Sahara, un livre de Abdellah Laroui à lire absolument

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Les textes écrits « sous le coup de l’évènement », l’expression est de Laroui, et dans le feu de l’actualité, ils n’en demeurent pas moins marqués de l’empreinte de l’historien

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Le Centre Culturel du Livre vient de publier L’Algérie et le Sahara marocain de Abdellah Laroui, 139 pages, qui regroupe une série d’articles que celui qui est à la fois historien, islamologue et romancier a publié dans la revue Lamalif à l’exception d’une tribune libre, intitulée Deux politiques, consacrée à une réflexion sur [l’] Intégrité territoriale et [l’] autodétermination parue dans le Monde du 30/10/1975. En tout, onze articles, s’étalant de 1974 à 1976, qui, à près d’un demi-siècle d’intervalle, n’ont rien perdu de leur fraicheur.

Pour la petit histoire, ces articles avaient pour un temps rapproché de Hassan II, par la volonté de celui-ci, Abdellah Laroui alors membre atypique de l’USFP, à une époque où l’USFP était encore tenue loin du Palais.

Ecrits « sous le coup de l’évènement » et dans le feu de l’actualité, ces articles n’en demeurent pas moins marqués de l’empreinte de l’historien qui, quel que soit son engagement pour la cause nationale, observe à l’égard des faits la distance que lui dicte sa science. Méthodiquement, l’historien s’attèle à séparer le vrai du faux dans une affaire vieille de près d’un siècle au moment de son déclenchement. Elle prend racine à la bataille d’Isly en 1844 et s’étend au sommet d’Agadir en 1973 qui a réuni le Roi Hassan II à l’algérien Houari Boumediene et au mauritanien Mokhtar Ould Daddah, sommet qui sera sanctionné par un échec, le souverain marocain comprenant alors que ses partenaires, plus particulièrement l’algérien, avaient d’autres idées derrière la tête en dépit de ses efforts d’apaisement, dont l’accord avec l’Algérie sur les frontières n’est pas des moindres.

Sans amertume ni regret

L’ouvrage de Abdellah Laroui, pour ceux qui ne gardent de la genèse de cette affaire que les images et les récits estompés d’une épopée appelée la Marche Verte, est un document d’une grande qualité qui aura sue eux l’effet d’un rappel. Pour les générations nées avec les débuts de cette affaire et ne la vivent que dans la ferveur patriotique, c’est un précieux document concis, précis, documenté et correctement analysé. Il leur permettra de comprendre à travers une approche dynamique et accessible les dimensions juridiques, idéologiques, historiques, géographiques, politiques et géopolitiques d’une affaire qui a ruiné le rêve maghrébin de leurs pères et grands-pères.

« Il est toujours dur de reconnaitre que ceux qui ont tablé sur l’égoïsme et l’aveuglement des hommes ont encore une fois eu raison », écrit Abdellah Laroui en avril 1975 dans Réflexions sur la politique extérieure de l’Algérie, avant d’ajouter : « Mais ceux qui, comme nous, ont cru que l’Algérie, par le fait même qu’elle aura vécu plus longtemps sous la domination d’autrui […], sera capable de produire des hommes qui dans chaque cas choisiraient l’intérêt des peuples plutôt que les ambitions conjoncturelles d’un Etat identifié abusivement aux désirs profonds d’une nation, sont bien obligés de constater aujourd’hui que cette dialectique prospective est étrangère à la psychologie humaine, et que l’itinéraire le plus naturel pour celui qui a été dominé est de vouloir dominer à son tour

