Le temps révolutionnaire

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Est-il possible que le Hirak ne laisse rien, derrière lui, de ses débats, de sa joie et de son humour ?

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Avec les législatives du 12 juin 2021, le régime algérien a bouclé la boucle d’une remise en place du système sérieusement ébranlé par le mouvement de rejet populaire entamé un 16 février 2019 à Kherrata (300 km à l'est d'Alger) avant de s’étendre à la capitale et à toutes les régions du Pays. 

Le pouvoir qui a tenté ainsi de se re-légitimer après la destitution dans la honte, déguisée en démission, de Abdelaziz Bouteflika, a raté son opération. La reconduction des partis caciques et le taux d’abstention historique - plus de 70% officiellement, autour de 85% selon Noureddine Boukrouh, figure du système, sans oublier la désaffection totale de la Kabylie - mettent le régime des généraux en porte à faux avec ses promesses d’une Algérie nouvelle. Il se retrouve dans la position bancale d’une table sur deux pieds et l’avenir du pays reste ouvert sur tous les scénarios. 

Maitrisant le double nerf de la guerre – l’argent dont il contrôle la manne et l’armée sur laquelle il garde la main – une paire capable du meilleur et, dans le cas algérien, du pire, le régime se maintient contre vents et marées face à une contestation qui a refusé le recours à d’autres voies que pacifiques, lacérée qu’elle est par la mémoire dans la peau d’une guerre civile de 10 ans particulièrement meurtrière.

Construit dans les années soixante et soixante-dix du siècle dernier sur le modèle soviétique, le régime algérien, parce qu’il en est qu’une pâle copie, n’a pas trouvé en lui l’énergie et l’intelligence de se débarrasser, comme l’a fait la Russie, de ses scories pour se refonder et maintenir sa position dans le monde. Il lui manquait certainement un homme de la trempe de Poutine capable à la fois, quels que soient les défauts dont le gratifie l’Occident, de fédérer les patriotismes et de symboliser les espoirs d’un peuple auquel on a fait perdre l’estime de soi. 

Se condamnant par son pacifisme à l’impuissance d’enrayer la mécanique militaire qui gouverne le pays, le Hirak « béni » semble essoufflé et en perte de mobilisation face à un régime qui ne recule ni devant la répression ni devant le mépris de la majorité, déclarant sans pudeur le jour même du scrutin par la voix du président qu’il s’est offert, n’en avoir rien à cirer du taux de participation.

Le flirt menteur entre la rue et l’armée qui a marqué les débuts du Hirak a vécu. Il a vécu le temps qu’un clan en élimine un autre pour que la vie reprenne comme avant si ce n’est de plus moche. Mais les révolutions ne sont jamais une histoire de jours, de semaines, de mois ou même d’années. Le temps révolutionnaire est un long cours aux tours et aux détours imprévisibles. 

La contestation algérienne du régime mis en place au lendemain de l’indépendance a commencé par les émeutes du 5 octobre 1988 matées dans le sang. Elle s’est poursuivie en 1992 par une guerre civile avant de s’éteindre dans la souffrance après dix années d’atrocités qui ont couté à l’Algérie deux cent mille de ses enfants. Pour renaitre de ses cendres, 20 ans plus tard, sous la forme joyeuse et pacifique de Hirak. 

Et il est hautement improbable, voire impossible, que ce mouvement qui a battu le pavé pendant deux ans ne laisse rien derrière lui de ses débats, de sa joie et de son humour. 

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