Du rififi à la grande mosquée de Paris

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Chems-Eddine Hafis avec Nicolas Sarkozy à la sortie de la Grande Mosquée de Paris

Voici cinq mois, le 11 janvier 2020, l'avocat d'affaires franco-algérien, Chems-Eddine Hafiz, a succédé comme nouveau recteur de la Grande Mosquée de Paris, au Dr. Dalil Boubakeur en fonctions depuis 1992. Une élection pour le moins impromptue qui témoigne des clivages, des dissensions et des luttes intestines au sein de la communauté musulmane de France. 

Ce jour-là, les membres de l'assemblée générale de la Société des Habous et des Lieux Saints - une association de gestion de la Grande mosquée - étaient convoqués avec deux points à l'ordre du jour : le rapport financier 2013 sur l'exercice 2019 et le rapport moral d'activités. Au cours de cette réunion, vient s'ajouter l'élection d'un nouveau recteur. Me. Hafiz, ni intellectuel ni théologien, est alors élu à l'unanimité, le Dr. Boubakeur annonçant sa démission " pour raisons personnelles " en même temps que son soutien à ce candidat. 

Le nouveau recteur a-t-il eu la caution d'Alger, principal bailleur à hauteur de quelque 2 millions d'euros annuels ? Ses détracteurs lui reprochent un coup de force et son soutien jusqu'au bout d'Abdelaziz Bouteflika. Il avait en effet mis sur pied un réseau en France, au sein de la communauté algérienne forte de trois millions de personnes, lors de la campagne pour le quatrième mandat présidentiel en avril 2014. Candidat à la présidence du Centre français du culte musulman (CFCM), le 19 janvier, il se retire le jour même de l'élection remportée par le Marocain Mohamed Moussaoui, invoquant un souci de "consensus"... Personne n'est dupe. Il avait été en effet l'avocat du "Polisario" devant les instances européennes à propos de l'exploitation des ressources naturelles dans les provinces méridionales récupérées, 

Son parcours depuis plus de trois décennies atteste d'une évolution et d'un plan de carrière qu'il faut mettre en relief. Âgé de 66 ans, d'origine kabyle, il s'est inscrit au barreau d'Alger en 1986 puis à celui de Paris en 1991. Son créneau sera celui de la communauté algérienne dans l'hexagone. Le point d'appui, lui, sera la Grande Mosquée de Paris comme conseiller en 1998, avocat, mais aussi comme "activiste" dans plusieurs réseaux (association des avocats algériens en France, puis celles Euro-Maghreb des avocats du droit des affaires ou encore de la Fraternité du barreau de Paris,...). Il sera également nommé membre de la commission présidée par le professeur Jean-Pierre Machelon, nommé par Nicholas Sarkozy, alors ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, en octobre 2005 et qui avait pour mission d'amender les textes en vigueur - dont la loi de 1905 - régissant l'exercice des cultes et leurs relations avec les pouvoirs publics. 

Cette proximité avec l'ancien président français lui vaudra quelques hochets de la République : chevalier puis officier de l'ordre national du mérite 2003 et 2012), chevalier de la Légion d'honneur (2007). Il est également propulsé président de l'association " Vivre l'Islam", productrice de l'émission hebdomadaire de la chaîne de télévision France 2. 

Ce qui était peut-être des atouts dans une autre vie, pourrait-on dire, est devenu pénalisant aujourd'hui. Les engagements politiques du nouveau recteur Hafiz posent problème : avec l'Algérie post- Bouteflika et les avatars qui l’accompagnent ; avec le Maroc par suite de ses positions publiques en faveur du mouvement séparatiste et de leur accompagnement "underground" auprès de centres d'influence et d'opinion en France et ailleurs ; enfin, avec la chaîne publique France 2 où son émission religieuse est régentée de manière éloignée des principes du dialogue et de l'ouverture entre les religions. Plus encore, certains réactualisent ses relations étroites avec le DRS algérien, alors dirigé par le général Mohamed Médiène dit "Toufik" aujourd'hui condamné à 15 ans de prison. C'est qu'en effet, le nouveau recteur de la Grande Mosquée de Paris a bénéficié durant deux décennies au moins de l'appui du colonel Ali Bendaoud, attaché militaire à l'ambassade d'Algérie à Paris jusqu'en 2010 et depuis promu général en charge de la sécurité à la présidence. En France, le DRS s'était doté d'un réseau dans la lutte anti-islamiste avec la mise place d'une "Fédération de la Mosquée de Paris", dotée d'un budget d'un million d'euros pour augmenter et rétribuer ses informateurs. Dans ce dispositif, le nouveau recteur avait un rôle de premier plan dans l'élargissement et le déploiement de cette politique. Lors de son pot d'adieu, à la fin 2009, le colonel Boudaoud s'est dit "fier d'avoir dirigé l'Islam de France... ". 

Avec la présidence Macron, quoi de neuf ? Le CFCM, souvent mis en cause pour son manque de représentativité, s'est vu conforté tant par Gérard Collomb et Christophe Kastaner son successeur au ministère de l'intérieur que par l'Elysée. Parmi les dossiers en instance et à l'ordre du jour, celui du financement de l'Islam de France. L'idée d'une taxe sur le hallal a été avancée, sans suite, le dossier de la formation des imams est remis au premier plan. Le président Macron a annoncé la fin du détachement des imams de pays étrangers en France (120 pour l'Algérie, une centaine d'autres pour le Maroc,...). Reste à finaliser un statut pour ces aumôniers. L'idée qui prévaut est de mettre fin à ce que l'on appelle l'"Islam consulaire", contrôlé par les pays d'origine. Structurer l'Islam en France ? Vaste programme pour surmonter les propres divisions de cette religion et éviter aux Musulmans de ce pays d'accueil de tomber dans les rets des instrumentalisations des uns et des autres.