chroniques
Europe : l’extrême droite et la montée des périls
Onze leaders de l’extrême droite européenne réunis à Milan en 2019 autour de de l’italien Matéo Silvani. On reconnait la française Marine Le Pen et le néerlandais Geert Wilders
Le balancier politique de l’Europe s’est nettement déplacé vers l’extrême droite. On peut le déplorer et espérer voir cette tendance éphémère. Ce qui est sûr c’est qu’elle est là pour un temps et que nos gouvernants doivent, dès maintenant, en tirer les conséquences pour mieux défendre nos intérêts et ceux de nos communautés installées en Europe. Comprendre cette tendance est le premier prérequis pour contenir ses effets qui risquent d’être néfastes.
L’extrême droite européenne ne ressemble plus aux partis nazis de l’après-guerre. Ceux-ci étaient le produit des frustrations de la première guerre mondiale et aux injustices subies par le peuple allemand humilié, sans compter les effets de la crise économique de 1929. Ces facteurs n’existant plus, on a affaire à de nouveaux partis politiques d’extrême droite, dont la politique dépasse la sphère nationale, pour prôner d’autres thématiques xénophobes pour accéder au pouvoir.
Les partis de l’extrême droite se répartissent en deux courants. Les classiques, virulents violents et antisémites qui plaident pour le retour aux vrais valeurs chrétiennes comme la famille la nation et l’autorité. Les néo-populistes qui participent davantage à la vie politique du pays et surfent sur la crise économique à travers deux éléments essentiels, la perte de l’identité nationale et la vague d’immigration.
Leurs thématiques tournent autour d’un discours antisystème et anti-élites. Pour l’extrême droite, les partis politiques, de gauche comme de droite, n’ont pas su défendre la nation et n’ont fait que de l’alternance, en place et lieu d’une vraie politique nationale au service du peuple. Le déclassement des populations et le grand remplacement, réel ou supposé, alimentent cette idéologie à travers des thèmes récurrents comme l’immigration, l’islam, ou la mondialisation, sources pour eux de tous les maux.
Ces partis s’enracinent dans un populisme absolu, qu’il soit protestataire contre les élites en place, ou dans l’idéalisation excessive du peuple. Identitaires et xénophobes, la crise économique est pour eux le terreau de leur épanouissement, et l’immigré la cible et le bouc émissaire désigné. Les amalgames et les raccourcis sont vite trouvés contre les étrangers, même s’ils sont installés depuis des lustres en Europe. Quant aux nouveaux réfugiés qui fuient les guerres et les horreurs dans l’espoir de trouver refuge, ils n’ont pour eux aucune compassion.
Face aux migrants musulmans la peine est alors double. L’Islam s’ajoute aux autres rejets puisqu’il renvoie l’image de tout ce que l’Europe a perdu. Il est le miroir qui lui rappelle son passé de conquête et la disparition du sacré en terre chrétienne. L’extrême droite regrette que les valeurs chrétiennes soient bannies de l’espace public alors qu’à chaque coin de rue elle observe, selon elle, l’obscénité qui s’étale. Si l’Europe peut réguler l’immigration, l’évocation de l’islam, qu’on décrit souvent comme incompatible avec la démocratie, s’avère plutôt problématique et dangereuse pour l’avenir.
L’extrême droite est aussi sévère à l’égard des institutions de l’union-européenne qui privent, selon elle, les nations de leur souveraineté. Elle critique l’abolition des frontières nationales poreuses aux trafics de tous genre, y compris l’arrivée en masse d’immigrés. L’euro, monnaie officielle, devient l’entrave à la croissance et un frein aux exportations. Les interventions de Bruxelles sont vues comme des sanctions qu’on inflige aux pays membres, et on loue le courage des britanniques d’avoir quitté à temps le radeau européen.
Les partis de l’extrême droite européenne font semblant de constituer un groupe homogène au sein de l’institution européenne. Ils sont d’accord quand il s’agit du contrôle des immigrants et des frontières communes. Mais dès que des questions nationales se posent, chacun des partis défend ses propres intérêts nationaux au détriment de l’intérêt général. C’était le cas lors des négociations sur le statut des employés européens détachés en provenance de l’ancien bloc de l’Est pour travailler dans certains pays européens.
L’extrême droite européenne semble aussi oublier que l’union européenne s’est constituée, à juste titre, pour préserver la paix et ne plus revivre les affres des guerres passées. Or leur doctrine, hétéroclite et floue, prône plus la confrontation entre cultures, religions et races, que la concorde et la coopération. Les itinéraires politiques de ces partis sont aussi divers qu’opposés, fonctionnant d’une manière centralisée, sous l’autorité d’un chef charismatique. Leur but ultime reste de consolider les intérêts de leurs nations respectives et réduire l’impact de l’union sur les pays membres.
Ces partis défendent ouvertement les frontières nationales au détriment de l’espace européen élargi. L’union européenne n’intervient jamais pour les rappeler à l’ordre ou leur infliger des sanctions, de peur de leur donner plus de souffle et les rendre encore plus populaires. Les extrémistes savent jouer de cette ambiguïté pour dénoncer, à chaque fois, l’interventionnisme des institutions européennes dans les affaires nationales.
Ces mouvements extrémistes continuent à progresser dans certains pays européens et moins dans d’autres. Ils occupent la scène en Hongrie, Pologne, Italie, France, Allemagne, Autriche et en République Tchèque. Cette même tendance est observée dans les pays scandinaves, longtemps épargnés par ce phénomène. Paradoxalement dans les pays du sud, comme le Portugal l’Espagne et la Grèce, l’extrême droite n’arrive pas encore à bien percer en raison certainement de leur passé de lutte contre les dictatures militaires. Certains de ces partis de l’extrême droite participent déjà à des gouvernements de coalition en Europe.
La montée inquiétante de l’extrême droite est révélatrice de la crise politique que traverse l’union-européenne et du mal-être qui se répand dans le vieux continent. C’est le signe d’une fatigue historique de l’Europe qui ne domine plus le monde et qui cherche à maintenir son rang face aux Etats-Unis et à la Chine. Ceci pousse l’extrême droite à demander à mieux se barricader pour protéger ses intérêts.
C’est donc sur les décombres d’un monde qui se meurt, que fleurissent en Europe toutes sortes d’angoisses aggravées par la nostalgie d’une époque évanescente. L’extrême droite est la résurgence historique de la peur par le biais d’une idéologie rétrograde. Elle remplit ce besoin en proposant à ses adeptes des solutions simplistes à l’emporte-pièces, basées sur l’instauration d’un État protecteur, et une nouvelle redistribution des richesses sur la base de la préférence nationale.
Au lieu d’être la solution, la poussée de l’extrême droite s’avère d’abord le problème pour l’Europe. Elle est, du reste, le signe d’un début du délitement du tissu social européen et de la dégradation des rapports entre les diverses communautés. Ces partis nationalistes, une fois au pouvoir, risquent d’aggraver les relations extérieures avec les autres pays, notamment africains dont des communautés importantes vivent en Europe. Seul un sursaut des démocrates européens peut faire barrage à ce scénario pour immuniser l’Europe des dangers de l’extrémisme fanatique. Quant aux pays liés à l’Europe ils devraient, dès maintenant, prendre au sérieux les risques et défis que représenteront ces partis pour y apporter, en temps voulu, des réponses fermes et adéquates.
13 mai 2021.