Le mimétisme d’Alger à l’épreuve de la crise algéro-espagnole – Par Bilal Talidi

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Le Haut conseil de sécurité algérien a fort probablement estimé que si le Maroc est parvenu à infléchir la position de l’Espagne au sujet du Sahara, rien n’empêchait l’Algérie, forte de ses cartes de pression, de forcer le gouvernement espagnol à revoir sa comptabilité.

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La suspension du «traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération» conclu en 2002 ainsi que le gel des échanges commerciaux avec l'Espagne, suppose que l’Algérie a consciencieusement soupesé ses intérêts nationaux et évalué le coût potentiel des scénarii qui découlent de pareille décision. 

C’est une évidence que cette décision a été mue par la volonté des dirigeants algériens de mettre sous pression le gouvernement de Pedro Sanchez pour l’amener à rectifier sa position au sujet du Sahara, Madrid ayant ouvertement apporté son appui au Plan marocain d’autonomie.

L’Algérie, qui a accusé Madrid de «violation de ses obligations juridique, morale et politique de puissance administrante du territoire », a dans un premier temps tempéré avant de passer à des positions plus tranchées. Elle conjecturait que la nouvelle position de l’Espagne serait contestée en interne par l’opinion publique espagnole et finirait par revenir sur sa décision, épargnant ainsi à Alger le recours à des cartes de pression plus frontales.

Une réaction en deçà des espoirs

L’Algérie a réduit ses livraisons en gaz naturel à l’Espagne, mettant dans le même temps le cap sur Rome d’où elle a tenté d’envoyer un message à l’Europe sous-entendant qu’une éventuelle suspension des livraisons de gaz à Madrid ne viserait nullement les 27 de l’Union européenne qui continuera de s’approvisionner en gaz algérien via le gazoduc alternatif Transmed.

La réaction de l’Espagne à la réduction des livraisons en gaz algérien n’était pas à la hauteur des espoirs d’Alger, Madrid ayant choisi de prospecter des voies alternatives, notamment auprès des fournisseurs américain et qatari, pour ne pas rester otage de la pression algérienne.

Il apparait par-là que l’Algérie n’avait pas l’intention d’aller aussi loin, mais tablait plutôt sur des groupes de pression espagnols proches, tout en agitant certaines soft cards qui l’exonéreraient d’aller plus loin dans l’escalade.

Lire aussi : ALGERIE- ESPAGNE : RETROPEDALAGE ? LE DISCREDIT !... PAR MUSTAPHA SEHIMI

En érigeant la question du Sahara comme un déterminant dans ses relations extérieures, l’Algérie a démontré son obsession pour la manière marocaine dans la gestion de ses crises avec Madrid. Dans la perception du pouvoir algérien, si le Maroc est parvenu à infléchir la position de l’Espagne au sujet du Sahara, rien n’empêchait l’Algérie, forte de ses cartes de pression, de forcer le gouvernement espagnol à revoir sa comptabilité.

Encore fallait-il s’interroger au préalable sur la similitude des contextes et sur l’équivalence des cartes dont disposent les deux pays. Comme par exemple savoir si l’arme gazière pourrait suffire à amener Madrid à revoir sa position ? Ou encore si tous ces calculs pouvaient échapper aux décideurs espagnols pendant les dix mois passés à mûrir leur position au sujet du Sahara ?

Les comparaisons simplistes ont conduit les milieux politiques et médiatiques algériens à croire que les cartes dont disposent leur pays ne sont pas seulement équivalentes à celles du Maroc, mais encore plus dissuasives. Selon eux, après tout, Madrid importe la moitié de ses besoins énergétiques de l’Algérie, qui partage des frontières avec sept pays sub-sahariens, ce qui la prédisposerait à faire un usage plus lourd de l’arme migratoire.

Des cartes erronées

Or, la comparaison a commis l’erreur de se focaliser sur l’inventaire des cartes de pression, lui-même erroné, négligeant le contexte international et régional de leur usage, les sensibilités qu’elles susciteraient et le degré d’effectivité de la solidarité intereuropéenne. Dans ce processus, deux questions sont restées en dehors des radars algériens : Le différend avec l’Espagne pourrait-il rester d’ordre strictement bilatéral ou risquerait-il de dégénérer en conflit opposant l’Algérie à l’UE ? Et y a-t-il une réelle possibilité d’utiliser la carte gazière ?

Le Maroc a joué ses cartes avec l’Espagne avant le déclenchement de la guerre russe en Ukraine, et bien avant la crise des livraisons énergétiques et le renforcement du concept de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Et il en a fait un usage dosé. En dépit de sa crise diplomatique aigüe avec Madrid, Rabat n’a ni rompu ses échanges commerciaux ni gelé sa coopération sécuritaire avec l’Espagne. Dans une partie que l’on savait serrée, le Maroc a évolué en s’adaptant à l’équipe en face, si bien qu’au moment où l’Espagne a tenté de transformer son différend avec le Maroc en conflit avec l’UE, le Roi a décidé le rapatriement de tous les mineurs marocains non-accompagnés, neutralisant habilement l’argument de l’utilisation par Rabat de la carte migratoire.

