions d'habitants.
Selon un sondage réalisé en avril 2020 par le Centre stratégique, qui dépend de l'université de Jordanie, 52% des 2.400 personnes interrogées ont affirmé fumer davantage depuis le début des mesures anticoronavirus.
"Je pense qu'avec la pandémie, la consommation de tabac a augmenté à cause de l'état psychologique" des gens, relève Abir Mowaswas, médecin responsable de la communication au ministère de la Santé.
Selon elle, 56% des décès dans le royaume sont dus au tabagisme: "Chaque année, 9.000 personnes meurent à cause du tabac et des maladies liées à sa consommation. (...) Le tabagisme coûte à l'Etat 204 millions de dinars", soit environ 240 millions d'euros.
En juillet 2020, le gouvernement a interdit de fumer dans les lieux publics fermés mais il suffit de se rendre dans un ministère, un centre commercial ou un café pour s'apercevoir que cette prohibition n'est pas respectée.
Même au Parlement. Un photographe s'est fait houspiller par un député qu'il avait photographié en train d'en griller une en pleine séance devant un panneau "interdit de fumer".
"Protéger les non-fumeurs"
L'OMS insiste ainsi sur la nécessité "de faire des efforts supplémentaires, surtout pour protéger les non fumeurs", insiste Hala Boukerdenna, une responsable de cette organisation à Amman.
Si les Jordaniennes ne sont que 20% à fumer, car la société juge notamment mal une femme se livrant à cette activité, elles sont 75,5% à subir la fumée secondaire, c'est-à-dire celle libérée dans l'air lorsqu'une personne fume.
Or le couvre-feu à 19 heures oblige les maris à être plus tôt chez eux, où ils s'adonnent à leur addiction.
"Content ou pas, mon mari a toujours une cigarette à la bouche (...) Mais le pire c'est qu'il fume à la maison devant moi et nos quatre enfants", confie Hanane, mère au foyer de 37 ans.
"Et quand je lui fais des reproches, il me dit qu'il ne peut pas s'arrêter", ajoute-t-elle.
Depuis février, l'Etat a fait passer de cinq à vingt le nombre de centres de soins pour le sevrage et contre l'addiction. Il a également lancé une campagne sur les réseaux sociaux et créé des lignes d'information téléphonique pour les citoyens souhaitant arrêter de fumer, explique Abir Mowaswas.
Fumeur depuis 33 ans, Mohammad Abou Khadra a choisi un centre dans l'est d'Amman, pour une ultime tentative de sevrage.
Père de cinq enfants âgé de 53 ans, ce chauffeur de car qui souffre de diabète, d'hypertension et d'essoufflement espère que cette fois sera la bonne.
Mais ce n'est peut-être pas gagné. Le Dr Anas Al-Mohtaseb, qui supervise son traitement, a traité 125 patients en 2020 avec un taux de réussite de seulement 22%.