Aphorismes de Nouhad : Gravité et gravidité (2ème partie).

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C?est se dilapider soi-m?me que de gaspiller sa gravit?, ou de la convertir en l?g?ret?.

Si la gravit? a ?t? arr?t?e, et d?cr?t?e, de toute ?ternit?, avec autant de nettet?, dans son immensit?, sa durabilit? et son immuabilit?, c?est pour lester l??tre, de sa l?g?ret?, et en tester, sur terre, l?utilit? et la continuit?.

De prime abord, il est ? noter que la parole qu?on pr?sume innocente, inoffensive ou insignifiante, est on ne peut plus coupable puisque, capable d?atteindre des proportions colossales et d?avoir des retomb?es d?mesur?es sur?l??tre qui peut tra?ner, toute sa vie -et sans doute au-del?- les cadavres de ses erreurs, notamment de ses dires, de ses caprices et de ses nonchalances, de ses insolences et de ses inconstances, de ses imprudences et de ses impertinences.

En effet, a autant de gravit? que de profondeur, de perspicacit? que de sagesse, qui sait que?les jours, gravides, accouchent toujours de quelque gravit?, li?e, en l?occurrence, ? l?oral, qu?on croit commun?ment anodin. Or, la gravit? ?tant ? toute chose essentielle, elle l?est bien davantage ? la parole car?la cloche du vide n?est jamais gravide, ? l??crit comme ? l?oral, et?ce qu?on ?crit avec sa langue n?est pas moins grave que ce qu?on ?crit avec sa plume, et ? fortiori avec sa pens?e et ses sentiments, responsables de tout ce qu?ils signent et gravent, sur la page blanche de l?existence, de tout ce qu?ils y font couler et mouler comme acte ou parole.?Le caract?re plus d?tendu et plus d?contract? de l?oral ne lui ?te ni son poids ni sa teneur, et de ce fait, ne le rev?t nullement d?impesanteur.

De fait, sur le plan de la gravit?, le monde des id?es n?est pas de reste, vu qu?il n?est d?nu? ni de gravit??ni de r?flexion : au-del? des actes et des paroles, nos pens?es ont autant d??paisseur, de consistance et d?influence sur le monde, ce sont elles qui agissent sur lui, en agissant directement sur eux, d?clenchant ainsi le cycle de leur f?condit? et de leur gravidit?.?Nos actions ne sont que le reflet de nos r?flexions qui s?amoncellent et se clarifient, se personnifient et s?unifient avant de s?affirmer et de former des faits.

Et si la l?g?ret? nous fait manquer le coche de la r?flexion et de la gravidit?,?il ne nous faut, alors, compter ni sur notre veine ni sur notre d?veine, nos chemins ?tant d?pourvus d?aimant et de gravit?. Il ne nous faut compter que sur nos penchants et nos d?sirs profonds qui d?finissent inexorablement notre dignit? et notre gravit?.?L?erreur, ?tant souvent l?ach?vement de la l?g?ret?, elle peut ?tre, malheureusement ou heureusement, le signe de l?av?nement du remord, de l??ge du regret et de la gravit?.

Quoi qu?il en soit, la l?g?ret? est cette quantit? de mati?re qui exc?de la contenance de l??tre, qui d?borde de son vase pour s??vaporer ou se d?verser au-dehors?;?ces ?nergies exc?dentaires ne sont ?vacu?es qu?une fois l??ge de responsabilit?, diff?rent chez chacun, est atteint.?Ce sont des forces, des facult?s et des sentiments qui ne demandent qu?? ?tre employ?s, c?est un trop-per?u trompeur et superflu, un comble et une surabondance, semblables ? des carences car, aussi ingrats qu?elles.

Quand la r?flexion devient aussi m?re, aussi grave que l?exige la gravidit? de la conception, elle accouche d?id?es grandissimes qui aimantent et ensorcellent,?telles le gravidisme du charisme qui enchante et fait graviter des millions de vies autour de lui. Quand on est grave, c?est qu?il y a un trop-plein d??nergie, constructeur ou destructeur, voire un danger alarmant, qu?il faut ?vacuer, et?c?est ? travers cette ?minence, cette imminence et cette permanence, que le charismatique arrive ? charrier et ? satelliser les foules.

Quand les deux gravit?s, naturelle et acquise, entrent en lice, en discussion et en communion, elles entra?nent un mouvement, un rayonnement et une puissance divins -ou diaboliques- qui donnent de l?ascendant et de la supr?matie.

Mais?la gravit? qui nous force ? la lucidit?, ? la pens?e profonde, ? la prise de position, ? l?acceptation ou au refus, ? la d?cision, ne peut manquer ni d?admirateurs, ni de d?tracteurs.?D?o? les ?ternelles railleries, appr?hensions et conduites d??vitement, qui d?notent une peur rationnelle ou irrationnelle, de tout ce qui n?est pas joie ou divertissement,?du solennel qui nous terrifie et nous paralyse, nous confrontant ? l??tendue de nos manques et ? l?inanit? de nos vies, qui risquent de passer ? vide, sans responsabilit? et sans utilit?.

