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Sahara : Le variant allemand
Entrée de guillaume II à Tanger le 31 Mars 1905
Depuis la reconnaissance américaine de la pleine souveraineté du Maroc sur son Sahara, un dossier que la communauté internationale à travers l’ONU s’est habituée à traiter à intervalle régulier depuis près d’un demi-siècle, a connu un emballement comme rarement auparavant. Par son ampleur et son impact, la reconnaissance américaine a eu l’effet d’une énorme pierre dans la mare. Elle a perturbé le jeu, créant une réaction concentrique en chaine, contraignant les uns à dévoiler leurs cartes, les autres à sortir du bois.
Dans ce dossier, on s’est fait aux intervenants classiques. L’Algérie bien sûr et derrière elle l’Union Soviétique reconvertie depuis 1991 en Russie. Les Etats Unis qui ont longtemps exaspéré Rabat par leur ambivalence. L’Espagne à la neutralité forcément douteuse et la France qui assure le service minimum pour plaire un peu au Maroc sans trop déplaire à l’Algérie. Jusque-là cet état de ni paix ni guerre, ni solution ni affrontement ouvert, semblait arranger tout ce beau monde qui trouvait son compte dans cette situation où le Maroc ne peut vaquer entièrement à ses préoccupations, ni l’Algérie dormir tranquillement sur ses deux oreilles.
En présence de ces acteurs endémiques, tout était ainsi tantôt mal tantôt bien dans le moins pire des mondes. Jusqu’au jour où l’administration américaine a tranché le débat en faveur du Maroc. Sans signes avant-coureurs, du moins pour le commun des mortels, un agent dormant, le variant allemand, que l’on croyait sinon bénin du moins loin du problème, se manifeste abruptement. Il y avait bien sûr, en janvier 2020, l’exclusion incompréhensible du Maroc de la conférence de Berlin sur la Libye, une hostilité que l’on pouvait croire gratuite. Et auparavant le représentant personnel du Secrétaire général de l’ONU, l’allemand Horst Koehler qui jette l’éponge au deuxième tour de piste, démission attribuée à des raisons de santé, mais appelle désormais d’autres lectures à la lumière des évènements qui se sont précipité avec la convocation par Berlin du Conseil de sécurité, équivalant à une condamnation de la reconnaissance américaine.
On a beaucoup parlé de l’intérêt allemand pour jbel Tropic au large de Dakhla qui recèlerait des minerais, menaçants pour l’industrie automobile allemande, épine dorsale et fer de lance de l’économie germanique, s’ils venaient à tomber exclusivement sous la coupe américaine. Mais le Maroc a aussi de bons vieux souvenirs avec l’Allemagne, actuellement un important partenaire commercial. L’intérêt germanique pour la région et particulièrement pour l’empire chérifien remonte à une autre conférence de Berlin, celle de 1884-1885 où la boulimie territoriale de la dominante Europe, coloniale, vorace et insatiable, a procédé au partage du reste du monde, cause principe de la première guerre mondiale.
Evincé du Maroc par «l’Entente cordiale » de 1904 entre la France et la Grande Bretagne, l’empereur allemand Guillaume II, très remonté, fait, le 31 mars 1905, une entrée spectaculaire sur son cheval à Tanger, aux allures de parade, pour faire prévaloir les « droits » de son pays sur le Maroc. Le monde est alors au bord de l’abime. Seule la conférence d’Algésiras de 1906, réunie dans le sillage de ces évènements, a pu reporter l’affrontement à 1914. Le conflit franco-germanique sur le Maroc ne s’arrêtera pas pour autant et se poursuivra par intermittence jusqu’au 1er juillet 1911, date à laquelle l’Allemagne a dirigé sa canonnière SMS Panther sur Agadir. La crise ainsi ouverte se termine par le traité franco-allemand du 4 novembre 1911. En contrepartie de sa liberté d’action au Maroc, la France cède à l’Allemagne des territoires en Afrique équatoriale, au Congo et au Cameroun.
Les défaites allemandes, première et deuxième guerre mondiale, vont mettre en veilleuse pour longtemps les ambitions internationales de l’Allemagne. Mais de nouveau importante et désormais première puissance économique européenne, Berlin est sorti de sa latence expiatoire et entend reprendre son rôle là où il l’a laissé en 1911. Par fétichisme, par atavisme, mais surtout par gros intérêts, les Allemands donnent la nette impression de ne pas vouloir se laisser distancer dans ce qui se trame et se dessine pour nous tous dans cette région qui va du Maroc à la Libye. Devrions-nous en inquiéter ? Sans nul doute !
C’est une lapalissade et un basique que les rapports inter-Etats sont commandés par les intérêts et que dans les relations internationales, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Ce serait de l’angélisme, ce qui est loin d’être le cas du Maroc, de croire qu’une quelconque puissance ait pour l’instant un quelconque envie à ce que le problème du Sahara trouve une solution. Pour tous les protagonistes, amis, ennemis déclarés ou mi-mi, la persistance de ce foyer est le meilleur moyen de garder un fer au feu et un outil de pression efficace aussi bien sur le Maroc que sur l’Algérie qui prétend à un rang d’Etat-pivot dans la région, refusant de comprendre que la vision « prussienne »qu’elle de son existence fait seulement le jeu des vraies puissances.
Depuis Alger, on entendra bien évidemment la tonalité inverse. Mais sans trop revenir sur l’histoire, des deux pays c’est bien le Maroc qui a fait le plus de concessions en vue de trouver un terrain de cohabitation en bonne intelligence. Les revendications territoriales du Maroc, fallacieusement taxées d’expansionnisme, reposent sur une réalité historique, géographique et juridique que la France, qui a fixé les frontières dans la région, et l’Espagne qui en a bien profité, ne connaissent que trop bien. Mais le Maroc prenant acte de l’état des lieux postcolonial a fini par un sens aigu de realpolitik par se rendre à « l’évidence » de l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme chère à l’Algérie et à bien des Etats africains.
Rabat ne l’a jamais dit aussi explicitement, mais c’est à cela que revient dans les faits la reconnaissance la Mauritanie en 1969, puis la signature le 15 juin 1972 à Rabat de la convention maroco-algérienne sur les frontières. Au Sahara occidental marocain, l’Espagne a bien tenté de rééditer le coup des entités préfabriquées à la mesure en tentant d’y créer un Etat ex-nihilo, projet dont l’Algérie a pris le relais sans considération aucune pour les efforts du Maroc qui a trouvé un terrain d’entente, avec la Mauritanie conformément au vœu du président algérien Houari Boumediene. Et c’est encore Rabat, sur incitation du Conseil de Sécurité de l’ONU, qui, bien des années après, a fait l’offre la plus sérieuse, la plus pragmatique et la plus crédible d’une solution politique en proposant un projet d’autonomie. Dès lors comment ne pas comprendre le Souverain du Maroc, le Roi Mohammed VI, lorsqu’il fixe à ce seuil le plafond de ce qu’il peut céder sur ce « lambeau » de territoire, l’expression est Abdellah Laroui, qui lui reste, dans le sud de son pays, de ce que fut l’empire chérifien. L’Allemagne brimée, divisée, amputée avant qu’elle ne retrouve son unité et partie de sa grandeur devrait comprendre mieux que d’autres cette situation. Le reste est une histoire de négociation, d’intérêts bien compris et de coopération mutuellement fructueuse.