L’Afrique au firmament du Siel – Par Badr Sellak

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La nouvelle édition du SIEL, qui met l’honneur l’ensemble de la littérature africaine dans l’ambition de refléter les liens culturels entre les cultures marocaine et africaines, s'aspire un faisceau du « pouvoir de la culture dans le rapprochement entre les cultures africaines et l’éclairage de l'histoire des pays africains et de leurs peuples ».

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Pour la dernière édition du Salon International de l’Edition et du Livre, la littérature africaine est à l’honneur. De par sa diversité linguistique et culturelle, et son récent essor artistique et littéraire, l’identité africaine se réinvente et remet en cause sa position de périphérie du monde contemporain. Cette nouvelle édition du SIEL reconnaît l'importance accrue de la création africaine, et couronne le rôle de médiateur convoité par le Maroc.

Quand le philosophe congolais V.Y Mudimbe publia son magnum opus l’Invention de l’Afrique en 1988, il s’imaginait une culture africaine indépendante, par sa politique et sa pensée, et prête à faire sa place dans l’histoire contemporaine. Cette vision prône une identité africaine qui se dissocie de ses conflits, ses clichés et l’angoisse de la condition postcoloniale. Quelques décennies plus tard, les critiques proposées par Mudimbe, sur la normativité du discours sur l’Afrique, sont remises au premier plan. Le continent africain, souvent inclus dans le rang des régions de la périphérie (par rapport au centre ; l’Occident), tente désormais d’établir sa propre géographie de raison. Il s’agit d’une revendication académique, artistique et culturelle qui remet en cause la place qu’occupe l’Afrique dans le monde contemporain, et le récit d’un dialogue nord-sud qui met le continent dans une position périphérique.

Le récit africain est divers ; comme l’indique Ali Mazrui, ce récit a été transformé et réinventé à plusieurs ères ; l’Afrique du nord de l’époque classique, l’avènement de l’Islam, le début et la fin du colonialisme, et enfin la globalisation, impliquant les clivages socioculturels et la division entre le nord et le sud. Le dialogue entre ces deux antipodes se fait désormais par le biais de la littérature, et la réinvention de la culture. Un partage culturel contribuant à la construction d’un grand récit, et d’un canon africain, dans lequel le Maroc prend une position progressivement importante.

Construire l’Afrique par la littérature et la culture

La littérature, étant capable de transmettre les nuances de l’expérience africaine, est certainement le médium approprié pour cette réinvention. Elle permet de consolider cette diversité linguistique, et particularité culturelle de l’Afrique, comme le montre d’ailleurs la production littéraire contemporaine du continent ; une capacité à appréhender l’Afrique en toutes ses idiosyncrasies, sa pluralité, ses mythologies, ses histoires et la vision du monde qu’elle dévoile, constituant ainsi un canon littéraire qui lui est propre.

Dans ce contexte, la plus proéminente manifestation d’un intérêt accru envers les créations et la culture africaine est le Salon International de l’Edition et du Livre, tenue cette fois à Rabat entre le 3 et le 12 juin. Cette nouvelle édition, qui met l’honneur l’ensemble de la littérature africaine dans l’ambition de refléter les liens culturels entre les cultures marocaine et africaines, s'aspire un faisceau du « pouvoir de la culture dans le rapprochement entre les cultures africaines et l’éclairage de l'histoire des pays africains et de leurs peuples ».

Partout dans les rangs du salon, dans le gémissement collectif des débats et des expositions, résonnait l’idée de revoir le paradigme culturel de l’Afrique. Une idée qui s’est renforcée par un évènement précèdent ; l’ouverture de la Chaire des Lettres et des Arts Africains. Établie afin de revigorer la production littéraire et artistique dans le continent et rendre compte de sa particularité, cette chaire se projette ainsi dans un effort endogène visant à créer de véritables institutions qui encourageraient l’instauration d’un canon littéraire africain, capable d’appréhender toutes les sensibilités et la richesse.

