LE NOUVEAU MODELE DE DEVELOPPEMENT : QUELLE EQUATION FUTURE ?

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Le Roi Mohammed VI recevant Chakib Benmoussa, président de la CSNMD au Palais royal de Fès, mardi 25 mai 2021

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Le voilà donc ce rapport tant attendu de la commission Benmoussa sur le Nouveau Modèle de Développement (NMD) ! Il a l'avantage d'être là, un matériau d'étape se voulant en projection sur une quinzaine d'années. Mais pourquoi, pour commencer, cet horizon 2035 ? Trois législatures donc. 

C’est avec des sentiments mêlés qu’on peut l'appréhender. Ainsi, bien peu de choses sur les réformes sociétales devant l’accompagner : un catalogue et une addition de principes "généralistes" (égalité genre, solidarité, statut du citoyen, ...) ne peut constituer une vision. Volontairement sans doute, ce document a tenu à pratiquer un certain évitement pour ne pas heurter et marquer l'altérité avec tel référentiel religieux du PJD - une manière de placer et de conforter un Pacte National de Développement, conclusion finale de ce travail. De même, force est de relever une sorte de minoration de la place et le rôle des structures intermédiaires (partis, syndicats,..). Reste l'accent mis sur l'état des lieux depuis une décennie - le bilan aussi de la gestion des deux cabinets de la formation islamiste. Pas neutre... 

Enfin – et c’est étonnant ! – quelques dizaines de lignes à peine octroyées à la culture, certaines limitées aux " représentations culturelles et la conduite du changement " et d’autres à l’élargissement des " loisirs d’épanouissement ". Un peu court, non ? Ce n’est certainement pas à cet aréopage d’universitaires que l’on rappellera la place et le rôle de la culture dans le développement. Elle engendre une solidarité et une cohésion sociale ; elle favorise l’intégration, le développement des capacités, le renforcement de la confiance, de la fierté citoyenne et de la tolérance ; elle génère un capital social ; elle aide à reconstituer un récit ; elle soutient l’économie par la création directe et indirecte d’emplois, stimulant l’innovation dans d’autres secteurs. Elle crée de la valeur facilitant l’insertion dans une société de la connaissance et du savoir.

Le NMD, à cet horizon -là, se fixe des indicateurs de résultat, quinze au total. L'on en retiendra les plus significatifs. Celui d'une hypothèse de croissance annuelle moyenne de 6% puis…7% en 2030 - mais comment ? Celui d'un doublement du PIB par habitant passant de 7826 à 16000 dollars et partant du PIB national autour de 240 milliards de dollars. Celui aussi de l'emploi formel autour de 80% contre 41 % en 2019. 

Interrogations, paris et défis

Ce qui est mis en relief, ici, c'est un nouveau référentiel de développement adossé à une doctrine, des principes, des engagements des acteurs ainsi qu'un cadre de confiance et de responsabilité. Cela veut dire quoi ? Une "complémentarité entre un Etat fort et une Société forte ". Mais encore ? L'on fait référence à un Etat "visionnaire et stratège", à "un Etat protecteur et régulateur", "un Etat efficace" aussi. Des principes qui ne peuvent qu'entrainer l'adhésion. 

Reste la définition et la mise en œuvre conséquente de cette profonde réarticulation institutionnelle. 

Quant aux "principes d'action communs", ils intéressent une approche résultats et l'impact citoyen, une approche systémique et partenariale et le renforcement des capacités. Il faut y ajouter la place et le rôle de la subsidiarité territoriale, l'innovation et l'expérimentation, ou encore la soutenabilité (impacts économiques, coûts/bénéfices, risques,...). Pour ce qui est des engagements des acteurs, viennent en tête bien entendu les institutions constitutionnelles appelées à "jouer pleinement leur rôle". Comment ? Quant au gouvernement et à son programme, le rapport appelle à "un changement de culture politique en phase avec une interprétation constructive et responsable de la notion de majorité gouvernementale". Là encore, comment y arriver ? Quant à l'administration, elle "doit retrouver sa vocation première d'Etre au service du citoyen " prenant en compte non plus l'"administré" mais le citoyen comme "usager-contribuable". Oui, sans doute, mais que faire pour y arriver ? 

