Politique
Al Adl Wal Ihsane sur la voie du révisionnisme
Abdeslam Yassine en villégiature au milieu de quelques unes de ses émules à la forêt de Maamora. Il n’aurait jamais pensé qu’elles chercheraient à la dépasser et à revenir sur sa ligne
Cheikh Yacine était bien plus que le guide spirituel du mouvement de Jamâa Al-adl wa al-ihsan, veillant à l’éducation de l’âme de ses membres, et définissant la relation entre les objectifs stratégiques et les étapes tactiques pour les atteindre.
Il était donc normal que sa disparition attise la curiosité sur l’évolution de la Jamâa pour voir quelle voie elle allait prendre après le décès du cheikh qui n’a pas été un chef ordinaire, mais un leader consubstantiel au Mouvement, à l’origine de sa genèse, la dynamo de son développement et le garant de sa pérennité.
Quoi qu’on ait dit de son intransigeance à l’égard de l’Etat et de sa légitimité religieuse et politique, il n’admettait jamais que son opposition politique se mue en alignement sur les intérêts de pays étrangers. En dépit de la virulence de sa critique politique de l’Etat et de sa structure, son réquisitoire était plus acerbe encore contre toute dépendance de pays étrangers et de soumission à leurs agendas.
Ce prélude, qui n’est pas un éloge de ses positions, car j’ai de profondes divergences avec les postulats de la pensée du défunt et avec sa conduite politique, mais un rappel dicté par des glissements dangereux constatés dans les prises de position de figures influentes de la Jamâa sur les réseaux sociaux. Marquées par une confusion dans le rapport de l’intérieur à l’étranger, il en découle une ambiguïté qui révèle une grave déviation par rapport aux fondamentaux de la Jamâa et à sa conception de la relation entre la politique domestique et les desseins de l’étranger.
Dans ces distorsions, quatre indicateurs au moins sont significatifs. Le premier concerne la position de certains leaders de la Jamâa au sujet de la crise entre le Maroc et l’Allemagne. Le deuxième se rapporte à la crise maroco-espagnole. Le troisième porte sur la dévalorisation du soutien du Maroc à la Palestine et de ses aides humanitaires envoyées à Gaza. Quant au quatrième, il concerne leur comportement lorsque des responsables de la jamâa ont pris contact avec l’ancien président du Bureau politique du Hamas Khaled Mechâal pour le dissuader de prendre part à un meeting organisé par le PJD avec la participation du Secrétaire général du parti et chef du gouvernement Saad Eddine El Otmani.
Bien sûr, la Jamâa est en droit de critiquer la gestion par Rabat de ses rapports avec l’Espagne et l’Allemagne. Naturellement, elle a le droit d’exprimer son point de vue sur l’afflux de près 8000 personnes de Fnideq à Sebta. Il y a, toutefois, une nette différence entre l’expression d’une opinion et l’exercice du droit de critique, et l’alignement sur l’étranger en se mettant au service de son agenda et de ses intérêts. Notamment lorsqu’il s’agit d’un intérêt national décliné souverainement par le Maroc, et incarnant une décision indépendante de l’étranger animée par la recherche d’un traitement d’égal à égal dans la défense de ses intérêts face aux Etats européens.
Certaines figures de la confrérie, dont des proches de leaders au sein du Conseil d’orientation, se sont tellement égarés qu’ils se sont acharnés à cette occasion exclusivement sur l’Etat marocain, sans trouver le moindre motif d’exprimer la moindre critique ni à l’Espagne ni à l’Allemagne. Or, s’ils avaient consulté le commun des experts en relations internationales, ils auraient compris que l’attitude du Maroc participe d’une mutation stratégique dans son rapport avec l’Europe, défendant l’égalité, la souveraineté, l’indépendance et le partenariat gagnant-gagnant. En somme, des fondamentaux dont Cheikh Yacine reprochait l’absence dans les politiques des pays arabes.
Plus navrant est le comportement politique de la Jamâa déterminé par la seule critique du «Makhzen» sans même reculer devant la calomnie. Et peu lui importe si cela sert l’intérêt de l’étranger ou dépasse les limites de l’éthique.
Etat marocain a lié l’accord tripartite (Maroc, USA, Israël) au respect des droits palestiniens et a traduit cet engagement dans les faits à travers son soutien au peuple palestinien. Une solidarité reconnue par des dirigeants du Hamas, dont l’ancien président de son Bureau politique Khaled Mechaal, qui a spécialement salué le Maroc et le Roi du Maroc. Dès lors, qu’est-ce qui peut pousser la Jamâa à ne voir dans la position marocaine qu’un soutien à l’occupation ? Qu’est-ce qui l’amène à vouloir nier au Maroc son noble geste d’envoyer des aides humanitaires à Gaza, que les dirigeants de la résistance demandaient instamment pour résoudre la crise humanitaire de leur peuple ?
L’idiotie politique est telle qu’elle a conduit une des instances de la Jamâa pour le soutien au peuple palestinien,- visiblement désarçonné par la présence de Khaled Mechaal à un meeting virtuel du PJD-, à envoyer un message à l’intéressé l’exhortant de ne pas y prendre part, sous prétexte que Saad Eddine El Otmani est un «normalisateur» et qu’il est du devoir de la résistance de boycotter les normalisateurs jusqu’à ce qu’ils soient absous du « crime » de la normalisation.
Les actes de la Jamâa et les expressions émanant de certains de ses dirigeants sur les réseaux sociaux laissent entrevoir que la confrérie n’a pas uniquement perdu la direction de la Macque, mais, plus grave encore, qu’elle a entamé un révisionnisme politique qui l’a fait entrer désormais dans le labyrinthe de l’absurde.