Tebboune à la recherche en Egypte d’un dégel avec les pays du CCG - Par Bilal TALIDI

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Abdelfattah Sissi et Abdelmadjid Tebboune : Conscient des besoins d’Alger et de l’embarras dans lequel son régime se retrouverait au cas où le Sommet arabe ne se tenait pas en Algérie, il a clairement formulé sa demande et nettement résumé l’agenda de son pays: l’entrée davantage de produits égyptiens sur le marché algérien, et le flux des fortunes algériennes pour booster les investissements

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Le président algérien Abdelmadjid Tebboune s’est rendu, lundi dernier au Caire pour une visite de deux jours concoctée dans la précipitation lors d’une visite de son ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra. 

La conclusion qui vient à l’esprit de prime abord est qu’Alger cherche le soutien du Caire pour l’organisation du Sommet arabe initialement prévu en mars, mais reporté pour ‘’cause de la pandémie du Covid-19’’.

Des approches divergentes

A l’issue de cette visite, les déclarations du président égyptien Abdelfattah Al-Sissi et de son hôte algérien, ont révélé des approches divergentes. Tandis que le premier a mis l’accent sur «le renforcement des relations bilatérales » et « la dynamisation des commissions bilatérales mixtes», le second a insisté sur « davantage de consolidation de la coordination et de la concertation avec l’Egypte pour faire face aux différents défis qu’affrontent la région et la nation arabe», ainsi que «le renforcement de l’action arabe commune».

Ces déclarations renseignent sur la divergence des points de vue des deux parties quant aux résultats de cette visite. Cependant que l’Algérie recherchait en Egypte du réconfort après avoir montré son incapacité à convaincre de l’utilité d’un sommet arabe, Le Caire n’avait d’yeux que pour le renforcement de la coopération commerciale et les investissements algériens en Egypte.

L’examen des positions diplomatiques des deux pays sur les questions arabes et régionales jette une lumière crue sur les limites de leurs convergences. A l’exception notable de l’acceptation par Le Caire du retour inconditionnel de la Syrie dans giron de la Ligue arabe, les divergences entre les deux capitales apparaissent marquées par la contradiction et frisent parfois la tension.

La pomme de discorde

L’Egypte a tranché pour le rapprochement avec les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et la rupture avec l’Iran, n’accordant aucune attention aux appels de pied de Téhéran. L’Algérie, elle, dans le cours de son conflit régional avec le Maroc, a opté pour le renforcement de ses relations avec l’Iran et le rapprochement du Hizbollah libanais, véritable pomme de discorde.

L’Egypte, qui considère sa propre sécurité indissociable de celle des Etats du CCG, entretient une relation stratégique avec les pays du conseil qui la considèrent comme un facteur de sécurité et un pilier de stabilité régionale. 

A l’opposé, la relation de l’Algérie avec Téhéran, la rupture de ses relations avec le Maroc et le rejet de toute médiation des pays du Golfe pour régler les différends avec Rabat sont source d’une préoccupation majeure que les pays du CCG ont exprimée éloquemment dans leur soutien inconditionnel au Maroc. Le dernier exemple en date n’est autre que le soutien des pays du CCG à la dernière résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara marocain qui constitue une victoire pour l’approche marocaine visant pour la solution de ce conflit.

Mais pas seulement. Les relations de l’Algérie avec les Emirats Arabes Unis sont tendues en raison des divergences sur le dossier libyen, Alger accusant Abou Dhabi, qui ne voit pas à son tour d’un bon œil le rapprochement algéro-turc, de comploter contre sa sécurité nationale en soutenant le général Haftar.

En apparence, les relations de l’Algérie avec les pays du Golfe semblent plutôt calmes, malgré quelque tensions sur certaines questions. L’appartenance des deux parties à l’OPEP favorise la tempérance, mais ne va pas jusqu’à empêcher la diplomatie des pays du CCG de produire des dynamiques contrariant l’agenda d’Alger. C’est pour ces raisons que l’Algérie estime aujourd’hui que ses rapports avec les pays du Golfe sont loin d’être au beau fixe, et que la diplomatie marocaine a réussi à la cantonner, en s’assurant l’alignement du CCG à ses cotés.

