Chronique d’une crise : une vraie-fausse entente sapée par un vrai-faux passeport

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Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères marocain et son homologue espagnole Arancha González Laya, le souvenir d’une vrai-fausse entente à l’image du vrai-faux passeport de B. Ghali

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Rabat, 18 mai, citant une source diplomatique, rapportée en « scoop mondial », l’agence France presse (AFP), qui effectue une couverture extrêmement partiale des évènements, indique en fin d’après-midi, que le Maroc a décidé de rappeler son ambassadrice en Espagne, Mme Karima Benyaich.

Le réflexe grégaire de l’Union européenne 

La source n’en dit rien, mais la décision marocaine ressemble à s’y méprendre à une réponse à la convocation, plutôt dans la journée de la même ambassadrice marocaine par Madrid, pour lui exprimer, dit-on dans la capitale espagnole, le "mécontentement" madrilène face à l'arrivée massive de migrants à la ville occupée de Sebta, mouvement qui a commencé lundi 17 mai.  L’Union Européenne, dans un réflexe grégaire, indique que les frontières du vieux continent commencent aux limites des villes occupées que sont Sebta et Mellilia.

En même temps, le Premier ministre espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, est arrivé mardi dans la ville occupée, où il a été accueilli par les huées de quelques dizaines de résidents, selon des images mises en ligne par le journal local. Il devait ensuite se rendre à Melilla, l'autre ville marocaine occupée par les espagnols située sur la côte méditerranéenne du Maroc.

La plus grave crise depuis celle de l’Ilot

A Rabat, le silence diplomatique est de rigueur, mais chacun sait, que les relations entre les deux pays traversent leur plus grave crise depuis celle de l’ilot Leila dans le nord du Maroc en juillet 2002. Tirant alors les leçons de cette crise provoquée par l’arrogance du premier ministre de l’époque, José-Maria Aznar, un nostalgique du franquisme et de ses gaz moutarde, une arme chimique, déversés pour la première fois dans l’histoire de l’humanité sur les populations du nord du Maroc, les deux royaumes se sont attelés contre vents et marées à construire un partenariat stratégique fondé sur le diptyque sécurité et échanges économiques mutuellement avantageux. 

C’est cette entente laborieusement mise en place que Madrid a rompu en accueillant sous un faux nom, muni un vrai-faux passeport algérien, Brahim Ghali, le chef des milices du Polisario qui ont déclaré en novembre la guerre au Maroc meublée, il est vrai, de tentatives de harcèlement de l’armée marocaine et de communiqués d’attaques fictives. Alors que le torchon brûle depuis le reconnaissance américaine de la pleine souveraineté du Maroc sur son Sahara la découverte du pot aux roses pousse Madrid à essayer de minimiser l’évènement expliquant qu’il s’agit de « raisons humanitaires », le chef séparatiste étant atteint de Covid-19. Mais l’argument ne porte d’autant pas que Brahim Ghali est l’objet en Espagne même de poursuites pour viol, torture et crimes contre l’humanité. 

La position de Madrid est sérieusement fragilisée par la clandestinité de l’entrée d’un repris de justice sur son territoire par le faux et l’usage de faux. Le recours à ces barbouzeries indique bien que le gouvernement espagnol est conscient de la gravité de son acte inamicale à l’égard du Royaume voisin et supposé ami. Mais il escomptait, à tort, que cette affaire n’arriverait pas aux oreilles des Marocains. Le temps révèlera sans doute comment cette « fuite » a été concoctée et comment Rabat a pu éventer cette machination. Mais l’affaire commence à faire grand bruit

Une première réaction

 23 avril. Rabat réagit en convoquant l’ambassadeur d’Espagne afin que lui soit communiquée la position et pour exiger de lui les explications nécessaires sur l’attitude de son Gouvernement. Dans son communiqué, le ministère des Affaires étrangères marocain souligne que : 

« Le Royaume du Maroc déplore l’attitude de l’Espagne, qui accueille sur son territoire le dénommé Brahim Ghali, chef des milices séparatistes du "polisario", poursuivi pour des crimes guerre sérieux et des atteintes graves aux droits de l’homme.

« Le Royaume du Maroc exprime sa déception à l’égard de cet acte contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage, et qui concerne une question fondamentale pour le peuple marocain et ses forces vives.

