chroniques
Chakib Benmoussa, le sens d’un retrait - Bilal Talidi
Ce qui soulève bien des questions sur l'avenir des Écoles pionnières et les moyens dont disposera le nouveau ministre, Mohamed Saad Berrada surtout que ce dernier n'a apparemment aucune expérience dans le domaine de l'éducation à part celle d’avoir été un bon élève qui a réussi Ponts et Chaussées
Il ne fait aucun doute que le principal message du remaniement gouvernemental est de tenter de combler les lacunes dans certains secteurs et de faire face à des crises chroniques dans d'autres.
Au ministère de la Santé, où Rachid Ben Taleb a été remplacé en raison des trébuchements de la mise en œuvre du projet de couverture médicale universelle et de la gestion de la crise des facultés de médecine, ont certainement pesé. Au ministère de l'Enseignement supérieur, l’éviction de Abdellatif Midaoui s'explique uniquement par une mauvaise gestion de son secteur, ayant provoqué de multiples crises, non seulement avec les étudiants en médecine, mais aussi avec presque tous les dossiers relatifs à l'enseignement supérieur, qu'il a contribué à transformer de situations stables et normales en des foyers de tension et d'instabilité permanents.
L’énigmatique départ de Benmoussa
Toutefois, en ce qui concerne le ministère de l'Éducation nationale, la situation semble plus énigmatique. En effet, le départ de Chakib Benmoussa, reporté à maintes reprises, est intervenu après avoir notamment résolu la crise des grèves des enseignants qui avait duré plus de trois mois l'année dernière, régularisé la situation sociale des enseignants et en apporté un amendement substantiel au statut du personnel éducatif, réforme introduite par Benmoussa dès le début de son mandat ministériel.
La nomination royale de Chakib Benmoussa à la tête du Haut-Commissariat au Plan (HCP), avant même le remaniement du ministère de l'Éducation nationale, suscite diverses interprétations.
D'une part, il devenait nécessaire de remplacer Ahmed Lahlimi, qui avait occupé ce poste pendant longtemps et dont l'âge avancé ne lui permettait plus de diriger ce secteur vital, crucial pour la planification des politiques publiques et la définition des priorités. Lahlimi avait d'ailleurs eu du mal à achever le recensement, et ses déclarations à propos de ceux qui refusaient de participer à ce processus montraient des signes d'impatience et d’irritatioin.
D'autre part, une figure comme Chakib Benmoussa, qui a été ministre de l'Intérieur, ambassadeur du Maroc à Paris, et qui a présidé à l’élaboration du modèle de développement, ne pouvait pas être écarté de la même manière que le ministre de l'Enseignement supérieur. Ces personnalités de haut niveau du type Benmoussa, perçues par le pouvoir politique comme des compétences de premier plan, sont souvent épargnées de toute humiliation ou embarras public. En outre, une grande partie du personnel éducatif attendait ce moment pour démontrer que la réforme de l'éducation ne prenait pas le chemin du succès, arguant que les projets non ou mal étudiés avaient contribué à un climat de tension et de désordre dans le secteur.
Quel devenir pour les écoles pionnières
Ces explications sont plausibles, mais une question de fond demeure : après la résolution des problèmes sociaux des enseignants, Chakib Benmoussa n'avait plus à gérer que quelques dossiers mineurs qui ne risquaient pas de provoquer une nouvelle crise. Par exemple, le dossier des titulaires de doctorats (nouvelle catégorie "chercheur"), qui était en cours de résolution en collaboration avec les syndicats, ainsi que d'autres dossiers sans importance majeure qui étaient également en phase de discussion pour une solution proche. Dès lors, le départ de Benmoussa ne peut pas être attribuée à la crise des grèves, car cela aurait justifié un départ bien plus tôt.
En examinant l'agenda de M. Benmoussa, deux grands axes ressortent : le premier est la réforme du statut du personnel éducatif, et le second est le projet des "Écoles pionnières". Concernant le premier projet, M. Benmoussa n'a pas réussi à imposer sa vision et a dû accepter la mise en œuvre d'une autre approche. Il avait initialement lié l'amélioration des conditions sociales des enseignants à leur engagement dans le succès des Écoles pilotes, mais cette proposition partielle n'a pas été acceptée par les enseignants, qui voulaient une résolution globale de leurs revendications. Finalement, ce projet s'est soldé par un échec pour le ministère et une victoire pour les enseignants.
Quant au second projet, les Écoles pionnières, M. Benmoussa s'est retrouvé face à des contraintes financières très limitées pour le mener à bien. La généralisation de ce projet dans le primaire, ainsi que son lancement partiel dans le secondaire, nécessitent des incitations supplémentaires pour les enseignants concernés, ce que le ministère des Finances ne pouvait plus se permettre après avoir alloué plus de 11 milliards de dirhams à l'amélioration des conditions des enseignants. Ce qui soulève bien des questions sur l'avenir des Écoles pionnières et les moyens dont disposera le nouveau ministre, Mohamed Saad Berrada surtout que ce dernier n'a apparemment aucune expérience dans le domaine de l'éducation à part celle d’avoir été un bon élève qui a réussi Ponts et Chaussées.
La cause la plus probable
Lors de la conférence de presse inaugurant l'année scolaire, M. Benmoussa avait annoncé la généralisation des Écoles pilotes au niveau secondaire. Le gouvernement, par la voix du son. chef et de son porte-parole, a à plusieurs reprises affirmé l'importance de ce projet pour la réforme du secteur éducatif. Cependant, de nombreux obstacles, principalement financiers, remettent en cause sa viabilité. Il sera difficile pour le nouveau ministre, sans lien avec le ministère de l'Éducation, de poursuivre ce projet, d'autant plus que son évaluation par le Conseil supérieur de l'éducation est toujours en cours. Le 14 octobre 2024, le président du Conseil, Lahbib El Malki, a signé un accord de partenariat avec le "Conseil d'évaluation de l'école" en France, pas vraiment un modèle en la matière, pour évaluer la situation de l'enseignement au Maroc, y compris celle des Écoles pilotes.
Il n'est donc pas possible, après la stabilisation du processus éducatif, d'expliquer le départ de Chakib Benmoussa par le dossier de la crise des grèves, car relier cette révocation à ce dossier aurait nécessité son départ précoce. En outre, la grande solidarité gouvernementale avec Chakib Benmoussa lors de la gestion des négociations avec les syndicats pour résoudre le problème a montré que l'autorité politique ne souhaitait absolument pas son départ, même s'il avait montré un certain amateurisme dans la gestion d 'un secteur vit
Ainsi, il est probable que le retrait de M. Benmoussa ait été décidé pour éviter qu'il ne soit confronté à une nouvelle crise insoluble. Son transfert à une institution aussi cruciale que le Haut-Commissariat au Plan lui permet de maintenir une réputation intacte, après avoir résolu la crise des grèves et mis en place un nouveau statut pour le personnel éducatif, ramenant ainsi la stabilité dans le secteur.