Si plusieurs auteurs africains réussissent désormais à raflé de prestigieux prix littéraires –à l’instar de Mohamed Mbougar Sarr, récipiendaire du Prix Goncourt en 2021, et le lauréat du dernier prix Nobel de la littérature Abdurazak Gurnah- il s’agit aussi d’une importance accrue la littérature africaine, et son instauration dans le canon littéraire mondiale. En vue de cet essor, l’ensemble du réseau d’institutions culturelles africaines, des éditeurs et académiciens, lorgnent la transition de la création africaine vers une nouvelle phase à remettre en cause le discours sur le continent et la condition postcoloniale. Ce faisceau culturel africain est désormais à l’avant-garde d’un changement de position de l’Afrique en un paradigme, un centre, à part entière.

Depuis le grand succès des œuvres du nigérien Chinua Achebe, et de Wole Soyinka, et par ricochet une attention particulière à la littérature africaine moderne, les antécédents d’un paradigme africain, culturel et littéraire, se fondaient. Ce canon, qui commence désormais à forger sa place, reçoit une distinction particulière lors de cette dernière édition du SIEL. L’une des rencontres organisées lors de cette dernière édition rassemble un aréopage de conférenciers sur la thématique de « l'ancrage continental et mondial de la culture africaine ».

L’idée récurrente du débat est la possibilité de construire l’Afrique par le biais de la littérature et de la culture. « Il n'y a pas que la politique pour bâtir le monde », indiquent les intervenants du débat, « il y a aussi la littérature et les arts dans toute leur diversité pour construire des ponts et ouvrir des portes ». Si cette édition du SIEL vise à rendre compte du potentiel de la littérature et de la culture, c’est qu’il s’agit d’un véritable atout pour le continent, accentué surtout par un passage vers une vision du monde et une philosophie riche éprouvée dans la jeune création africaine. Comme le soulignent les intervenants du débat, « L'Afrique n'est pas un continent de blessures mais un territoire de rêves qu'il faut bâtir à travers la littérature et les autres arts ».

De par son histoire, cette revendication littéraire, qui cherche à redéfinir l’identité africaine en gré de sa pluralité, et à revoir les vestiges de la condition postcoloniale, nécessite une relecture du grand récit historique du continent, rendant compte de sa propre géographie de raison. Selon les intervenants, « Il est très important que l'Afrique soit considérée pour elle-même. L'Afrique existe par l'immensité de son histoire et la richesse de sa culture ».

Couronnée à plusieurs grandes manifestations, éprouvant un succès en plusieurs genres littéraires, et exhibant un large éventail de capacités et de sensibilités, la littérature africaine moderne fait désormais figure d’une capricieuse niche littéraire aux sensibilités et mythologies inédites, en voie de devenir un phénomène littéraire et culturel inédit. A cet effet, il y en aura besoin de plus qu’une poignée de grands écrivains africains. Un réseau institutionnel endogène, couplé à une volonté politique visant à renforcer le rôle de la culture constitueront la pierre angulaire d’un secteur culturel et artistique africain, doté d’une renommée mondiale, et favorable à la découverte des jeunes talents.

La dernière édition du Salon International de l’Edition et du Live est l’une des plus grandes manifestations récentes à reconnaître la volonté collective de reconstruire l’identité africaine par le biais de la culture, et un essor mondial envers ses créations. Dans l’art ainsi que dans la littérature, la reconnaissance des idiosyncrasies et des particularités des créations africaines s’est accrue. Si cette dernière édition remet le point sur cette thématique récurrente durant cette année, elle proclame un intérêt institutionnel envers un véritable atout du continent, et une volonté politique collective, rassemblant plusieurs Etats africains, dans le but d’établir un réseau institutionnel endogène capable de stimuler et d’accompagner l’élan accru de la création et de la culture africaine.