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Le discours du Trône et ses exégètes – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni
La sobriété des messages royaux plonge les candidats exégètes dans la circonspection totale. Ceux qui malgré tout tentent de les décoder, restent souvent dans des approximations, et parfois tombent dans les spéculations. Mais depuis vingt-trois ans, les plus chevronnés ont compris que les discours de Mohamed VI se lisent au deuxième et troisième degré.
Un des sports favoris des Marocains est de s’ériger en exégètes des discours royaux. La difficulté de l’exercice pour les commentateurs de tous acabits vient du fait que le Roi est un taiseux, donc quelqu’un qui s’exprime très peu, avec un ton toujours neutre, sans volubilité et encore moins de familiarité. Tout le contraire du discours populiste !
Cette apparente discrétion, voulue ou naturelle, épaissit le mystère qui semble entourer chaque mot, chaque phrase. La question reste pendante : est-ce que cette retenue répond-elle au caractère du Roi, moins affable et moins volubile que son père, ou obéit-elle au souci de contrôler chaque mot pour ne point trahir sa pensée ? Une attitude qui s’explique aisément quand on est confronté à une situation aussi délicate que celle qui prévaut à nos frontières.
La sobriété des messages royaux plonge les candidats exégètes dans la circonspection totale. Ceux qui malgré tout tentent de les décoder, restent souvent dans des approximations, et parfois tombent dans les spéculations. Mais depuis vingt-trois ans, les plus chevronnés ont compris que les discours de Mohamed VI se lisent au deuxième et troisième degré. La lecture entre les lignes invite à un balayage de toutes les idées pour les re-contextualiser.
L’injonction qu’il a faite à ses sujets pour les inciter à plus de mansuétude à l’égard de leurs voisins, est un monument du genre. Le Roi était, sans nul doute, dans une grande souffrance en demandant aux Marocains de ne point se formaliser des blessures que les Algériens leur infligent quotidiennement. Il lui en coûte sur les plans moral et affectif d’engager les Marocains à garder la main tendue face à un pays qui fait de la haine du notre sa seule raison de vivre.
Oui, c’est un patriote fervent, et donc doit souffrir pour tous les Marocains et pour chaque Marocain bafoué dans sa fierté. Cependant lui, droit dans ses bottes, il nous convie à nous conformer à sa décision qui se veut un moyen de préserver la « communauté du destin (!?) ». La majorité des Marocains font confiance au Monarque et répondent positivement à l’injonction. Ceux qui restent sceptiques s’imaginent qu’il a dans ses manches de bonnes cartes qui seront étalées le moment venu. Enfin une troisième catégorie est persuadée que le Roi ne se fait aucune illusion sur la fin qui sera réservée à sa proposition. S’il insiste c’est pour prendre date avec l’opinion internationale, et pour pousser l’Algérie à bien exposer son bellicisme.
D’une manière générale, malgré quelques grincements de dents ici et là, la décision royale est belle et bien validée, l’adhésion étant quasi unanime.
La junte militaire sait que la décision du Roi recueille l’unanimité du peuple marocain. Mais quand, après le discours Royal, on a vu les déchaînements de violence des médias et réseaux sociaux algériens, on a l’impression d’assister à la répétition en boucle des scènes ubuesques et déjantées du « Désert des Tartares ». Allons-nous assister à un énième discours nous invitant à une énième fraternisation avec des peuplades qui bafouent toute règle de fraternité ? Pour combien de temps allons-nous caresser l’espoir d’une normalisation avec un voisin qui clame haut et fort qu’il ne nous veut que le pire ? Dans une précédente chronique j’avais rappelé qu’entre Français et Anglais il y avait la guerre de cent ans, ironiquement j’avais souligné que nous n’en étions qu’à la moitié. Alors n’oubliez pas de demander à vos petits-enfants d’être attentifs le moment venu.
À force de répéter la litanie du pardon, les cataplasmes que nous appliquons sur les blessures infligées, n’auront plus d’effet. Aussi faut-il que les Marocains développent une solide armature pour atténuer la férocité démoniaque des insultes et injures, le seul langage qui fait encore sens dans leur culture, leur quotidien.
