Stress hydrique : Boire ou irriguer, un choix impossible - Par Bilal TALIDI

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Il est incompréhensible de constater une présence prononcée du stress hydrique dans la prospective stratégique de l’Etat, et une absence flagrante des mesures coercitives et d’orientation

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Au Maroc, le mois d’avril représente depuis toujours une échéance stratégique en ce sens qu’il constitue le moment précis où l’Etat définit deux axes majeurs de sa politique : la sécurité alimentaire et la sécurité hydrique.

Dans cette perspective, la sécurité alimentaire ne se pose avec acuité que pour le secteur des céréales, ce que les pouvoirs publics parviennent souvent à résoudre par le truchement d’un décret révisant à la baisse les droit d’importation applicables à cette denrée vitale pour assurer l’approvisionnement du marché à des prix raisonnables.

Des chiffres peu rassurants

Il en va autrement pour la sécurité hydrique. A moins que les pluies ne redressent la donne d’ici avril prochain, le Maroc risque de subir une crise de sécheresse inédite.

Les chiffres sont là. Effrayants. Al Massira, deuxième plus grand barrage du Maroc qui alimente la région de Settat et une partie considérable de Casablanca et Berrechid, affiche une capacité de retenue à son niveau le plus bas depuis des lustres (moins 7%), tandis que le taux de remplissage du bassin d’Oum Er Rabia ne dépasse guère les 10%.

Al Wahda, le plus grand barrage du pays avec une retenue d’environ trois milliards de mètres cube, connait une chute alarmante, alors que la nappe phréatique de Marrakech et environs est au rouge depuis des décennies déjà, à cause de la multiplication des puits sauvages et de l’exploitation inconsidérée des eaux pour les piscines.

La zone d’Errachidia sera incontestablement la plus impactée, en raison du déficit des précipitations, de l’assèchement des puits, et de l’amenuisement des eaux souterraines.

L’Etat n’est pas indifférent 

Certains appréhendent ces données avec une placidité déconcertante, estimant que la sécurité hydrique du Maroc est fatalement liée aux caprices de la Nature, et que les retenues des barrages augmentent et baissent au gré des années, et la crise est ainsi gérée toujours dans l’attente de la grâce du Ciel.

A leur opposé, d’autres, plus enclins au nihilisme suicidaire, déclarent la guerre aux gros agriculteurs qu’ils accusent du dessèchement de la nappe phréatique, en raison du recours à des cultures qui consomment beaucoup d’eau dans des zones déjà souffrant de la soif.

Des dits politisés comptent eux sur la crise de la soif pour qu’elle serve de ferment révolutionnaire au Maroc. Ils imaginent ainsi que ce que toutes les crises traversées par le Maroc ont échoué à produire, peut-être que la famine et la soif seront-elles plus efficientes et servent de déclencheur à la révolution dont ils fantasment.

Ce sont là des absurdités de nature à annihiler l’aptitude à la réflexion et à distraire des vraies questions qu’il faut poser. La sécurité hydrique n’est pas absente des prospectives stratégiques de l’Etat qui a accordé une priorité extrême à cette question au cours des dernières années. D’énormes projets stratégiques ont été lancés, à l’instar des deux projets de dessalement de l’eau de mer à Lâayoune et Agadir, outre des projets similaires inscrits à l’agenda stratégique de l’Etat à compter de 2027.

Un choix cornélien inapproprié

Nul besoin d’épiloguer sur l’importance de prioriser l’investissement dans la désalinisation à Lâayoune. Pas plus d’ailleurs qu’à Agadir, une des villes qui a connu en 2019 un rareté d’eau aigue suscitant pour la première fois un débat cornélien : Que prioriser, l’eau potable ou l’agriculture ? Il était donc impératif de fournir cette réponse stratégique qui empêche d’opposer les composantes d’une indissociable paire : Irrigation et eau potable.

La rareté de l’eau limitée en 2019 à certaines agglomérations est devenue, aujourd’hui, un problème général qui menace même les villes où des barrages ont été construits, comme Tanger.

Il n’est certes pas aisé de répondre à ce défi, mais le Maroc n’a d’autre solution que de généraliser l’expérience d’Agadir à un certain nombre de villes côtières. Le dessalement d’eau de mer dans la station de Safi, par exemple, pourrait résoudre complètement le problème pour Marrakech et les villes avoisinantes. Si les prospectives stratégiques ont fixé le début des études à compter de 2027, l’ampleur du défi exige de les entamer sans attendre.

Il est inconcevable que des pays voisins du Nord aient pris conscience de la répartition équitable des ressources hydriques entre les régions, à travers des aqueducs, et de ne pas mettre à profit cette expérience pour acheminer les eaux des régions septentrionales aux zones méridionales du Royaume, alors même que la réflexion sur le transfert des eaux d’une région est à l’autre est à l’ordre du jour au moins depuis la fin des années 80 du siècle dernier. La région du Nord, le Gharb précisément, qui enregistre des niveaux record de pluie, pourrait partager les ressources hydriques excédentaires avec les régions du Sud qui vivent sous un ciel parcimonieux, d’autant plus que ces transferts d’eau sont moins investivores que la désalinisation.

L’étonnante absence de coercition 

Certes, l’investissement n’est pas forcément l’unique solution, car la station de dessalement de Lâayoune a coûté, à elle seule, 300 millions de dirhams au budget de l’Etat. Un chiffre à démultiplier lorsqu’il s’agira d’une station de dessalage à Casablanca, Safi ou dans d’autres grandes villes côtières sensées répondre aux attentes d’une plus grande population, outre les besoins agricoles. Le même constat s’applique aux aqueducs de transfert des eaux du Nord au Sud, des projets de traitement des eaux usées, et de leur réutilisation pour l’irrigation des espaces verts.

Il n’en demeure pas moins incompréhensible de constater une présence prononcée du stress hydrique dans la prospective stratégique de l’Etat, et une absence flagrante des mesures coercitives et d’orientation en termes d’approches. On citera pêle-mêle l’anarchie totale des puits clandestins et des forages sauvages qui, creusés sans autorisation, menacent la nappe phréatique. De même pour la surexploitation de l’eau que ce soit pour l’irrigation des espaces verts, dans les piscines, ou le lavage des voitures, en l’absence de toute intervention de la Police de l’eau. On comprend mal l’absence absolue de tout effort de communication, les médias n’ayant jusqu’ici diffusé aucune capsule de sensibilisation à la gravité de la situation et à l’utilisation rationnelle de l’eau.

L’on se rappelle comment, au plus fort de crise de l’eau en 1995, les autorités à Tanger et Tétouan ont, non seulement réduit à deux heures par jour l’approvisionnement en eau potable, mais sévi avec fermeté contre toute utilisation irrationnelle de l’eau et imposé les sanctions nécessaires aux contrevenants.

Sans que ce sombre scénario soit nécessairement inéluctable, il est urgent de réfléchir à toutes les dimensions susceptibles de préserver la sécurité hydrique, de l’investissement quel qu’en soit le cout à la prise des mesures nécessaires à la protection de la nappe phréatique et l’interdiction de l’utilisation irrationnelle de l’eau, en passant par la sensibilisation via les leviers disponibles : religion, école, et médias.

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