D’autres interrogations sont à relever. La réforme fiscale est traitée a minima, avec beaucoup de prudence ; l'économie de la rente est bien évoquée mais sans la mettre en perspective par rapport à un certain "modèle" qui risque fortement de perdurer ; la question des régimes de retraite est, elle aussi, contournée. Enfin, pour ce qui est au financement de ce NMD, de fortes incertitudes se présentent. Les réformes et les projets proposés nécessitent des financements publics additionnels de 4% par an en phase d'amorçage (2022-2025) et de l'ordre de 10 % ensuite, à l'horizon 2030. 

La stratégie de financement part d'un postulat : celui d'un amorçage réussi générant une dynamique positive et permettant un autofinancement partiel. Mais comment se fera dès 2022 le basculement vers cette première phase d'amorçage ? Par le redressement des recettes fiscales ? Difficile dans la conjoncture post-Covid qui va peser en 2022, 2023 et même au-delà ? Par l'endettement ? Il est déjà important et il pose le problème de la soutenabilité de son augmentation alors qu'il est déjà aujourd'hui de 79 % et qu'il est prévu à hauteur de 81,3 % en 2022 selon le wali de Bank - Almaghrib. Par 1'accroissement alors de l'investissement privé national et international ? Cela fait des décennies que l'on en parle, faute de mesures appropriées. Va-t-on les prendre dans le cadre des exigences du NMD ? Autant de paris. Et de défis. 

Quel monitoring ?

Comment mettre en œuvre de manière effective le NMD ? Ce qui renvoie au monitoring de ce modèle ? L'hypothèse de travail avait déjà été formulée en janvier 2020 par le président de la commission ad hoc, Chakib Benmoussa, lors de sa rencontre avec la presse. Il avait précisé alors qu'il y aurait auprès de SM le Roi un organe qui serait chargé d'assurer une fonction de pilotage stratégique, de suivi et de conduite du changement à l'ordre du jour. Pratiquement mot pour mot, le rapport général reprend cet argumentaire pour expliquer que ce mécanisme permettra de "maintenir une pression permanente pour l'atteinte du cap fixé, et pour dépasser les blocages éventuels". Il est ainsi proposé que ce mécanisme soit mis en place sous l'autorité directe du Souverain. Ses missions sont même définies : une large diffusion du NMD ; mise à la disposition des instances et des autorités concernées "des instruments méthodologiques " de facilitation de la mise en œuvre cohérente et efficace du NMD ; veille à la cohérence des stratégies et des réformes ; suivi de la mise en œuvre des chantiers stratégiques; soutien de la conduite du changement par la préparation de projets stratégiques ; l'expérimentation de chantiers innovants et le développement de filières exécutives de formation - action et de gestion du changement dans le système universitaire et de formation spécialisée. 

Jusqu'à présent - et même depuis de nombreuses années - l'on sait que le Roi accordait un grand intérêt au lancement, au suivi et à la réalisation de grands projets dits structurants, se déplaçant sur le terrain, multipliant les réunions d'étape et d'avancement et n'hésitant pas à opérer du recadrage et à l’occasion à exprimer sa "colère", avec même des sanctions à la clé… Il manquait cependant, semble-t-il, à cette gouvernance sourcilleuse, des indicateurs témoins de l'état d'avancement des chantiers. Si bien que l'on a vu des conventions signées sous son égide ne pas connaître l'application escomptée avec des retards et même des dysfonctionnements. Le cas d'école le plus typique de cette "mal-gouvernance" a été assurément le sort des huit conventions signées en octobre 2015 relatives au programme "Al Hoceima, phare de la Méditerranée", d'un montant de 7 milliards de DH... 

