Reprise de l'agression sur Gaza : la guerre pour sauver gouvernement de Netanyahu de la chute - Par Bilal Talidi 

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Des proches se recueillent devant les corps de trois Palestiniens tués lors d'une frappe de drone israélienne à l'est du camp de Bureij, à la morgue de l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, le 17 mars 2025. (Photo Eyad BABA / AFP)

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Israël replonge Gaza dans la guerre alors que son gouvernement vacille sous les pressions internes. Entre divisions politiques, tensions sécuritaires et manœuvres américaines, Netanyahu joue la carte militaire pour sauver son pouvoir. Mais la résistance palestinienne, forte de 15 mois de combat, refuse de céder, analyse Bilal Talidi

Il était prévisible qu'Israël reprenne sa guerre contre Gaza, après que l’envoyé américain au Moyen-Orient, Steve Whitcof, eut échoué à convaincre le Hamas de renoncer à l'accord de cessez-le-feu conclu à la mi-janvier dernier en faveur d'une nouvelle proposition reposant sur l’idée de prolonger la première phase, permettant ainsi à Israël d’obtenir une nouvelle vague de prisonniers sans supporter aucun coût politique lié à la poursuite du retrait du territoire de Gaza ou à la mise en place des aides humanitaires et de secours prévues par l’accord de cessez-le-feu.  

Le pari de Hamas sur une divergence américano-israélienne

Le Hamas a perçu dans cette nouvelle proposition une tentative de le piéger dans un autre type de négociations où le coût politique disparaît complètement, et où les pourparlers se limitent uniquement à l’échange de prisonniers, sans aborder la phase qui devrait envisager la présence des forces israéliennes à Gaza (notamment dans l’axe de Philadelphia), le levier du blocus sur Gaza ni la remise de l’avenir de Gaza aux Palestiniens.  

Bien que le Hamas ait considéré les idées de Whitcof comme une soumission évidente à Israël dans sa tentative de se désengager de l’accord de cessez-le-feu, il a présenté une offre répondant à la proposition de Whitcof, consistant à accepter la libération d’un prisonnier à double nationalité (américano-israélien) en réponse aux négociations menées directement par les États-Unis avec lui.  

Il semble que Hamas ait tenté de tirer parti de l’orientation américaine d’ouvrir des négociations directes avec lui, dans le but d’approfondir les divergences entre Washington et Tel-Aviv et de transférer la pression sur Israël pour qu’il s’engage sérieusement dans des négociations visant à mettre en œuvre les acquis de la deuxième phase.  

Le prix de l’échec de Whitcof

Le résultat des jours passés par Whitcof à Doha, ainsi que les répercussions de la position israélienne opposée à l’approche de Washington dans les négociations directes avec le Hamas, ont fini par soumettre les Américains à la position israélienne, et l’utilisation d’Adam Poler, l’envoyé spécial du président américain Donald Trump pour l’affaire des otages, comme de bouc émissaire de cette soumission de Washington à Tel-Aviv.  

Les élites israéliennes, en particulier, ne doutaient pas que le Premier ministre israélien se dirigeait vers la reprise de l'agression. Tous les indicateurs pointaient dans cette direction : que ce soit la composition de la délégation qu'il envoyait pour négocier, la taille de sa représentation et la nature de son mandat restreint, ou encore la décision du Premier ministre israélien de limoger le chef du Shin Bet, qui s’opposait à la reprise de l'agression, faisant de la priorité d’Israël à ce stade la récupération des détenus israéliens à Gaza, ou encore des échéances politiques israéliennes qui détermineront l’avenir politique du Premier ministre. Le gouvernement israélien se trouve en effet, à la fin de ce mois, face à deux échéances importantes : d’abord l’adoption du budget annuel, puis le vote en faveur de la loi sur le service militaire obligatoire.  

Le Premier ministre israélien est dans une course contre la montre afin de faire adopter le budget que la loi israélienne impose de voter à la fin du mois de mars, sous peine de recours à des législatives anticipées. Ainsi, après avoir échoué à convaincre le ministre démissionnaire Itamar Ben-Gvir de revenir dans la coalition, il semble que Netanyahu manœuvre pour satisfaire la deuxième condition (le retour au combat à Gaza) parmi les trois conditions posées par Ben-Gvir, après avoir suspendu l'entrée des aides humanitaires dans la bande de Gaza.  

