France - Élection présidentielle : Un moment crépusculaire – Par Abderrahim Hafidi

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Ce qui se passe probablement avec le président Macron c’est cette image qui lui colle à la peau d’être un président « stratosphérique », « jupitérien » comme il se définissait lui-même, hautain voire méprisant !

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Nous assistons en France à l’occasion de cette élection présidentielle post Covid ce que un des plus grands observateurs de la vie politique française Pierre a Rosanvallon appelle une élection « crépusculaire »
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Paris - Le 10 avril 2022, les Français ont qualifié Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. Un résultat peu surprenant, vu les tendances publiées par les sondages tout au long de la campagne. La réalité est cependant plus nuancée.

En effet, Cette élection, au-delà de son actualité factuelle, représente un moment singulier de la France qui, au fond, en dit long sur l’état de la démocratie française.

Une atmosphère d’abstention

Un des plus grands observateurs de la vie politique française, l’historien Pierre Rosenvallon, qualifie cette élection présidentielle 2022 de « crépusculaire ».

Car, nous dit-il, au terme du premier tour de ce scrutin présidentiel ce qu’on retient, c’est cette impression que pour une majorité de Français et notamment la jeunesse, cette élection a un côté désespérant, voire en quelques sorte une répétition du passé.

C’est qu’au fond, cette élection n’est pas tournée vers des questions d’avenir, et n’ouvre aucune perspective d’où ce sentiment qui flotte d’une abstention prévisible. Cette abstention traduit dans l’opinion un signe de désarroi et de désenchantement.

De l’avis de beaucoup d’observateurs avisés, cet état de fait correspond à un moment crucial de la démocratie française marqué par une sorte de « fatigue » et même « d’usure » de cette démocratie.

On a surtout l’impression que les Français attendent trop de l’élection présidentielle, moment il est vrai clé de la démocratie française, et que dans les intervalles des consultations électorales, le peuple se met en retrait et attend de qui va se passer. Cela devait certainement faire réfléchir sur le fait qu’une élection n’est pas le seul rendez-vous démocratique, que le citoyen intermittent qu’on invite aux urnes tous les
cinq ans doit être associé au quotidien à la délibération qui lui donne le sentiment d’être partie prenante de la délibération collective.
En attendant, c’est bien Machiavel qui semble nous donner la clef de ce second tour : « En politique, le choix se fait entre le pire et le moindre mal ».

À la veille de ce second tour qui s’annonce serré entre le président sortant Emmanuel Macron et Marine Le Pen, une atmosphère d’abstention règne et fait craindre à la classe politique un résultat inédit. Et Marine Le Pen à toutes les raisons de «craindre le meilleur». Non pas que l’opinion placerait sur le même pied d’égalité les deux candidats, mais plutôt qu’il se passe quelque chose avec le président Emmanuel Macron qui n’est pas de l’ordre du rationnel.

Une histoire d’aversion

Et ce ne sont pas les lignes politiques du président -candidat qui en sont la cause, quoi que certaines sont fort discutables. A vrai dire, il se passe quelque chose avec la personnalité même de Macron qui provoque un rejet viscéral. Et c’est la première fois sous la Vème République qu’un président fait l’objet de ce qu’il convient bien de qualifier de sentiment de haine ! 

Certes, on a connu des expressions de rejet et de refus à l’égard des précédents chefs d’État français, (Sarkozy a essuyé les plâtres d’un rejet qui l’a empêché de gagner ne serait-ce que la primaire de la droite en 2016). Mais une aversion d’une violence aussi inouïe à l’égard d’Emmanuel Macron, relevée sondage après sondage, jamais !

Ce qui se passe probablement avec le président Macron c’est cette image qui lui colle à la peau d’être un président « stratosphérique », « jupitérien » comme il se définissait lui-même, hautain voire méprisant !