Difficile d'évacuer des observations de principe à propos de l'institution d'un tel mécanisme auprès du Roi. La première a trait au type de relations avec le gouvernement en responsabilité : comment ? Suivant quelles modalités ? Le rapport souligne que l'exécutif, assigné à une tâche de responsabilité de "l'alignement et de la coordination horizontale de son action, entre les différents ministères et institutions sous son contrôle", doit être restructuré. De grands pôles ministériels sont ainsi proposés ; une unité chargée de la mise en œuvre et du suivi de la performance des politiques publiques et des réformes. Une sorte de "franchise" du mécanisme placé auprès du Roi... 

Pacte national et… partis

Cela dit, comment ancrer le NMD come référentiel commun des acteurs et y faire adhérer l'ensemble des forces vives ? Le rapport met en avant la nécessité d'un "Pacte National pour le Développement ". Ce serait une traduction consensuelle d'engagement des acteurs du développement ; également une nouvelle ambition ; enfin, un référentiel commun - un socle. Il prendrait une forme solennelle ; il serait aussi "un engagement moral et politique fort devant SM le Roi et la Nation tout entière". Une convergence donc sur les choix fondamentaux de développement, un cadre global " de cohérence, de synergie entre l'ensemble des acteurs". 

Un tronc commun pour résumer mais prend-il en compte le pluralisme partisan ? Comment les partis politiques vont-ils gérer en même temps leur ralliement à ce Pacte National pour le Développement (PND) avec les spécificités et les identités de leurs programmes respectifs ? Le risque de dilution et d'aspiration est-il à exclure ? Pourra-t-il être maitrisé et régulé ? Pour être plus clair, si un tel processus d'adhésion se fera sans difficulté pour une bonne majorité des partis (RNI, PAM, PI, MP, UC, USFP et PPS), tel ne sera sans doute pas le cas pour la formation de gauche de la FGD – surtout ? - pour le PJD. C'est que ces deux partis relèvent d'une comptabilité historique et idéologique prégnante liée aux heurts de leurs parcours politiques depuis deux décennies. Le PJD, lui, s’est pratiquement gouvernementalisé depuis deux législatures (2012-2021). Non sans difficultés, il a dirigé le gouvernement avec des alliés issus soit de la Koutla (PI et PPS puis USFP), soit de la mouvance des partis dits "administratifs" (RNI, MP, UC). Pour autant a-t-il remisé son référentiel sociétal avec ses valeurs religieuses présentées, en tout cas comme telles ? 

Un Megachantier du Roi

 Par ailleurs, quand se finalisera ce Pacte ? Il est prévu que son adoption se ferait au plus tard en juin ou juillet ? Adopté à la veille des prochains scrutins, il pèserait alors sur la campagne électorale en comprimant voire en écrasant pratiquement la visibilité des programmes des partis. Il témoignerait d'un consensus global faisant peu de place à la différence. Tout cela, conduira-t-il à un cabinet d'union nationale ? Une formule qui cependant n'est pas d'une grande efficience. Dès lors, un gouvernement ramassé serait mis en place en laissant dans l'opposition des partis pourtant adhérents et signataires du Pacte National de Développement. Quelle serait alors le rôle de cette opposition ? Sera-t-elle audible et crédible. 

Au final, cantonnement des partis mais sans marginalisation ; c'est là la rançon du pluralisme social mais aussi de la compétition dans le cadre d'un système politique ouvert. Mais c'est également l'exigence des défis d'un Maroc d'avenir. Et pour entreprendre ce mégachantier qu'est le NMD, quelle institution est à la hauteur de cette charge et de cette vaste entreprise ? Le Roi! Il coche toutes les cases : la légitimité, l'autorité, les moyens d'action et une vision réformatrice, inscrite au fronton de son règne. Go !