Culture
Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika - ''J’IRAI AU DIABLE '', UNE VISION ET UN TRAITEMENT ORIGINAUX DE LA MORT ET DE LA VIE
J’irai au diable“ de la réalisatrice tunisienne Ismahane Lahmar,
« Tout est incertain dans la vie ; il n'y a de certain que la mort ».
Alexander Pope.
Le plus intéressant dans les festivals de cinéma sont surtout les moments de cinéma exceptionnels qu’ils offrent au public cinéphile. Ces moments qui nous font découvrir des films qui nous surprennent agréablement par leur originalité. Cela a été bien le cas du film “J’irai au diable“ de la réalisatrice tunisienne Ismahane Lahmar, présenté le mercredi 30 mai 2022 dans le cadre de la compétition LM de fiction de la 22ème édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga.
Y A-T-IL UN SENS A LA VIE SANS LA MORT ?
L’originalité de ce film réside à la fois dans le choix de son thème, éminnement et philosophiquement épineux, La Mort, et son traitement technique et esthétique bien attachant : Najat, une femme dans la quarantaine, apprend la sentance cathégorique de son médecin que ses jours sont comptés. Et au lieu de céder à la peur et la déprime, elle décide de vivre pleinement les jours qui lui restent et planifier sa mort et son deuil d’une manière inédite, au grand dam des membres de sa famille. Refusant d’etre ensevellie et enterrée, son corps laissé en pâture aux vers de terre, elle exige que son cerceuil aille voguer en mer, au gré des vagues. Et au lieu d’une soirée de deuil faite de pleurs et de lamantations, elle décide d’organiser une fête familiale dans la joie et le bonheur de vivre !
Affiche du film j’irai au Diable, sa vision de la mort est fortement inspirée de la philosophie d’Oscar Wilde qui invite à une dialectique combinatoire entre art de vivre et art de mourir
D’emblée, Najat annonce la couleur en affirmant, par voix off, “Depuis mon enfance, je suis amoureusee de la sirène. Parce que sa force est dans sa voix, pas dans sa beauté... Depuis mon enfance, ma mère n'a pas cessé de me recommander que je dois savoir quand consentir un sacrifice. Car un jour, je serais obligée de sacrifier quelqu'un, ou quelque chose qui m’est chère“.
Cette vision de la mort est fortement inspirée de la philosophie d’Oscar Wilde qui invite à une dialectique combinatoire entre art de vivre et art de mourir : “Il est des moments où il faut choisir entre vivre sa vie pleinement, entièrement, complètement, ou traîner l’existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose“, dit-il, est bien originale et inédite dans le cinéma. La réalisatrice semble dire clairement, traduisant à sa manière la fameuse formule de Lavoisier “rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme“ par “rien ne meurt..., tout se régénère“. Du moment que nous savons que notre mort est inéluctable, il vaut mieux l’accepter, courageusement et stoïquement, et dépasser ainsi la vision égocentrique de notre propre mort. Nous ne sommes ni immortels ni indispensables à la continuité de la vie. Le propos du film semble ainsi confirmer ce qu’a dit Mark Twain : “La peur de mourir résulte de la peur de vivre. Une personne qui vit pleinement est prête à mourir à tout moment“. Et cela est bien formulé dans toutes ses contraditions à travers les différentes conceptions, religieuses et philosophiques, des différents protagonistes en présence.
UN IMAGINAIRE FAÇONNÉ DÈS L'ENFANCE
Le choix narratif est explicitement inspiré de l’imaginaire de notre enfance, lui-même inprégné des créations et avatars du monde imagé dont Disney a peuplé notre vision enfantine du monde. Cela est bien rendu à travers le rôle de la petite nièce. Comme il est judicieusement argumenté et enrichi par une ambiance cinématographique alerte et dynamique, combinant intelligemment cadrage, lumière, musique et jeu corporel et émotionnel des comédien. Et, à ce propos, la prestation de la grande comédienne Fatma Ben Saidane est une véritable leçon dans ce domaine ; comme celle de la réalisatrice dans le rôle de Najat aura été un défi bien réussi, à la limite de la provocation gagnée à force d’application et de respect des règles de l’art.
“Ce film est une véritable leçon de cinéma -dit l’un des pionniers de la cinéphilie au Maroc-, avec en bonus, un judicieux choix musical, basé sur le classique Makam Rasd Dail tunisien dont la portée symbolique, à la fois philosophique et religieuse, est bien connue“.
Le débat du film a été vif et animé. Signe d’un produit filmique hautement défendable, bien enrichissant pour la cinématographie africaine. Un film permettant la continuité du débat sur les libertés individuelles, dont celle ultime et primordiale de pouvoir finir notre vie comme nous l’entendons.
Un film dans la lignée des oeuvres les plus originales dans l’histoire de la cinématographie africaine, par le biais duquel la réalisatrice Ismahane Lahmar semble vouloir nous confirmer la parole d’Emmanuel Cocke « Le cinéma c’est l’art de bien faire les choses défendues au commun des mortels ».
Voilà, le débat est ouvert !
Cela me rappelle aussi, dans un registre similaire mais bien différent sur le plan du thème et du traitement, le film “La vie, l’amour, la mort“ de Claude Lelouch, avec le grand comédien marocain, le regretté Hamidou.