chroniques
L’inaptitude de L’Espagne à capter les messages
Le premier ministre espagnol Pedro Sanhez- L’exécutif espagnol n’a pas saisi les signaux discrets de Rabat, en dépit des mises en gardes ses élites politiques traditionnelles plus avisées, contre la perte du partenariat stratégique avec le Maroc
Les développements survenus depuis que l’Espagne s’est empêtrée dans l’affaire de l’accueil sur son territoire du chef des séparatistes Brahim Ghali sous une fausse identité et avec un faux passeport a précipité les relations maroco-espagnoles dans une zone de tension où s’opère un jeu de cartes de pression de différentes sortes.
Le Maroc a indiscutablement asséné un coup dur à l’Espagne sitôt après que ses services de sécurité eurent vent d’informations précises sur l’implication hispano-algérienne dans cette affaire, avec toutes les implications morales, juridiques, politiques et diplomatiques qui en découlent.
L’Espagne, prise d’un trouble conséquent, a reconnu cette machination qui l’a engluée dans un embarras multiforme vis-à-vis de son opinion publique, de son appareil judiciaire et des lois et valeurs européennes elles-mêmes. Sans donner de réponse convaincante sur cette opération préjudiciable au partenariat stratégique avec son voisin du sud, elle s’est contentée de produire argument sans consistance pour convaincre l’opinion espagnole (l’alibi humanitaire), sans oublier que cet argument pour qu’il soit recevable supposait la concertation ou au moins l’information d’un Etat partenaire l’ayant aidée dans des moments critiques à sortir de la crise.
Il est clair que l’Espagne n’a pas estimé à sa juste valeur le coût de ce comportement et n’a pas mis à profit les délais que lui a été imparti par le Maroc, qui exigeait une réponse infirmant, confirmant ou expliquant son acte. En lieu et place, Madrid a opté pour la fuite en avant, arguant que le Maroc cherchait à la mettre sous pression pour l’amener à changer de position au sujet de la question du Sahara, chose que l’Espagne ne saurait admettre, assurait-elle.
Les développements consécutifs ont montré que la réponse de l’Espagne, tout comme ses réactions n’étaient pas bien étudiées. Incapable de déchiffrer le signal, ni en termes de timing ni d’ampleur, elle a répliqué intempestivement à l’afflux de près de 8000 personnes à Sebta, en accusant le Maroc de vouloir inonder l’Espagne et par-delà l’Europe de migrants illégaux et de violer ainsi ses engagements internationaux. Aussi a-t-elle tenté d’exploiter l’arrivée d’enfants mineurs à Sebta pour écorner l’image morale du Maroc, s’appuyant sur l’Union européenne pour isoler le Maroc qui porterait atteinte à la sécurité européenne, essayant de faire croire ses renforcements sécuritaires et militaires à Sebta allaient résoudre le problème.
La réaction marocaine est venue sereine et économe comme l’a si bien résumée la déclaration de l’ambassadrice du Maroc à Madrid : «L’Espagne doit assumer les conséquences de ses actes».
Toutefois, la synthèse de ces événements peut occulter bien des choses qui se passent sous la table. Au moment où elle durcit sa position à l’encontre du Maroc, l’Espagne examine les options qui lui permettraient de réduire l’impact des pertes potentielles au cas où Rabat opterait, sur la base du principe de réciprocité, à nuire à ses intérêts stratégiques.
Devant un horizon stratégique aussi rétréci, le gouvernement espagnol actuel a été obligé de penser à sa sécurité énergétique (approvisionnement en gaz algérien), sans réfléchir à la sécurité stricto sensu. Visiblement, l’arrivée de 8000 personnes à Sebta en l’espace d’une journée ou deux, au cours d’un timing très significatif aux niveaux politique et sécuritaire, n’a pas interpellé les locataires de la Moncloa sur le coût que paie le Maroc pour contenir la migration clandestine, prévenir la menace terroriste d’atteindre l’Europe et lutter contre la criminalité transnationale organisée.
Selon toute vraisemblance, l’exécutif espagnol n’a pas saisi les signaux discrets de Rabat, en dépit des mises en gardes de ses élites politiques traditionnelles plus avisées et mieux expéimentées, contre la perte du partenariat stratégique avec le Maroc, et contre son coût pour la sécurité tant de l’Espagne que de l’Europe. Il n’a pas, non plus, été en mesure de déchiffrer d’autres messages que le Maroc a glissés calmement et discrètement dans ses déclarations. Il en est ainsi de la sortie de l’ambassadeur directeur général des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères qui a évoqué d’autres données importantes fournies par les services de renseignement marocains sur l’infiltration de Brahim Ghali en Espagne, notamment l’implication dans cette affaire de quatre généraux d’un pays maghrébin. Pour l’instant Rabat juge bon de garder sous le coude d’autres données qu’elle rendra publiques le moment venu, pour que ces informations aient un impact sur le débat politique interne en Espagne, et mettre le gouvernement espagnol devant ses responsabilités morales et politiques.
En réalité, ce ne sont pas tant les informations précises et importantes dont dispose Rabat qui intéressent le plus pour l’instant. Le signal le plus important que le gouvernement espagnol est censé devoir le mieux saisir est l’affirmation par le concret de la compétence des services de renseignement marocains. En clair, la perte du partenariat stratégique avec le Maroc aura pour coût la perte de sa contribution à épargner à la sécurité espagnole les menaces terroristes.
L’Espagne, la mieux placée pour évaluer à sa juste mesure le rôle du Maroc, n’a pas vraiment besoin de données fiables sur les efforts déployés par Rabat pour protéger les frontières espagnoles et européennes, et dont les engagements financiers de l’Europe ne couvrent qu’à hauteur de 20%. Elle a besoin aujourd’hui d’examiner ce qui s’est produit à Sebta, avec tout ce qu’il comporte comme significations, non pas uniquement sur les plans sécuritaire et diplomatique, mais aussi au niveau politique. La question des villes occupées du nord que Feu Hassan II, avec sa diplomatie habituelle, appelait l’Espagne à régler à travers la création d’une commission de réflexion mixte, la rigidité espagnole est en passe d’en faire un sujet d’actualité civile et politique à inscrire à l’ordre du jour de la décolonisation.