Vaccin contre le Coronavirus : Pourquoi tant de retard ?

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Le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb : un mutisme qui ajoute à la confusion, mais la réponse n’est pas chez lui.

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Aucun marocain ne comprend aujourd’hui les raisons du retard accusé par la vaccination contre le Covid-19, alors que le Maroc a été parmi les premiers à annoncer la conclusion d’accords avec la Chine pour la production du vaccin de Sinopharm. Ils ne comprennent pas non plus comment a été autorisé un autre vaccin, celui d’AstraZeneca, au moment même où l’on commençait à se poser des questions sur la possibilité d’utiliser le vaccin chinois. 

Les déclarations contradictoires du ministre de la Santé n’ont fait qu’ajouter à la confusion qui entoure la question. M. Khalid Aït Taleb a commencé par décliner les dates de l’arrivée des vaccins et du lancement de la vaccination allant jusqu’à fixer les catégories de citoyens cibles. Il est ensuite passé à des justifications en rapport avec les livraisons pour finir dans un dense brouillard où plus personne ne dispose de l’information exacte sur le sujet. Quand bien même certains médias s’évertuent à expliquer à sa place les raisons de ce retard.   

En pratique, on ne peut concevoir un processus décisionnel dans cette affaire en dehors de la coordination entre l’expertise technique (médicale) et la décision politique. L’ordre naturel des choses voudrait qu’il y ait l’avis de la commission scientifique sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins disponibles, à charge pour les décisionnaires politiques et les gestionnaires de fixer un calendrier et le dispositif de mise en œuvre.

Ceci étant, il va sans dire qu’il y a une grande différence entre la décision politique et la décision scientifique. Cette dernière obéit à des protocoles rigoureux et doit respecter des étapes d’essais qui doivent donner lieu à des publications dans des revues scientifiques internationalement reconnues. C’est seulement alors qu’intervient la décision politique qui, une fois prise, délègue aux gestionnaires l’exécution.

Sans oublier que dans une opération aussi complexe, la décision politique n’est pas des plus simples. La sensibilité de la question de la santé publique et de ses incidences sur la stabilité sociale n’a d’égale que la sensibilité du choix du vaccin dans un contexte international marqué par une fébrile concurrence entre les puissances productrices du vaccin.

Ce qui signifie que la recherche de l’explication du retard dans une quelconque hésitation médicale ou dans l’espace de l’interaction entre la décision scientifique et la décision politique, ne suffit pas et revient à ne pas comprendre la manière dont sont gérées les choses dans notre pays. C’est que le Maroc n’a pas une grande accumulation d’expérience dans la mise en place de commissions scientifiques pour des sujets de cette nature. La Plupart du temps la consultation directe se substitue aux commissions scientifiques, celles-ci n’ayant in fine qu’à acter les décisions ainsi arrêtées.

La décision politique, elle, est commandée par des considérations qui incitent à la restriction de la participation au processus de son élaboration. De telle manière que le choix du vaccin chinois ou britannique ne peut être dissocié des fluctuations du politique et de ses contradictions dans un environnement international où le Royaume cherche à consolider ses intérêts supérieurs. Pour cerner un tant soit peu ce qui se passe, il faut garder à l’esprit que le Maroc a mis son expertise et sa position stratégique, en tant de hub de commercialisation du vaccin en Afrique, au service de son action à l’international pour la défense de sa cause nationale. 

Ce sont ces deux niveaux de décision (Politique te scientifique), par la complexité de leur dialectique propre, qui sont à l’origine de la confusion actuelle. Elle est telle que le Pr Azeddine El Ibrahimi, directeur du Laboratoire de Biotechnologie à la faculté de médecine de l’université Mohammed V à Rabat, dont les actions se sont bonifiées quelque peu grâce à ses avis sur la pandémie et le vaccin prévu au Maroc, a perdu dernièrement toute sa verve communicationnelle. Pour répondre aux Marocains inquiets du retard du vaccin il a été contraint de recourir en définitive à une expression loin du domaine médical et proche de celui de la politique, en leur conseillant de « faire confiance aux décideurs ». 

Nombre de Marocains n’ont pas bien compris son propos et attendent encore de lui, ou de la commission scientifique, ou du ministère de tutelle une clarification sur le type de vaccin qui sera adopté et sur les fondements scientifiques de ce choix.  Ils attendent aussi d’être fixés sur la date du lancement de la campagne de vaccination. De ces attentes est née une autre interrogation devenue lancinante : Le Maroc a-t-il commis une erreur en mettant tous ses œufs dans le panier chinois, pour découvrir par la suite que le vaccin de l’empire du milieu ne répond pas aux caractéristiques exigées pour obtenir l’autorisation d’utilisation ?

De mon point de vue, ce sujet ne se présente pas ni ne se comprend ainsi. La décision est éminemment politique. Elle a des dimensions stratégiques qui entremêlent la cause nationale, les relations avec la Grande Bretagne, la gestion des négociations aussi bien avec les Etats Unis qu’avec l’Espagne, et il ne serait pas surprenant que dans ce tourbillon, le Maroc finisse par se rabattre sur le vaccin de Pfizer-BioNtech. 

Aussi, ceux qui cherchent une réponse au retard du vaccin chez le Pr Azeddine El Ibrahimi, ou chez la commission scientifique, ou chez le ministre de la Santé, ou même chez le chef du gouvernement, n’auraient pas compris que la vaccination contre le coronavirus est devenue une partie intégrante de la politique étrangère et ne se différencie en rien des autres sujets relevant du domaine réservé.