Voilà un livre d'actualité, publié voici quelques semaines à peine : "Les nouvelles menaces sur notre monde vues par la CIA"*. Préfacé par deux auteurs, Adrien Jaulmes et Lucas Menget, c’est la traduction du rapport Annual Assessment of the US Intelligence Communaute et d'autres documents dont l'audition des responsables de la CIA devant la Chambre des représentants. Il s'articule autour de plusieurs parties. 

La première regarde l'évaluation annuelle de la Communauté américaine du renseignement à la date du 7 février 2022 : Chine, Russie, Iran, Corée du Nord, sécurité sanitaire, changement climatique et dégradation de l'environnement, conflits et instabilité,...

La deuxième s’attache à l'audition des menaces actuelles dans le monde telles que celles-ci sont perçues par les membres de l'institution parlementaire précitée. 

La troisième est relative à des analyses, à des faits et à des chiffres se rapportant à la Russie et à l'Ukraine - actualité oblige... Une autre se penche sur la situation d'une dizaine d'anciens pays membres de l'ex-URSS (Pologne, Biélorussie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Moldavie, Estonie, Lettonie et Lituanie). Enfin, la Finlande a droit à une dernière partie.

La Russie, adversaire historique

Pour commencer, ceci: assurément la CIA est de retour depuis le début de la crise ukrainienne. Comme l'ont noté les deux auteurs, elle "a renoué avec sa mission première : le renseignement". Elle a aussi retrouvé son adversaire historique, la Russie. Faut-il rappeler qu'elle a été créée en 1947, au début de la guerre froide... Aujourd'hui, elle se distingue non pas par la dissimulation mais par l'information ouverte, publique, sur ce que prépare Moscou - ses plans, des images satellites aux alliés. Objectif: montrer la guerre programmée par Poutine contre l'Ukraine. Elle a ainsi pratiquement mis sur la table des révélations sans précédent. Une séquence de "rattrapage" pour la Compagnie de Langley - son siège - alors que depuis une bonne vingtaine d'années, elle avait perdu de sa crédibilité. Deux profils ont joué un rôle clé à cet égard : William Burns, nouveau directeur de la CIA ; Avril Haines, aussi, directrice du Renseignement - elle coiffe pas moins de 16 agences fédérales dans ce domaine et elle est la principale conseillère du président Jo Biden en la matière. Le 24 février dernier, premier jour du conflit Ukraine - Russie, la CIA a montré qu'elle avait vu juste et que ses renseignements étaient fiables, alors que tant de chancelleries dans le monde, notamment en Europe, ne retenaient guère pareil cas de figure.

Le livre fait état des menaces dans le monde, pas seulement dans le domaine militaire. L'impact du conflit actuel Kiev-Moscou a déjà des répercussions alimentaires, sociales aussi. La crise climatique est toujours là : elle s'accentue même. Une nouvelle pandémie n'est pas à écarter. Il faut y ajouter d'autres fronts gelés de la guerre froide qui sont autant de conflits potentiels. Le détroit de Formose est ainsi considéré comme le lieu d'un possible affrontement avec la Chine, Pékin pouvant recourir à la force contre Taïwan. Que le président chinois, Xi Jinping, ait annoncé l'"amitié sans limites" à la Russie de Poutine, voici quelques semaines avant le conflit avec l'Ukraine préoccupe fortement Washington. Entre les deux Corées, depuis la guerre conclue par un cessez-le feu en 1953, voilà une source supplémentaire d'instabilité et de conflictualité. La Corée du Nord multiplie les tests de missiles balistiques et hypersoniques pouvant menacer le territoire continental des Etats-Unis. L'aventurisme militaire est-il à écarter ? Même préoccupation à propos des capacités balistiques de l'Iran et de ses alliés houthis au Yémen.

Zone de turbulences

Le monde d'aujourd'hui ? Il est entré dans une zone de turbulences : une pandémie mal jugulée, une crise économique aux effets imprévisibles, une crise sociale en aggravation, enfin l'accélération des changements climatiques. Le schéma qui se dessine est le suivant : des puissances "révisionnistes" considèrent que s'ouvre une nouvelle séquence historique remettant en question les règles et les frontières. Un monde multipolaire est désormais à l'ordre du jour ; il est fortement souhaité-et même réclamé - par des puissances qui critiquent l'"hyperpuissance" américaine. Poutine n'a jamais fait mystère de son envie et de sa volonté de "reprendre" des territoires sortis de l'influence russe depuis la fin de l'URSS en 1991. D'où les craintes des pays de l'est, et du nord-est de l'Europe, intégrant progressivement l'OTAN - ce que le Kremlin n'entend pas accepter...

Pour 2022, le rapport considère que les Etats-Unis et leurs alliés seront confrontés à un environnement de plus en plus complexe et interconnecté en matière de sécurité mondiale. Le spectre est large : la concurrence exacerbée, des conflits entre grandes puissances, des menaces collectives et transnationales. Autant de défis qui vont se jouer dans un contexte de perturbations mondiales continues (pandémie Covid-19, changement climatique, acteurs non étatiques de plus en plus puissants, évolution rapide de la technologie). 

Un rapport sur les menaces les plus urgentes pour les intérêts nationaux des Etats-Unis; une mise en relief de leurs principaux adversaires et concurrents - Russie, Corée du Nord, Iran, Al-Qaïda, Afghanistan, ... Pas quoi envisager des temps futurs de paix et de stabilité...

*- Editions Equateurs /Humensis, Paris, 292p., 2022.