Par ailleurs, un des traits saillants de la personnalité d’Emmanuel Macron c’est que, à la différence de tous ses prédécesseurs, lui manque un pied ancré dans un territoire. Il n’a jamais exercé la moindre responsabilité élective, fut-elle locale, et avant d’être président il ne s’est jamais frotté à l’onction du suffrage universel, pur produit qu’il est de l’aristocratie bancaire, et donc orphelin de cette expérience du contact avec la société.

Cela l’amène naturellement à produire un discours qui semble abstrait à l’électeur moyen. Nous l’avons vu tout récemment à propos de l’explication qu’il donnait à l’opinion sur l’inflation galopante.
Il s’appuie essentiellement sur un agrégat de statistiques fourni par les experts de l’OCDE là où les Français vivent douloureusement les impacts d’une inflation exponentielle qui a entraîné une augmentation vertigineuse des prix des produits de première nécessité, surtout des carburants !

L’image paradoxale de ‘’Marine’’

Et c’est à rebours de cette personnalité clivante que se situe la personnalité de Marine Le Pen. Certes , la fille du fondateur du mouvement de l’extrême droite peine à se défaire de cette image diabolisée et de son programme d’extrême droite résolument anti humaniste, aux antipodes de son propos qui se veut rassurant (comme dans cette séquence surréaliste sur un marché en province où Marine Le Pen tente de rassurer une électrice d’origine maghrébine qu’elle comprend que des femmes musulmanes arrivées à un âge de raison portent le foulard !!).

Elle n’en demeure pas moins qu’elle jouit d’une image positive proche du peuple, toujours sensible à ses souffrances. En 20 ans, le parti de l’extrême droite a réussi à se hisser au rang du premier parti ouvrier qui capte plus de 30% de l’électorat de moins de 30 ans !! C’est dire, et que dire encore des enquêtes d’opinion qui confirment cette popularité au sein des classes populaires qui trouvent à Mme Le Pen cette qualité : être à l’écoute du peuple !

Tel n’est pas le sentiment qu’expriment les Français à l’égard du président Macron. Toutes les enquêtes d’opinion démontrent une personnalité distante. Pourtant, celui-ci ne manque pas d’aller au contact physique avec les citoyens au risque d’être agressé voir même giflé sous le regard stupéfaits de millions de français comme cela a été le cas il y a en juin 2021 lors d’un déplacement en province, plus précisément dans la Drome.

Le problème de Macron c’est qu’il est perçu comme quelqu’un qui n’écoute pas ; et qui a toujours cette prétention à vouloir constamment (con)vaincre son interlocuteur. D’où l’usage fréquent chez lui de cette phrase chaque fois qu’il est face des citoyens interrogatifs : « je vais vous expliquer…! »

Tout prête, donc, à penser que cette élection ne se jouera pas seulement sur le terrain économique et la qualité de l’offre politique pour répondre aux attentes de l’électeur, mais sur la capacité des candidats à faire montre d’une réelle empathie par ces temps ingrats, d’une sympathie et d’une vraie proximité qui donneraient l’impression aux électeurs qu’ils sont écoutés voir entendus .

Pour gagner cette élection, il reste au Président /Candidat d’aller chercher « avec ses dents » les voix qui ont propulsé Jean-Luc Melanchon a la troisième place, tutoyant le second tour. Même si tout sépare Macron de ce vieux routier de la politique, rompu à l’art de la rhétorique qui fait mouche et dont le programme généreusement radical et bigrement populiste a séduit plus 7 millions d’électeurs.

En choisissant Marseille, « ville monde », pour relancer sa campagne, le candidat /Président semble envoyer un signal gaullien du « je vous ai compris !» Marseille qui pourrait être son laboratoire pour reconquérir un électorat populaire et écologiste qui lui a fait tant défaut !

La tâche sera ardue et le feu des rancunes mal éteint. Mais, plus que jamais il va s’efforcer de croire que «impossible n’est plus français »

Abderrahim Hafidi
Politologue et islamologue
Animateur A France télévision
Paris

 

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