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Le programme ''forsa'' pour les porteurs de projets, ce qu’il fallait faire auparavant - Par Abdeslam Seddiki
Avant le lancement du programme « forsa », on aurait dû procéder à une première évaluation du programme « Intilaka ». De même l’opinion publique ne comprend pas bien que l’on en confie la gestion à une société sur laquelle pèsent les observations et les critiques de la Cour des Comptes. Nonobstant, on ne pourra que souhaiter plein succès à ce programme
Après le lancement du programme «Awrach» tablant sur l’emploi de 250 000 personnes en 2022 et 2023, le gouvernement vient de lancer un deuxième programme dénommé « forsa » (opportunité) visant l’accompagnement et le financement de 10 000 porteurs de projets pour les personnes âgées de 18 ans et plus en mobilisant une enveloppe de 1,25MM DH. Une circulaire du chef du gouvernement en date du 15 mars en trace les objectifs et les modalités de mise en œuvre.
A la lecture de la circulaire, on a bien l’impression que le gouvernement cherche à éviter les erreurs du passé en insistant cette fois-ci sur l’accompagnement des porteurs de projets tout en leur assurant une formation préalable de courte durée sur les techniques élémentaires de gestion et de management. Quant à la mise en œuvre du programme, elle est confiée au Ministère du tourisme et de l’économie sociale et solidaire à travers la SMIT (Société marocaine d’ingénierie touristique).
Bien sûr, il ne suffit pas de porter un projet pour bénéficier de l’appui financier dont le plafond est fixé à 100 000 DH, y compris une subvention de 10 000 DH, il faudrait au préalable passer par une série d’étapes : s’inscrire sur la plateforme dédiée et déposer son dossier www.forsa.ma , être retenu par la commission de sélection des dossiers, subir avec succès l’entretien oral et convaincre la commission de sélection de la faisabilité du projet, suivre une formation de courte durée de deux à trois mois, disposer d’un incubateur local pour accompagner et encadrer le projet. A première vue, on peut dire que nous sommes face à un parcours de combattant qui risquerait de décourager pas mal de candidats potentiels. Mais tant mieux si cela pourrait conduire à la réussite du programme.
Par ailleurs, le programme qui démarrera officiellement le 7 avril prochain, englobe l’ensemble des régions et concerne pratiquement tous les secteurs d’activité : tourisme, artisanat, ESS, commerce dont le commerce numérique, industrie, numérique, agriculture et pêche maritime, protection de l’environnement, enseignement, santé, sport, etc.
Pour ce qui est de la gouvernance du programme, elle ne diffère pas sensiblement de celle qui est mise en œuvre pour le programme « awrach ». Ainsi, il est prévu la création de commissions aux niveaux national, régional et provincial. De haut en bas, on a une commission stratégique présidée par le Chef du Gouvernement, une commission de pilotage nationale présidée par La Ministre du tourisme, des commissions régionales présidées par les Walis et des commissions provinciales présidées par les gouverneurs. Pour chacune de ces entités, sont fixées la composition, les prérogatives et les fréquences de réunion. Outre ces commissions, il est prévu la création d’une « unité de gestion et de suivi » confiée à la SMIT. Là aussi, on peut s’interroger sur l’intérêt d’avoir autant de commissions. Ne fallait-il pas au contraire opter pour des structures légères et décentralisées.
Par ailleurs, Si le chef du Gouvernement a pris le soin de préciser que ce programme s’inscrit dans une vision d’ensemble et comme tel, il ne se substitue pas aux programmes existants dont notamment le programme « Intilaka » lancé il y a deux années à la suite des directives royales, il est légitime néanmoins de se poser la question de l’articulation entre les deux programmes. Pour rappel, le programme « intilaka » a bénéficié d’une enveloppe de 8 milliards DH provenant du budget de l’Etat à hauteur de 3 MM DH, du secteur bancaire d’un montant équivalent et du Fonds Hassan II pour le Développement Economique et Social pour un montant de 2 MM DH. On aurait aimé que le gouvernement procède, avant le lancement du programme « forsa » à une première évaluation du programme « Intilaka ». Malheureusement, cette exigence d’information, qui fait partie de la pratique démocratique, n’est pas le point fort de l’exécutif.
Le programme soulève une autre question relative à sa gouvernance. En effet, l’opinion publique ne voit pas d’un bon œil le fait de confier la gestion et le suivi à une société sur laquelle pèsent les observations et les critiques de la Cour des Comptes dans un rapport publié en 2016. On a beau à rassurer que les choses se sont améliorées depuis cette date mais aucune preuve concrète n’est donnée. En tout état de cause, comment confier à une société qui a montré ses limites à gérer sainement le secteur dont elle avait la charge, à savoir le tourisme, une responsabilité aussi lourde et aussi délicate que celle qui consiste à piloter ce nouveau programme « forsa ». C’est une question de logique, de méthode et de bon sens.
Aussi, Il est utile de rappeler que l’entrepreneuriat ne se décrète pas. C’est une question de culture et non de nature pour paraphraser Joseph Schumpeter. A cet égard, notre enseignement n’accorde pas dans ses curricula une grande place à la culture de l’entreprise, nos méthodes d’enseignement demeurent imprégnées, à de rares exceptions, par des pratiques ancestrales où l’apprenant joue un rôle passif basé dans le meilleur des cas sur une « simple absorption » des connaissances qui lui sont prodiguées, sans créativité. C’est la raison pour laquelle, entre autres, les programmes de création d’entreprises n’ont pas connu dans le passé le succès escompté et une fois ces entreprises créées, le « taux de mortalité précoce» demeure très élevé (40%).
Nonobstant ces remarques, on ne pourra que souhaiter plein succès à ce programme, comme à l’ensemble des programmes et projets qui visent la création des richesses et de l’emploi au bénéfice de notre jeunesse aspirant à une vie meilleure.