On dit qu’un chien qui aboie ne mord pas, mais ce n’est pas tant les propos orduriers proférés par leurs officiels, par leurs médias de caniveaux et par leurs réseaux sociaux complètement déjantés qui blessent. Sauf que là nous avons affaire à un chien enragé dont l’agressivité à toute épreuve nuit substantiellement à notre pays. La politique ni guerre ni paix, qu’ils nous imposent nous fait perdre jusqu’à 2,5% du PIB. Depuis 60 ans que la crise perdure, le Maroc déplore une perte cumulée de 1,5 fois son PIB. Accepter insultes et injures est une chose, mais tolérer cet entrave à notre développement, compromettant l’avenir de nos enfants, relève de l’inacceptable, de l’intolérable.
L’Algérie exerce un hold-up permanent sur tout ce qui est marocain. Si nous avons réussi plus ou moins à déjouer certaines tentatives sur notre économie, nous devons déplorer les innombrables agressions sur notre patrimoine culturel, nos valeurs et jusqu’à notre identité qu’ils cherchent à s’approprier.
Bien entendu, ils n’y arriveront pas. Si j’en fais mention, c’est pour montrer que l’Algérie livre une guerre totale au Maroc. Rien ne doit être épargné. Pour eux le Maroc est tout juste bon à la démolition, à la dévastation.
J’ai dit plus haut que le Roi doit être dans une grande souffrance car rien des funestes desseins algériens ne doit lui échapper, et qu’il nourrit légitimement des inquiétudes pour ses sujets. Mais pour ses sujets, les raisons véritables de la mansuétude royale à l’égard de l’Algérie, leur échappent totalement.
On dit que les desseins du Seigneur sont impénétrables, et pourtant tout le monde y croit. De même les desseins du Monarque sont mystérieux, mais tous les Marocains le soutiennent. Ceci n’exclut point les appréhensions, parfois même des inquiétudes.
L’ouverture des frontières est ce qui semble inquiéter le plus les Marocains. Certains vont jusqu’à imaginer que c’est l’événement qui risquerait de précipiter le clash final. En effet, les Algériens qui vont déferler par milliers ou par millions vont être ébranlés dans leurs certitudes en voyant le développement atteint par le Maroc. La haine entretenue depuis deux générations va être démultipliée par l’envie. Le ressenti d’envie sera d’autant plus violent que pendant tout ce temps la junte militaire a fait croire qu’au Maroc, le peuple patauge dans la misère. On s’imagine la cohorte de touristes algériens frappés de stupeur quand ils vont trouver, en grande abondance dans les coins les plus reculés du pays, toutes les denrées qu’ils ne peuvent trouver chez eux, dans les grandes métropoles, qu’après avoir fait la queue des heures durant. Quel traumatisme pour eux de faire le parallèle entre l’indisponibilité de l’essentiel en Algérie, face aux tentations du superflu au Maroc ?
L’arrivée massive de nos voisins, loin d’être une promenade de plaisir, risquerait de cristalliser les frustrations cumulées, et mises en sourdine pendant des décades par leurs gouvernants. Ce cumul de frustrations pourrait amorcer des réactions violentes. D’abord face aux Marocains, dont la relative opulence va écraser leur fierté, et surtout face à la junte militaire qu’ils tiendront pour responsables de leur désastreuse situation.
Au moins sur un plan et un seul, les militaires algériens font preuve de clairvoyance : l’ouverture des frontières est un acte périlleux, aux conséquences incalculables. Comment ce semblant de lucidité balaye-t-il par moment les cerveaux amorphes de ces généraux ? Ici la réalité rattrape la fiction la plus énigmatique. J’ai l’impression que Dino Buzzati, dans le « Désert des Tartares » a réussi, dès 1940, à dépeindre avec beaucoup de vraisemblance le caractère des généraux algériens à travers celui du héros de son livre, le très fantasque commandant Giovanni Drogo.
Drogo a parfaitement sa place parmi la junte militaire algérienne, car comme eux, il semble faire bon ménage avec l’absurdité de la guerre, et ne se rend pas compte du terrible piège, celui du temps qui passe !
Bouznika le 8 Août 2022