Au Sénégal, des foules d'élèves inconnus de l'Etat, reconnus par l'école

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L'agent municipal Yaya Diedhiou consulte les registres d'état civil au dépôt d'archives de la mairie des Parcelles Assainies à Dakar, le 19 juillet 2024. Des centaines de milliers d'élèves étaient menacés de disqualification aux examens de fin d'études élémentaires et secondaires qui ont débuté fin juin, faute d'acte de naissance. (Photo par SEYLLOU / AFP)

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Lassou Samb a vécu normalement jusqu'à 12 ans sans existence légale. Et puis le fait de n'avoir pas été déclaré à la naissance l'a rattrapé, comme beaucoup de Sénégalais, au moment des examens scolaires qui battent leur plein.

Des centaines de milliers d'élèves passent jusqu'à mercredi les épreuves sanctionnant un cycle de leur scolarité: baccalauréat, brevet ou, comme Lassou Samb, certificat de fin d’études élémentaires (CFEE) pour monter de CM2 en sixième. Lui, bien que scolarisé, a failli ne pas pouvoir se présenter, faute d'un indispensable acte de naissance.

Cette période fébrile pour les enfants et les parents remet chaque année en lumière une problématique majeure, non seulement au Sénégal mais ailleurs en Afrique: le non-enregistrement des naissances à l'état-civil, avec des conséquences très concrètes sur leur existence et sur les politiques publiques.

Membre d’une fratrie de six enfants nés au village, Lassou Samb est le seul à ne pas être déclaré.

"Je n’y comprends rien", se désole-t-il. "Notre directeur me convoque souvent dans son bureau pour me rappeler que je n’ai pas encore amené mon extrait de naissance mais je ne sais pas quoi lui répondre".

Le garçon "est né avec une fracture à la main à une période où les temps étaient durs pour nous", raconte son père Malick Samb, ouvrier. "La priorité était alors de le soigner."

Comme les précédentes, les nouvelles autorités issues de la présidentielle de mars sont passées outre à la règle et ont autorisé les enfants comme Lassou Samb à passer leur examen.

Acte fondamental 

"Il n’est pas question de sacrifier doublement ces enfants: d’abord en ne les déclarant pas à la naissance et ensuite en les empêchant de passer leurs examens parce qu’ils n’ont pas de papiers alors qu’ils n’y sont pour rien", a dit le ministre des Collectivités territoriales, Moussa Bala Fofana.

Sur les plus de 300.000 candidats inscrits au CFEE, presque 70.000 n'avaient pas de pièce d’état-civil, selon la Direction des examens et concours.

Déclarer une naissance, presque une évidence en Europe (98% des naissances selon un rapport de l'OMS en 2024), n'en est pas une en Afrique (44%). Un rapport de l'agence onusienne pour l'enfance Unicef indiquait en 2022 que la naissance de près de 91 millions d'enfants en Afrique subsaharienne, soit plus de la moitié d'entre eux, n'avait jamais été enregistrée.

Or la déclaration est reconnue comme un premier acte fondamental pour la protection des droits et l'accès aux soins, à l'éducation ou à la justice. La tenue de l'état-civil est aussi un outil essentiel à la planification, de la santé publique ou du développement, par les gouvernements.

L'Unicef explique la non-déclaration par l'éloignement des bureaux d'état-civil, le manque de connaissance, la coutume et, dans certains pays, l'existence de pratiques discriminatoires et les frais à payer.

Certains parents négligent ou ignorent l'importance de l’état-civil alors qu’ils ont jusqu’à un an pour déclarer gratuitement leur enfant après sa naissance, regrette Aliou Ousmane Sall, directeur de l’Agence nationale de l’état-civil. Passé ce délai, ils doivent demander au tribunal un jugement d’autorisation d’inscription, en plus de payer les frais (4.000 FCFA, six euros).

Tricheries 

Les procédures peuvent s’étaler sur plusieurs années, à cause de la difficulté d'accès aux services, de la vétusté des équipements ou du manque de formation des officiers.

"Pour la plupart de nos pays africains, il a fallu une transition de l’Etat colonial à l’Etat post-colonial. De ce fait, pas mal de dispositions n’ont pas été prises à temps. Nos Etats ont hérité d’un état-civil qui n’était pas bien structuré", retrace Oumar Ba, président de l’association des maires.

Les carences de l'état-civil sont propices à la fraude. Seydina Aïdara, 23 ans, raconte comment, au moment de passer son bac, il a découvert que son numéro de déclaration à l'état-civil avait été usurpé par quelqu'un d'autre, ce qui l'avait empêché de se présenter. Le soupçon de trafic de numéros est répandu.

Pour Lassou Samb, l'élève de CM2, un acte de naissance lui permettra plus tard d’obtenir une carte d’identité, un passeport, ou le permis de conduire.

Mais son père raconte mener d’interminables démarches pour le faire enregistrer, en vain jusqu'à présent. "Mon fils me demande chaque fois: + Papa où est mon extrait ? + C’est vraiment pénible", se désole-t-il.

L’Etat du Sénégal a lancé un programme de modernisation et de digitalisation de l’état-civil qui devraient faciliter l'accès et parer les fraudes. Dix-neuf millions d’actes ont déjà été numérisés, selon M. Sall. "Avec ce programme, ce sera bientôt la fin des problèmes", promet-il. (AFP°



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