chroniques
Il fait soif ! - Par Seddik MAANINOU
Tout autour, un panorama de désolation s’offre au regard
En fin de semaine, un ami m’a invité à visiter sa ferme dans les environs de Rabat. Après une tournée parmi les nouveaux produits dont regorge cette exploitation, nous avons pris place sur un balcon donnant sur un vaste bassin d’eau aménagé spécialement pour irriguer les arbres. J’exagérerai à peine si j’affirme que sa capacité équivaudrait à des dizaines de piscines olympiques. Un spectacle qui m’a peiné tant il témoignait de la surexploitation effroyable dont sont victimes les nappes phréatiques.
Déjà chagriné en quittant les lieux, je fus saisi une fois dehors d’un profond abattement à la vue d’une ribambelle d’enfants surchargés de bidons d’eau qu’ils puisent dans des puits bien loin de chez eux. Tout autour, un panorama de désolation s’offre au regard ; vaches maigres, terres arides brûlées par le soleil, herbe, quand elle se trouve, desséchée... A perte de vue, il fait soif !
Sécheresse
Seule elle, et ses semblables sont apparemment conscients de la gravité d la situation, la rareté de l’eau c’est leur quotidien
Tout au long de son histoire, le Maroc a connu des périodes de sécheresses aigues provoquant maladies, épidémies, crises sociales, exodes et migrations. Mon père [Hadj Ahmed Maâninou NDLR] raconte dans ses mémoires sur la sécheresse des années 1944/1945 comment «des milliers de têtes de bétails ont péri, les gens se nourrissant d’herbes et de racines d’arbres. Ils ont substitué au sucre le miel s’il se trouve, au charbon le bois, à l’huile la graisse. Les démunis, pieds nus, couverts de haillons, s’entassaient dans les venelles. Souvent les morts étaient enterrés sans linceuls».
Les annales du Maroc renferment de bouleversants témoignages et descriptions des souffrances du pays, périodiquement et grandement, en prise avec la parcimonie du ciel, suscitant tensions sociales et provoquant troubles politiques, affaiblessement de l’Etat central et convoitises des puissances étrangères.
Hassan II a très tôt pressenti l’importance de cette denrée vitale autant pour les hommes que pour la terre. Pour pallier les caprices du climat, il a lancé la politique des barrages pour l’irrigation d’un million d’hectares afin d’assurer la sécurité alimentaire du Royaume.
C’est cette politique, qui avait rencontré l’opposition de la gauche marocaine, qui se poursuit toujours permettant encore au pays de subvenir à ses besoins alimentaires en légumes, fruits, lait et une bonne partie de viandes, d’huiles, de sucre et de légumineuses. Le Maroc a même réussi aujourd’hui une formidable percée sur les marchés étrangers avec l’exportation de deux millions de tonnes de produits agricoles pour une valeur de sept milliards de dollars. L’agriculture contribue à hauteur de 21% au PIB et emploie 40% de la main d’œuvre.
Avis d’experts
Actuellement, la sécheresse est de retour avec une acuité encore plus redoutable qu’il y a 40 ans. A en croire les études prospectives, le pire est encore à venir. Les experts s’accordent à dire que la sécheresse ira crescendo pour atteindre son pic en 2050 et que le Maroc ne sera pas à l’abri de la pénurie d’eau. Le prélude en est la baisse aigue des précipitations, et ses conséquences, l’amenuisement des réserves des barrages, déjà malmenés par l’envasement, et de la nappe phréatique surexploitée. Ce qui expose déjà trois millions de citoyens à une importante rareté de l’eau. L’augmentation sensible des températures de 1,3 °C n’augure rien de bon. Ce contexte bien difficile vient accentuer les répercussions de la pandémie du Covid-19 et la hausse des prix des hydrocarbures.
Barrages et oueds
Le Maroc dispose de près de 150 grands barrages et de 140 petits et moyens barrages qui, outre une vingtaine d’autres en cours de construction, totalisent une retenue globale de 19 milliards de mètres cubes. Mais, sous l’effet de la sécheresse, la retenue globale atteint, chiffres de cette semaine, moins de 4 milliards de mètres cubes. La majorité des barrages sont vides, alors que les deux plus grands barrages du Maroc «Bine El Ouidane» et «Al Massira» sont quasiment à vide. Les cours d’eau de Melouiya et Oum Er-Rabia, les deux plus grands oueds du pays, sont également à sec.
Un agriculteur de la région de Tadla me disait l’autre jour que la culture de la betterave, qui couvrait l’année dernière 10 mille ha, ne dépasserait pas les 4000 cette année en cours. L’explication de cette réduction est à chercher dans l’exploitation irrationnelle des puits non-autorisés, dont le nombre dépasse les 200 mille, avec le risque à terme d’assécher les réserves nationales de la nappe aquifère.
Interrogation
Cependant, je reste confiant. Le Maroc, fort de ses compétences et de ses expertises, saura surmonter cette douloureuse situation. Ce qui n’empêche pas les interrogations : Les Marocains dans leur ensemble ont-ils vraiment pris conscience de la gravité de la crise ? Doit-on poursuivre la construction des barrages ou faudrait-il opter pour une nouvelle stratégie privilégiant la désalinisation de l’eau de mer ? Ou coupler le deux ? Devrait-on taxer les propriétés dotées de piscines et surveiller strictement l’usage de la nappe phréatique sur toute l’étendue du territoire ? Mais plus alarmant est que l’opinion publique, particulièrement urbaine, paraît insensible à la gravité actuelle et à l’horizon de la crise.
Un gouvernement timide
La crise actuelle et les menaces dont elle est enceinte devraient interpeller à plus d’un titre. Et il est urgent de commencer par des campagnes médiatiques à la fois intelligentes et agressives pour sensibiliser les citoyens à changer leur rapport à l’eau. J’en appelle à une «culture de l’eau» qui devrait s’accommoder des exigences qu’impose cette crise hydrique. Sur ce sujet, là où ils devraient se démarquer par une présence constante, les médias publics et privés s’emmurent malheureusement dans un silence coupable, lorsqu’ils ne versent pas dans la médiocrité en rivalisant d’inconsistance à la recherche de scoops absurdes. Le gouvernement pèche par timidité et parait atone, ou inaudible, dans sa politique de communication. La soif guette le pays et ses répercussions risquent d’être incalculables, à fortiori lorsqu’elles se greffent à d’autres problèmes qui accablent des citoyens déjà excédés par tant de contraintes. Ou ne faudrait-il pas craindre la goutte qui ferait déborder le vase ?