chroniques
Caricature du prophète : les subtilités de la position marocaine
Le Roi Mohammed VI lors d’une visite au Maroc du président français Emmanuel Macron.
Un incontournable constat de dégage du comportement politique de l’Etat marocain à la lumière de l’enchainement des évènements enclenchés par l’assassinat de l’enseignant français Samuel Paty : Son aptitude, chaque fois que nécessaire, à exprimer ses décisions souveraines indépendamment de leur coût et de leurs conséquences possibles sur ses intérêts supérieurs.
Une démonstration en a été faite pendant la forte tension de ses relations avec la France suite à la tentative d’interpellation au domicile de l’ambassadeur du Maroc de Abdellatif Hammouchi, patron de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire. La fermeté et l’habileté avec lesquelles le Maroc a géré ce bras de fer avait contraint Paris au recul sans autres forme de dégâts.
Rabat avait alors bien compris que la carte de l’interpellation du haut responsable sécuritaire marocain n’était qu’une diversion, cible étant la présence africaine du Maroc que la France a la fâcheuse tendance de considérer comme sa chasse gardée.
La vigueur de la position du Maroc face à son premier partenaire économique renseigne amplement sur sa forte allergie à l’atteinte à ses décisions souveraines. Loin d’être un cas isolé, ce souci quant à la souveraineté, Rabat a eu à démontrer à travers sa promptitude à sortir à plusieurs occasions de son silence sans conséquences notables sur ses intérêts et ses relations.
On se souvient tous de l’instant critique de l’automne démocratique qu’a été le renversement du pouvoir de Morsi en Egypte et comment dans sa foulée des Etats régionaux aux fortes relations avec le Maroc ont essayé de faire pression pour l’amener à écarter les islamistes du carré du pouvoir, de la même manière que chacun se souvient de la décision du Roi, après la démission des ministres istiqlaliens, de maintenir le gouvernement Benkirane en dépit d’une ambiance politique régionale réfractaire à la poursuite de l’expérience islamiste.
La même approche marquera la position du Maroc qui s’en est tenu à son choix démocratique lorsque les élections du 7 octobre 2016 ont consacré l’avance des islamistes sans se soucier des incitations régionales et internationales à s’en débarrasser, ne tenant compte dans sa démarche que de sa propre stabilité politique et sociale.
Cet attachement à la souveraineté de ses décisions s’est par ailleurs éloquemment manifesté au sommet du Conseil des pays du Golfe - Royaume du Maroc quand le Roi a critiqué la politique américaine de fragilisation des stabilités dans la région et revendiqué la liberté pour son pays dans ses alliances. Une position qui s’est traduite juste après par sa visite à Moscou et la conclusion d’ententes stratégiques avec la Russie.
Une attitude identique prévaudra, malgré les pressions, dans la crise entre des Etats du Golfe et le Qatar. Une fois encore Rabat avait fait montre d’indépendance en rejetant l’embargo contre un pays frère. Refusant l’alignement sur une quelconque partie , il a privilégié une position qui lui permettrait la médiation et le rapprochement des points de vue.
Dans le dossier libyen, fidèle à son approche souveraine, le Maroc a observé un positionnement équidistant des forces en présence qui a lui permis de faire de Skhirat un espace de dialogue inter-libyen pour que les parties en conflit puissent résoudre par eux-mêmes leurs différends, loin de toute intervention internationale ou régionale. C’est dans ce sens que Rabat n’a à aucun moment hésité à déclarer son refus de toute immixtion étrangère et constamment insisté pour que l’accord de Skhirat entre les Libyens par les Libyens reste la référence de toute solution.
Dans un registre similaire, tout le monde croyait que Rabat n’interférerait pas dans le cercle étriqué de la politique française qui a pris le parti de soutenir les atteintes à la personne et à l’image du prophète Mohammed (PSSL). Certains ont cru que le Maroc se contentera d’une prise de position à travers certaines institutions du champ religieux tel le Conseil Supérieur des Oulémas. Mais tous furent surpris quand c’est le ministère des Affaires étrangères qui est monté au créneau pour condamner les caricatures du prophète.
Le communiqué publié à cette occasion n’a pas nommément évoqué les autorités françaises. Il a, en revanche, qualifié d’immatures les responsables de la publication des caricatures, et situé la confrontation autour de ces caricatures provocatrices non pas au seul niveau du Maroc, mais à celui de l’ensemble des Etats arabes et islamiques. C’était là un message subtil aux autorités françaises pour les inciter à comprendre que leur persistance dans cette voie à une portée multiple : Qu’elle est de nature à porter préjudice aux intérêts supérieurs de la France, que la confrontation sur ce sujet n’est pas comme l’imaginent les décideurs politiques français et que la France pourrait se retrouver en définitive exposée à des défis imprévisibles.
Le trouble qui s’est emparée de Paris suite aux appels au boycott démontre combien le message marocain est fondé, sachant qu’en même temps que les autorités françaises considèrent que ces appels sont le fait d’une minorité d’extrémistes, elles n’hésitent pas à s’adresser aux Etats arabes et islamiques pour les contenir et interdire les manifestations contre la France.
Le comble du paradoxe dans cette situation, c’est que sans se soucier ou se rendre compte de ce qu’elle a de paradoxale, Macron continue de tweeter qu’il ne reviendra pas sur la publication des caricatures considérée comme une liberté d’expression, cependant que son ministère des Affaires étrangères invite sans vergogne les Etats du Moyen Orient à interdire aussi bien le droit au boycott des produits français que la liberté de manifestation contre la France.
Ce trouble doublé d’une extravagance met en évidence le timing de la position marocaine et les signaux subtils qu’elle comporte sans que l’on sache si la France va pouvoir les capter ou si elle s’enfermera dans le labyrinthe qu’elle s’est inventée sans être sûre de pouvoir en sortir si la campagne de boycott se poursuit dans cette conjoncture politique précaire.