On lui doit, pourtant, ce qu?il y a de mieux en nous, ? la gravit?, ? ce souffre-douleurs, souvent en butte aux mauvais traitements, m?me si on doit admettre qu?elle p?tit, des fois, de ses exigences et de ses contraintes endog?nes, tout autant que de l?autorit? les accompagnant et r?sultant de l?insatisfaction des tendances et des besoins dont elle ne saurait se s?parer.

Force nous est de constater, cependant, que?ce sont les grands ?tres qui donnent de la gravit? aux petites choses et les petits, de la l?g?ret? aux grandes. Notre compr?hension, notre estimation et notre appr?ciation des choses, ne sont que les reflets de notre volume, de notre ampleur et de notre ?tendue.?La gravit? ?tant le contraire de l?indiff?rence, du badinage, de l??tourderie et de la mondanit?, elle est le d?but de la sagesse et sa qu?te, un d?but de construction fragile, s?il n?est conserv? par cette m?me gravit? qui l??bauche, le charpente et l??taie, en vue de le mener, en toute s?curit? et s?r?nit?, mais non sans gravit?, ? terme.

Seulement,?quand on fait le chemin du retour, celui de la vie vers la mort, on doit penser avec gravit?, ? ne pas retourner bredouille, ? apporter ce qu?on est all? chercher ? l?aller, ? la naissance, le sens, l?utilit? et la gravit? de la vie, et non sa vanit?.?Il ne faudrait, en aucun cas, revenir les mains vides, mais rapporter une existence, sinon glorieuse, du moins pleine et f?conde, ne manquant ni de substance, ni de gravit?.

Si notre vie ?tait pourvue -m?me dans la convivialit? et l?enjouement, la joie et l?all?gresse- de plus de vertu et de gravit?, ses contenus, du reste, normaux, elle serait moins p?nible, moins escarp?e et plus facile ? escalader.?Une id?e d?nu?e de gravit? est une id?e incons?quente,?c?est une id?e ch?tr?e de son r?le car elle est ? cent lieues d?accomplir son devoir naturel?;?elle ressemble ? une surface d?nud?e, ind?cente et non drap?e de sa couverture, ? un espace non meubl?, ou du moins, dont les meubles demeurent oisifs.

En fait, sans gravit?, on est sans consistance, sans saveur et sans ?motion, en t?moigne?le gravide qui est perceptible ? la gravit? qu?il prend, durant sa gestation, ce qui d?couvre d?ailleurs le vide qu?il cesse de porter, et d?nonce le vide qu?il cesse d??tre, ou autour duquel il cesse de graviter.?Acqu?rir de la gravit?, c?est acqu?rir de la maturit?, les deux ?tant indissociables et compl?mentaires?; c?est avoir du flair et de l?acuit?, du tact et de la finesse, de la sensibilit? et du feeling, sentiments exigibles, pour anticiper tout ce qui peut blesser ou offusquer, heurter ou affecter, l?Humanit?.

Comment imaginer, un seul instant, pouvoir ?chapper ? l?exactitude, ? l?ordre et? ? la gravit? o? nous vivons, ou impun?ment leur d?sob?ir???Il n?y a que la l?g?ret? ? le croire, cette irr?flexion qui rend b?ant le vague de notre ?me et de notre intellect, cette ouverture qu?il faudrait d?cemment remplir puisqu?elle ne renferme pas ce qu?elle devrait normalement contenir, cette br?che qu?il faudrait colmater, ce flou qu?il faudrait pr?ciser, clarifier et nettement cerner. La l?g?ret? est un espace am?nag? ? l??dification, une solution de r?vision, de rectification et d?am?lioration.?C?est une ??pr?-m?ditation ?, de par sa pr?m?ditation car, en s?adonnant d?lib?r?ment ? ses d?sirs, l?inconsistance nous invite, tous, ? plus de r?flexion et de mesure.

Chacun de nous contient un vide ou des vides -pour peu qu?on ne constitue pas un vide, enti?rement- dans le sens o? on serait vacant et pr?dispos? ? accepter toutes les constructions qu?on peut faire de soi. Cela souligne le primat du choix et de la responsabilit? de chacun.?En d?testant sa gravit?, on la perd d?avance, c?est une gravidit? qui vaut plus que sa dot?; o? manque la gravit?, l?effort salutaire, l?effort v?ritable de la survie, dispara?t.?C?est se dilapider soi-m?me que de gaspiller sa gravit?, ou de la convertir en l?g?ret?.

En poussant la gravit? jusqu?au scrupule, en en faisant une inqui?tude excessive, un examen de conscience, n? du doute et de la crainte de manquer ? son devoir, en l?entra?nant de correction en correction, en en faisant une exigence morale mue et inspir?e par un sens aigu de la droiture et de l?honn?tet?, en en faisant un travail quotidien qui l?obs?de et le harc?le s?il ne s?y pr?te pas, l??tre en qu?te de gravit?, en fait une seconde nature,?ce qui devrait d?clencher des crises ? d?inconscience ? et ? d?inconstance ?, et nous apprendre que le vide accepte toutes les graines, mais que ce sont bien les bonnes qui le rendent gravide.

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