Condamnation sans appel ? Aucunement, seulement la voie d’en « prendre acte et d’agir en conséquence sans amertume ni regret ». Si Abdellah Laroui revient sur la carte du Maroc, la succession d’amputations dont elle a été l’objet, et relate la complexité de la situation géopolitique du Maroc au lendemain de l’indépendance au niveau régional aussi bien que continental et international, ce n’est guère par une quelconque nostalgie. Si aussi il met le doigt sur les faiblesses sentimentales, mais pas seulement, qui ont empêché le Maroc de retrouver ses territoires dès 1958, ce n’est nullement pour culpabiliser qui que ce soit. Et si encore il analyse objectivement la duplicité de la France et de l’Espagne, ainsi que de la Mauritanie et de l’Algérie après leur indépendance, l’historien n’en dédouane pas pour autant le pouvoir marocain et les forces politiques du Maroc de leur gestion de ce dossier. « Discuter avec la France au sujet du Sahara, c’était en effet, écrit-il en juillet 1975, reconnaitre la légitimité de la souveraineté française et accepter que les combattants algériens soient des rebelles. Le roi du Maroc ne s’est pas résolu à prendre une position aussi strictement légaliste ; les nationalistes marocains ont préféré faire confiance à leurs frères de lutte algériens et poser les jalons d’une unité maghrébine qui permettrait de dépasser les problèmes territoriaux ». C’est que les Marocains étaient loin de se douter qu’ils allaient en être récompensés par une fallacieuse accusation d’expansionnisme et de se retrouver face au mur africain et de certains milieux occidentaux qui ne trouvent de bon dans le colonialisme que « l’intangibilité des frontières » qu’ils en ont héritées. Exit ainsi l’accord du 6/7/1961 conclu avec le GPR algérien.

Le faux calcul d’Alger

Pour autant, la France qui a entamé le grignotage des territoires marocains dans le sillage de la défaite dans la bataille d’Isly, et dans son sillage l’Espagne, restent ensemble les responsables au premier chef de tous les problèmes territoriaux du Royaume chérifien. Abdellah Laroui ne le dit pas ainsi, mais c’est à la suite de cette bataille qui a vu le Maroc s’allier à l’émir Abdelkader dans l’espoir de dissuader les prétentions françaises sur le Maroc, que le mouvement de son occupation s’accélère pour aboutir 68 ans plus tard au co-protectorat de 1912. Ainsi, le Maroc, qui, contrairement à bien d’autres, « n’est pas un Etat créé ex-nihilo […] n’aura [finalement] connu de la colonisation que ses aspects négatifs.»

Dans ses conclusions, Abdellah Laroui décortique l’imposture d’un peuple sahraoui à partir d’une ambition tribale dans une sphère qui en compte par dizaines. Et dans l’hypothèse extrême où il aurait prouvé « une authentique volonté d’autonomie, il ne s’agirait encore, pour Abdellah Laroui, que d’un mouvement séparatiste qui, pour être crédible, devrait affirmer son indépendance à l’égard de tous. » Quarante-cinq ans après la rédaction de cet article, nul au monde n’ignore que le Polisario n’est en définitive que le proxy des généraux d’Alger. Et en Avril 1976 déjà, ce constat, patent aujourd’hui, pas si sûr alors : « L’Algérie socialiste, révolutionnaire, championne de l’anti-impérialisme, leader des non-alignés, etc., a été tenue en échec non par un Maroc hypothétique, renforcé par le phosphate du Sahara et l’alliance avec la Mauritanie, mais bien par le Maroc [de 1976] qu’on dit stagnant, empêtré dans ses contradictions sociales et son ‘’archaïsme’’. […] Les gouvernants d’Alger ne semblent pas avoir suffisamment réfléchi sur cet aspect des choses, ou s’ils l’ont fait, ils paraissent en avoir tiré une conclusion inadéquate. » Et à supposer même que le scénario hégémoniste du pouvoir algérien se vérifie, « il aura toujours à affronter un Maroc qui, en plus de ses potentialités réelles, dévoilées lors de la Marche Verte, aura acquis la volonté de défendre farouchement ses droits, ce qui n’était pas évident pour tous auparavant. »

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PS : J’aurai à revenir sur d’autres aspects de cet ouvrage

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