Actu
Les droits de l’homme sont-ils solubles dans la diplomatie ?
Réunion du Conseil des Droits de l’Homme (ONU) à Genève : Il est plus aisé de traiter la question des Droits de l’Homme au niveau multilatéral que de le faire directement au niveau bilatéral, jamais absout d’arrières-pensées.
Lorsqu’on était jeunes étudiants en France on s’est enthousiasmés avec nos amis français à l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981. Qui d’entre nous n’a pas en mémoire la montée de ce président de la rue Soufflot vers le panthéon, rose à la main, pour la déposer sur le tombeau de Jean Jaurès ? Les français étaient heureux de tourner la page des années douloureuses de la droite, de la guerre d’Algérie et des effets de la crise pétrolière de 1973. Quant à nous autres étudiants africains, le temps était venu, pensions nous, pour la France, de tourner la page de la France-Afrique, des diamants de Bokassa, et des abus des droits de l’homme dans notre continent.
De cette période, on garde également en mémoire l’interview accordée par Feu Hassan II quelques mois après, lorsqu’une journaliste française lui pose une question sur son regard à l’égard de la France maintenant socialiste. Sa réponse a été édifiante : « La France socialiste avec moi me rendrai heureux, la France socialiste contre moi me rendrait malheureux mais n’inquiète pas l’entité qui s’appelle le Maroc et qui dure depuis douze siècles… alors les états d’âme français ne nous concernent pas ».
Jean Pierre Cot est alors nommé ministre délégué au développement et à la coopération au premier gouvernement de Mitterrand. Fougueux, Il est à peine âgé de 44 ans, et l’ultime but qu’il s’est fixé était le respect des droits de l’homme et la démocratisation dans les pays en développement, en particulier ceux de l’Afrique francophone. Opposé à la politique africaine du Quai d’Orsay et à l’idée de préserver le « pré-carré » africain, il prit conscience de la difficulté pour un État de défendre les droits de l’Homme à l’échelle internationale. Il finit par jeter l’éponge et démissionner en 1982 au bout de vingt mois d’exercice.
Quelques années après, en 1990, le gouvernement français organise le 16e sommet France-Afrique de La Baule dont le thème principal était les droits de l’homme et la démocratisation des pays africains. L’effondrement du bloc de l’est est venu renforcer la tendance à s’occuper davantage des droits de l’homme dans le monde. Là encore Hassan II, qui participe à ce sommet, marque sa différence. La démocratisation ne se décrète pas et doit, selon lui, être administrée à dose homéopathique et non à dose de cheval, aimait-il répéter.
Trente ans après cette conférence, restée mémorable, on est toujours en droit de s’interroger sur la légitimité d’user de la diplomatie bilatérale pour imposer aux autres pays sa vision des valeurs relatives aux droits de l’homme. Ne vaut-il pas mieux aborder cette question uniquement dans les instances multilatérales ? La diplomatie doit-elle s’immiscer dans les affaires intérieures d’un État, fussent-elles relatives aux droits humains sans exercer de chantage ? En quoi la défense des droits de l’homme pourra-t-elle contribuer à l’amélioration des relations bilatérales entre les Etats ?
L’adoption de la charte de nations-unies constitue l’engagement collectif de l’ensemble des États pour la défense des droits de l’homme. Il est plus aisé de le faire au niveau multilatéral que de traiter cette question directement au niveau bilatéral. Depuis la seconde guerre mondiale, la communauté internationale a mis en place un ensemble de traités internationaux visant à assurer le respect universel des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion. Inutile de rappeler que les principes qui y sont inclus, sont issus principalement de la culture occidentale dominante.
Le cadre normatif de la défense des droits de l’Homme s’est amélioré avec le temps à travers la participation des autres pays nouvellement indépendants. Venant des aires et de civilisations différentes, ces pays ont permis d’en améliorer le contenu pour tenir compte des particularités de chacun. Le droit international humanitaire s’est depuis renforcé avec des conventions et des protocoles additionnels. Désormais, les États savent qu’ils peuvent être jugés sur leurs gestions des droits humains tels qu’ils sont universellement reconnus.