L’argument de l’équivalence des cartes de pression entre Rabat et Alger, tant en termes d’échanges commerciaux que de coopération sécuritaire, est tout simplement est trompeur. Le volume des échanges entre le Maroc et l’Espagne a atteint, en 2021, près de 17 milliards d’euros, alors qu’il plafonné avec l’Algérie à 8 milliards, y compris les hydrocarbures, ce qui explique pourquoi le gouvernement espagnol a qualifié de «fermé» le marché algérien.

Sur le plan sécuritaire, trois paramètres au moins font la différence entre Rabat et Alger dans leur rapport avec le voisin ibérique. Le premier tient au fait que la conception espagnole de sa sécurité nationale englobe les deux villes occupées de Sebta et Melilia. Le deuxième se rapporte à la menace sécuritaire considérée dans l’acception espagnole plus sérieuse aux frontières avec le Maroc qu’avec celles de l’Algérie. Le troisième tient à l’expertise sécuritaire que le Maroc a accumulée au plan technique et professionnel et dont la compétence en matière de lutte contre le terrorisme a été à maintes fois saluée par les pays européens, les informations fournies par les services marocains de sécurité ayant permis, de l’aveu même de hauts responsables du renseignement espagnol, de déjouer nombre d’attaques terroristes dans ces pays. En contrepartie, l’expertise et l’efficacité algériennes n’ont rien révélé de probant en la matière quand ce n’est pas une persistance du terrorisme en Algérie même, que ses autorité qualifient de ‘’risiduel’’.

Reste les livraisons énergétiques où rien ne permet de trancher si celles-ci représentent effectivement une carte de pression ou si, contexte de crise mondiale oblige, elles sont devenues un boulet en raison de leur imbrication avec des paramètres d’ordre géographique, technique et politique.

Certes, la géographie permet à Alger de couper son approvisionnement énergétique à l’Espagne pour prendre la direction de Rome afin de ne pas tomber dans le piège d’une confrontation avec l’UE. Mais c’est un atout limité. Si l’Algérie, sur le plan technique, est incapable d’honorer ses engagements avec l’Espagne via Medgaz, le gazoduc Transmed la reliant à l’Italie est tout aussi incapable de répondre aux besoins.

Confusion et versatilité

Pour la circonstance, on se rappellera la déclaration  du Président Abdelmadjid Tebboune, à l’issue de la visite à Alger du Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, affirmant que son pays ne couperait pas le gaz à l’Espagne, malgré sa nouvelle position au sujet du Sahara, assurant que l’Algérie sait distinguer entre Etat et gouvernement. A elle seule cette déclaration dit tout de la confusion qui règne dans la prise de décision au sein du pouvoir algérien et de sa versatilité.

La comparaison fondée sur l’ensemble de ces éléments, révèle que la reprise à son compte de la gestion marocaine de son conflit avec l’Espagne ne repose pas sur rien de solide. L’Algérie a choisi un timing très critique, sans en évaluer les répercussions avec la précision requise. Pour avoir ouvert simultanément trois fronts avec Rabat, Paris et Madrid, elle ne semble plus en mesure d’arrêter la transformation de son escalade en une bataille ouverte avec l’Europe dans son ensemble. Sans s’en rendre compte, elle s’est empêtrée dans décisions erratiques et contradictoires. Après promis à Washington par l’entremise d’Antony Blinken de savoir faire la différence entre Etat et gouvernement, Alger a agi au gré des humeurs complétement dans le sens contraire. Et après avoir minimisé, dans une première déclaration, la réaction de la Commission européenne au sujet de la suspension de la coopération commerciale avec l’Espagne, il est revenu sur sa position pour voir dans l’attitude de l’UE des actes «suspects et inadmissibles».

Stratégiquement enfin, il existe une divergence fondamentale avec l’Algérie dans son évaluation des menaces sécuritaires qui agitent la région sub-saharienne. Dans le sillage de la décision des autorités maliennes de rompre les accords de défense avec Paris, du retrait des forces françaises de la région et du renforcement des relations russo-maliennes, l’OTAN, les Etats-Unis, l’UE, le Maroc et les pays de l’Afrique de l’Ouest considèrent que le partenariat algéro-russe fait le lit de l’expansion de la Russie dans la région. 

L’on peut donc raisonnablement déduire de toutes ces données que le comportement de l’UE à l’égard d’Alger sera bien différent de celui observé à l’égard du Maroc lors de la gestion de sa tension avec l’Espagne.