L’attitude de l’Espagne suscite une grande incompréhension et des interrogations légitimes :

- Pourquoi le dénommé Brahim Ghali a été admis en Espagne en catimini et avec un faux passeport ?
- Pourquoi l’Espagne a jugé utile de ne pas en aviser le Maroc ?
- Pourquoi a-t-elle a opté pour son admission sous une fausse identité ?
- Pourquoi la justice espagnole n’a pas encore réagi aux nombreuses plaintes déposées par les victimes ? »

Pour toute réponse, Madrid tergiverse, louvoie, tente de minimiser, feint l’étonnement face au mécontentement du Maroc, parle de « conditions humanitaires ». Ce qui n’a pas l’heur de satisfaire Rabat

Des réactions en chaine

Entre temps, les avocats des victimes des actes criminels commis par le Brahim Ghali déposent une plainte auprès de la justice espagnole pour l'activation du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de ce dernier.

Le gouvernement espagnol confirme, jeudi soir, que le chef des séparatistes du Polisario se trouve en Espagne pour «recevoir des soins médicaux».

Le journal La Rioja précise que Brahim Ghali a été admis à l'unité des soins intensifs de l'hôpital San Pedro à Logrono, dimanche dernier, ajoutant qu’il a été transféré par ambulance de Saragosse et a été admis sous le nom de Mohamed Benbatouch, de nationalité algérienne.

La défense des victimes réclame le déclenchement de l’action publique et une coopération accrue de la police espagnole pour procéder à l’interrogatoire du dénommé Brahim Ghali à l’hôpital, puis à son incarcération conformément au mandat d’arrêt émis à son encontre.

L’association «Amitié hispano-marocaine» de Tarragone souligne de son coté que l'accueil de Brahim Ghali est une attitude «irresponsable » et «regrettable» du gouvernement espagnol, 

«L'attitude du gouvernement dans ce scandale qui met en danger les relations entre l’Espagne et le Maroc est tout à fait incompréhensible et regrettable», souligne-t-elle dans un communiqué, appelant l’exécutif espagnol à « éclaircir les conditions et les circonstances» de l’entrée de ce criminel en Espagne avec de faux documents pour échapper à la justice.

Dans un article publié dans le magazine espagnol "Atalayar", l’expert espagnol Pedro Canales écrit que " l’Algérie, impliquée dans l’entrée du dénommé Brahim Ghali en territoire espagnol sous une fausse identité, le Polisario et l’Espagne qui a autorisé l’accès de cet individu qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen, sont les "grands perdants" dans cette affaire.

Les universitaires, avocats, journalistes, et acteurs associatifs membres de la Plateforme Internationale de Défense et de Soutien au Sahara marocain, dénoncent avec la plus grande vigueur l’accueil du dénommé Brahim Ghali, chef d’un groupe mercenaire, par le gouvernement espagnol sur son territoire, sous une fausse identité, et avec un passeport diplomatique fourni par le gouvernement algérien au mépris de ses propres lois et du droit international.

Les membres de la Plateforme, qui sont au nombre de 3.000 représentant 155 pays, rappellent que le dénommé Ghali est le chef d’un groupe armé séparatiste et terroriste dont la raison d’être est de porter atteinte à l’intégrité territoriale du Royaume du Maroc, un Etat souverain, pour servir l’agenda hégémonique de l’Algérie.

"Atalayar" et les petits calculs de Pedro Sanchez

Revenant sur le sujet, le magazine espagnol "Atalayar", spécialisé dans les affaires du Maghreb, souligne Le gouvernement espagnol n’a pas bien mesuré l’ampleur des conséquences de sa décision d’accueillir le chef des séparatistes du Polisario […] "L'Espagne ne peut se permettre de sacrifier les bonnes relations avec son voisin du Sud pour de petits calculs électoralistes ou politiques", note Pedro Canales, ancien correspondant de plusieurs médias espagnols au Maghreb. Dans les circonstances actuelles, la coordination de la lutte contre le terrorisme, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale, revêt une "importance extrême" plus que la coopération économique, sociale, culturelle ou commerciale, fait observer "Atalayar". "Le Maroc a fait preuve d'une grande capacité en matière d'information, d'enquête et d'opérations antiterroristes, saluée par des pays tels que les États-Unis, la France et l'Allemagne", conclut la publication espagnole.

