Le silence oblitère tout… Par Samir Belahsen

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Les silences des pères est le dernier roman de Benzine

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« 1938-2022, un résumé sommaire de ce qu’aura été sa vie : deux dates et un immense vide entre les deux. »

Rachid Benzine

« Et tu sais pourquoi les jeunes ils ne connaissent plus ces histoires ? Parce que les vieux comme ton père ils ont voulu que toutes les souffrances, tout ce qu’ils ont subi, s’arrêtent avec eux…Ils voulaient vous en préserver. Pour que vous soyez libres de réussir votre vie, sans rancœur, sans amertume… Cette mémoire à transmettre…c’est pour les autres…Tous ceux qui sont morts au fond. »

Rachid Benzine

De l’essai à la fiction :

Après plusieurs essais, Rachid Benzine a choisi d’attaquer la fiction. Ses essais les plus connus sont « Les Nouveaux Penseurs de l'islam », « Nous avons tant de choses à nous dire »,

« Le Coran expliqué aux jeunes » et « La République, l'Église et l'Islam : une révolution française ».

Ils lui ont valu en France le titre d’Islamologue. Au Maroc, il est souvent considéré comme membre de la mouvance Coraniste.

En 2015, il passe à la fiction pour rendre compte de la complexité du monde. Un autre langage que l’analytique, le scientifique…une rhétorique du sensible au service du sens. 

Outre « Les silences des pères », il a publié notamment « Voyage au bout de l'enfance », « Ainsi parlait ma mère », « Dans les yeux du ciel » et « Lettres à Nour ».

L’histoire

« Les silences des pères » est le dernier roman de Benzine.

Amine, le pianiste re-exilé chez l’oncle Sam apprend au téléphone le décès de son père. Un malentendu, des drames, un tas de non-dits, et la distance ont érigé un mur désormais infranchissable. Il ne l'a pas vu depuis une vingtaine d'année. 

Amine revient à Trappes, le quartier de son enfance, pour veiller avec ses sœurs la dépouille du défunt et trier ses affaires. Il découvre une enveloppe contenant quantité de cassettes audio, chacune datée et portant un nom de lieu.
Il les écoute, il écoute son père qui s'adresse à son propre père resté au Maroc. Il lui raconte sa vie en France, année après année. Il décide alors de partir à la recherche de ce taiseux. 

Il suit ses traces au nord de la France, aux mines de charbon, aux usines d'Aubervilliers et de Besançon, aux maraîchages et aux camps de harkis en Camargue. 

Amine reconstitue l'histoire de son père et explore le sens de ses silences.

Son enquête, auprès des personnes qui ont connu ce père, lui révèle qu'il ne connaissait pas cet homme qui a ouvré toute sa vie pour le bien être de sa femme et de ses enfants. Amine est déstabilisé, il découvre un homme qui a du taire ses souffrances et qui a avancé en silence. Il refusait d’alourdir les siens avec ses souffrances.

Les silences 

Le silence serait notre dernier espace de liberté, notre refuge, notre ultime parole.

Se taire pour accéder au vrai, au beau, au juste... ?

Walter Benjamin disait que le silence est une réponse au chaos du monde. J’ajouterais au moins du petit monde sans prétendre que c’est la meilleure des réponses.

Plusieurs auteurs ont exploré le thème des silences des pères et de l'héritage des souffrances. Voici trois exemples d'auteurs et d'œuvres qui abordent cette thématique :

1. Franz Kafka (1883 -1924)

Dans "Lettre au père", Kafka explore la relation complexe entre un fils et son père autoritaire. Le récit est une tentative de Kafka de comprendre et de résoudre les conflits non résolus avec son père. Ce texte met en lumière les silences, les non-dits et les tensions familiales qui peuvent perdurer et influencer la vie d'un individu.

2. Albert Camus (1913-1960)

 Dans son roman emblématique « L’étranger », Camus aborde le thème de l'aliénation et de l'absurdité de l'existence à travers le personnage principal, Meursault. Bien que le silence des pères ne soit pas l'élément central de l'histoire, on perçoit bien des motifs de silence et de déconnexion dans la relation de Meursault avec son propre père et avec la société.

3. Samuel Beckett (1906 -1989)

Dans sa pièce « En attendant Godot », Beckett met en scène deux personnages, Vladimir et Estragon, qui attendent indéfiniment l'arrivée de Godot, un personnage qui ne viendra peut-être jamais. Beckett explore le thème de l'attente, de la routine et du vide existentiel. Les dialogues minimalistes et les moments de silence dans la pièce soulignent l'absurdité de la condition humaine et la difficulté de communiquer vraiment avec les autres.

Certaines nations choisissent de taire des parties de leur histoire, souvent pour des raisons politiques, idéologiques ou pour préserver une certaine image. On parle de "réécriture de l'histoire" ou "oubli volontaire". Techniquement c’est la censure, la désinformation…ou simplement des omissions de chapitres importants des livres d'histoire et des mémoires collectives.

Ces stratégies d'effacement englobent parfois la mise en oubli d'une partie de la population, cela peut découler de diverses formes de discrimination, de marginalisation ou de négligences. Cela peut mener à une « invisibilisation » de certaines communautés, rendant difficile la reconnaissance et la préservation de leur histoire et de leur culture. 

Il y a eu dans l’histoire, et il y a dans l’actualité, plusieurs exemples des faits, des minorités et des peuples que par le silence on a jetés à l’oubli.

Il y a des silences qui sont criminels.