La question du recrutement des haredim apparaît également comme pressante et décisive, ceux-ci menaçant le gouvernement de Netanyahu de ne pas adopter le budget général, sauf si la majeure partie des haredim est exemptée du service militaire – un défi sérieux pour le gouvernement de Netanyahu.

L'État israélien en proie à une division croissante 

La situation en Israël connaît une division de plus en plus profonde, qui s'est accentuée ces derniers jours. L’institution militaire et sécuritaire est en désaccord fondamental avec le pouvoir politique. Pourtant, le Premier ministre exploite ses prérogatives constitutionnelles pour limoger les dirigeants de ces institutions ou les pousser à la démission (le ministre de la Défense Yoav Gallant, le chef d’état-major Herzi Halevi, et le directeur du service de sécurité intérieure israélien, le "Shin Bet", Ronen Bar…). Il cherche ainsi à nommer des personnalités loyales afin de donner l’illusion d’une harmonie entre les institutions de l’État.  

Par ailleurs, les élites économiques exercent une pression croissante sur le pouvoir politique pour mettre fin à la guerre, en raison de l’impact négatif sur leurs intérêts. De plus, le mouvement des familles des otages prend de l’ampleur et affecte l’ensemble de la société israélienne. 

L'impasse stratégique de Tel-Aviv et l'approche américaine  

Sur le plan politique, les États-Unis sont conscients que Tel-Aviv n’a aucun plan clair pour l’après-guerre à Gaza. Israël a échoué à affaiblir significativement les capacités militaires du Hamas, à l’évincer du pouvoir, et pire encore, refuse que l’Autorité palestinienne prenne le contrôle de Gaza, estimant qu'il n’y a aucune différence entre le Hamas et le Fatah. De plus, Israël rejette l’initiative égyptienne et ne semble envisager qu’une seule option : le déplacement forcé des Palestiniens hors de Gaza.  

Cependant, à court terme, l’administration américaine ne s’oppose pas à une reprise des hostilités par Israël, considérant cela comme un moyen de pression pour forcer le Hamas à accepter la deuxième proposition de Whitcof et à abandonner l’accord de cessez-le-feu. L’objectif est de réduire les négociations à un simple échange de prisonniers, tout en maintenant la présence des forces israéliennes dans la bande de Gaza et en privant la résistance palestinienne de tout levier pour obtenir des aides humanitaires, un retrait israélien ou la reconstruction du territoire.  

La résistances et les enjeux à venir  

Le principal point de vulnérabilité de la résistance palestinienne demeure la population civile, qui dépend de l’aide humanitaire dans un contexte de famine imminente et de propagation de maladies. Malgré cela, le Hamas adopte une position inflexible, estimant que 15 mois de résilience ayant conduit à la signature d’un cessez-le-feu ne peuvent se solder par une reddition en quelques semaines, surtout à l’approche du vote du budget en Israël.  

Le Hamas est conscient que Netanyahu cherche à utiliser une guerre temporaire pour contraindre la résistance à accepter le plan de Whitcof et ainsi sauver son gouvernement de l’effondrement. Toutefois, 15 mois de combat ont accentué les divisions internes en Israël et contraint les institutions sécuritaires et militaires à privilégier la libération des détenus israéliens, même au prix de lourdes concessions politiques. Cela renforce la détermination du Hamas à tenir sa position, d'autant plus qu’il bénéficie de la légitimité de l’accord de cessez-le-feu, qu’Israël a violé à plusieurs reprises avant de le saboter complètement.  

Les prévisions indiquent que Tel-Aviv se limitera à des frappes aériennes, ciblant spécifiquement les dirigeants du Hamas, tout en maintenant un niveau de conflit tactique jusqu’à l’adoption du budget général. Israël surveillera également la position palestinienne et, si le Hamas maintient son refus, cela pourrait rouvrir les négociations en avril sous un nouvel angle, avec une possible convergence sur l’initiative égyptienne.

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