Pour le géopolitologue français, Aymeric Chauprade, « en acceptant l'hospitalisation du chef des séparatistes du Polisario, le dénommé Brahim Ghali, poursuivi en Espagne pour crimes contre l’humanité, le gouvernement espagnol se retrouve face à "un vrai scandale d’État’’.

Des centaines de Marocains établis en Espagne manifestent dans plusieurs villes pour dénoncer l'attitude des autorités espagnoles ayant permis au chef des séparatistes d'entrer au territoire espagnol sous une fausse identité algérienne.

Le Forum canario-sahraoui, une association espagnole regroupant des citoyens du Sahara marocain et des Iles Canaries, dénonce "le silence et l'ambiguïté" dont fait montre le gouvernement espagnol depuis le déclenchement de l’affaire Brahim Ghali.

Dans ce déferlement des critiques, même le Parti populaire (PP, opposition) demande à l'exécutif espagnol de fournir des explications au sujet de l'accueil et "l’entrée illégale et sous une fausse identité" du chef des séparatistes du Polisario.
Le 19 mai, le juge de l'Audience nationale espagnole Santiago Pedraz décide de rouvrir un dossier pour crimes contre l'humanité contre le chef des séparatistes du Polisario, une information récurrente depuis le début de la crise.

La Maroc tire toutes les conséquences

1er mai : Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, manifeste l’impatience du Maroc et affirme que Rabat attend toujours "une réponse satisfaisante et convaincante" de la part du gouvernement espagnol au sujet de sa décision d'autoriser au dénommé Brahim Ghali, poursuivi par la justice espagnole pour des crimes de génocide et de terrorisme, d’entrer à son territoire.

8 mai. En dépit de toutes les interpellations, le gouvernement espagnol persiste à jouer les étonnés et les surpris, fidèle à sa ligne de minimiser le scandaleux évènement. Une attitude qui exaspère au plus haut point Rabat qui en « prend pleinement acte » affirmant qu’il « en tirera toutes les conséquences. »

« Depuis que l’Espagne a reçu sur son territoire le chef des milices du "polisario", accusé de crimes de guerre et de violations flagrantes des droits de l’homme, les responsables espagnols ont multiplié les déclarations tentant de justifier cet acte grave et contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage.

« En réaction, le Royaume du Maroc tient à préciser ce qui suit :

1. La décision des autorités espagnoles de ne pas aviser leurs homologues marocaines de la venue du chef des milices du "polisario", n’est pas une simple omission. Il s’agit d’un acte prémédité, d’un choix volontaire et d’une décision souveraine de l’Espagne, dont le Maroc prend pleinement acte. Il en tirera toutes les conséquences.

2. L’invocation de considérations humanitaires ne saurait justifier cette attitude négative. En effet :

- Les considérations humanitaires ne justifient pas les manœuvres ourdies derrière le dos d’un partenaire et d’un voisin.

- Les considérations humanitaires ne sauraient être une panacée que l’on accorde sélectivement au chef des milices du "polisario", au moment où des milliers de personnes vivent dans des conditions inhumaines dans les camps de Tindouf.

- Les considérations humanitaires ne sauraient, non plus, expliquer l’inaction de la justice espagnole, alors qu’elle est dument saisie de plaintes documentées.

L’application de la loi et la préservation des droits des victimes ne sauraient se faire aux deux poids deux mesures, ni souffrir d’aucun double standard.

- Les considérations humanitaires n’expliquent pas, par ailleurs, que l’on soit complice d'une usurpation d’identité et falsification de passeport, destinées à contourner volontairement la loi.

- Enfin, les considérations humanitaires ne sauraient annuler les revendications légitimes des victimes de viol, de torture et des violations massives des droits de l’homme commises par le chef de la milice du "polisario".

3. L’attitude de certains responsables gouvernementaux, préjugeant de la réaction marocaine et minimisant l’impact pourtant grave sur la relation, ne saurait occulter cette situation déplorable.
 
4. La préservation du partenariat bilatéral est une responsabilité partagée, qui se nourrit d’un engagement permanent pour sauvegarder la confiance mutuelle, maintenir la coopération fructueuse et sauvegarder les intérêts stratégiques de deux pays. »

Le 18 mai, la tension entre les deux pays monte d’un cran. A suivre. 

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