Si la protection des droits de l’Homme est devenue une préoccupation légitime de la communauté internationale, c’est parce qu’elle favorise la paix mondiale et la concorde entre les nations. Mais les États ne sont plus les seuls à être concernés par cette question. Les organisations non gouvernementales, et la société civile en général, y sont désormais impliquées. Comme acteurs publics ou privés, ces derniers concourent eux aussi, en tant que parties prenantes, à la diplomatie des droits de l’Homme à travers notamment les Conseils nationaux y afférents.
Mais l’on remarque que bien que légitime, la défense des droits humains est devenue sélective et à géométrie variable. Elle vise désormais les pays en développement, surtout les plus démunis d’entre eux, et ménage les plus riches et les alliés. Dès qu’un pays devient un concurrent politique ou économique dangereux, le dossier des droits de l’homme est vite convoqué aux débats pour faire pression ou obtenir des concessions. La diplomatie, dont l’objectif premier est de défendre l’intérêt national et créer les conditions d’une coopération équitable, devient paradoxalement l’outil de pression par excellence. Le chantage aux droits de l’homme, pour obtenir des avantages économiques ou politiques, ne peut, dans ce cas, qu’être immorale et injuste.
Les exemples de cette pratique sont nombreux sur notre continent africain pour tous les citer. Mais en Asie le cas chinois est édifiant en raison de la réussite économique phénoménale de ce pays. Des accusations sont souvent portées contre Pékin pour non-respect des droits élémentaires de sa population. Le sort réservé aux ouïghours ou aux protestations civiles de Hong Kong est souvent rappelé, à tort ou à raison, à notre mémoire pour décrier la situation politique dans ce pays. Lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme tenue à Vienne en 1993, les asiatiques, conscients de ces risques, se sont opposés au principe de l’universalité de ces droits pour empêcher toute ingérence dans leurs affaires.
L’utilisation opportuniste de certaines causes justes pour obtenir des avantages induits, ne peut en aucun cas servir ces mêmes droits. Au contraire, elle peut les desservir dès que les conditions et les rapports de force changent. Certains pays développés se montrent plus indulgents sur des manquements similaires chez eux à l’égard des minorités ethniques ou religieuses, et ont une propension à les critiquer ailleurs.
On s’aperçoit dès lors que quand la diplomatie œuvre pour renforcer la sécurité collective et promouvoir des relations fructueuses entre nations, la mobilisation sur le terrain des droits de l’Homme peut, à contrario, contribuer à la dégradation de celles-ci. La raison est que l’une s’attache à défendre les intérêts nationaux, alors que l’autre vise à protéger des individus et des groupes. Comme la première est mieux défendue par les diplomates, la seconde ne peut l’être réellement que par des militants mieux armés pour plaider la cause.
De cet aspect, deux visions s’opposent l’une à l’autre. L’une réaliste qui préconise d’exclure les droits de l’Homme des relations entre États, et de se concentrer uniquement sur la poursuite des intérêts nationaux respectifs. Les relations internationales sont en fait régies par la seule interaction des puissances. L’autre idéaliste qui, au contraire, prône la défense des droits humains comme un objectif commun favorisant la paix, même s’il est difficile à mettre en œuvre. Cette école reconnait que l’aboutissement de ce processus ne peut cependant qu’être endogène et à long terme.
En conséquence, l’impulsion qui pourrait être donnée au respect des droits de l’homme reste imprécise et beaucoup de pays n’incluent pas cette doctrine dans leurs relations bilatérales. Certains Etats, quand ils s’y intéressent, laissent l’entière liberté au poste diplomatique pour soulever des cas individuels ou manifester des soutiens à la société civile travaillant dans le domaine quand il le juge utile et opportun.
Partant de l’hypothèse que la défense des droits de l’Homme est un choix politique qui relève des obligations juridiques des États, n’y a-t-il pas décalage entre, d’un côté, le désir des pays développés de maintenir leurs privilèges, et de l’autre leurs faibles contributions financières pour l’amélioration des conditions de vie et des droits humains dans les pays en développement ? Les droits humains et l’équité ne commencent-ils pas par-là ? Ne peuvent-ils pas commencer par payer, au juste prix, les matières premières qu’ils, ou mieux encore, les transformer sur place ?
Ce sont là quelques légitimes questions, parmi tant d’autres, qu’on est en droit de poser. Elles relèvent certes de l’éthique, de la morale, et de l’équité, mais il faudrait un jour y apporter des réponses sereines et adéquates. Il en va pour notre avenir à tous.
12 avril 2021.
Ahmed Faouzi.
Ancien Ambassadeur.