C’est dans la globalité de ce contexte, qu’il faut inscrire la publication de deux positions officielles condamnant l’attaque houthie contre les Emirats arabes unis, la première émanant du ministère des Affaires étrangères algérien et la seconde de l’Etat-major de l’armée. Curieusement, les deux positions, là où une seule aurait suffi, ont été rendues publiques concomitamment avec la visite du président Tebboune au Caire.

Pour ‘’bienvenue’’ qu’il soit, le communiqué des Affaires étrangères algériennes n’était pas de nature à estamper la profondeur de la divergence entre Alger et Le Caire au sujet de la guerre au Yémen et de l’attaque houthie contre les Emirats arabes unis. En exprimant sa solidarité et sa sympathie à Abou Dhabi, Alger a tenu à renouveler «son rejet absolu de toute action (des deux parties) qui porterait atteinte à la sécurité et à la stabilité dans ces Emirats et dans la région», appelant les parties au conflit au dialogue et à l’évitement de l’escalade. Côté égyptien, le ton est beaucoup plus tranché : Le Caire considère que la poursuite des attaques «des milices houthies contre l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis constituent une menace flagrante de leur sécurité et leur stabilité et apporte son soutien à toutes les mesures prises par Riyad et Abou Dhabi pour faire face à ces attaques».

Par ailleurs, le pouvoir algérien, dans le cadre de sa gestion du conflit régional avec le Maroc, a enjambé Le Caire, en essayant d’investir dans le dossier palestinien, à travers l’appel des factions rivales à une réunion à Alger, après l’incapacité de l’Egypte à réconcilier les parties et à les convaincre d’adhérer au plan de reconstruction de Gaza.

Sans oublier que la même Algérie avait proposé sa médiation dans le grave différend qui oppose l’Ethiopie et l’Egypte au sujet du barrage Nahda, une médiation qui n’a pas dépassé le stade des intentions et des déclarations sans rien apporter de substantiel qu’Alger puisse mettre à son actif dans son rapport avec l’Egypte.

L’attente d’Alger, le prix du Caire

Globalement donc, les divergences entre Alger et Le Caire sont bien plus grandes que les convergences. Hormis leur entente sur un éventuel retour de la Syrie à la Ligue arabe, les deux parties semblent avoir maille à partir sur bon nombre de questions.

Ceci étant, qu’attend Alger du Caire, que peut lui offrir l’Egypte et à quel prix ?

La perception qu’a l’Egypte de sa sécurité nationale et de ses intérêts en Libye est diamétralement opposée à la vision algérienne. Le point de discorde ne concerne pas uniquement le différend autour du général Haftar soutenu par l’Egypte et honni par Alger, mais porte également sur le rôle de la Turquie.

Vraisemblablement, la visite du président Tebboune en Egypte ne s’explique ni par la question palestinienne, ni par le dossier libyen, ni par une demande au Caire pour l’aider à fixer la date du prochain Sommet arabe en mars prochain. Tout porte à croire que l’Algérie demande la médiation de l’Egypte pour un dégel de ses relations avec les pays du Golfe. Consciente enfin que le report du Sommet est une décision à part entière des pays du CCG, sachant que le chemin le plus court vers ces pays passe par Le Caire, Alger cherche à les amener à revoir la décision d’un report sine die du Sommet pour éviter au régime algérien un retentissant choc au plan arabe et national.

Pragmatique, le président Al-Sissi a l’art de s’investir dans les crises. Conscient des besoins d’Alger et de l’embarras dans lequel son régime se retrouverait au cas où le Sommet arabe ne se tenait pas en Algérie, il a clairement formulé sa demande et nettement résumé l’agenda de son pays: l’entrée davantage de produits égyptiens sur le marché algérien, et le flux des fortunes algériennes pour booster les investissements dont il a tant besoin dans la nouvelle capitale administrative du pays.

Certes, il est prématuré de conjecturer sur l’issue de la mission de médiation éventuelle de l’Egypte, car les pays du CCG ne sauraient sacrifier le Maroc pour les beaux yeux d’Alger. Dans l’entretemps, pour s’assurer les largesses économiques et commerciales qu’elle convoite ardemment, rien n’empêche l’Egypte, de son côté, de s’investir d’ores et déjà dans la rhétorique et les discours, tout comme l’a fait l’Algérie lors de l’annonce de sa médiation entre Le Caire et Addis-Abeba.