Culture
2021, une année faste pour la littérature africaine - Par Abdelatif ABILKASSEM
L’écrivain sénégalais Mohamed Mbogar Sar, prix Goncourt pour son roman "La plus secrète mémoire des hommes".
Par Abdelatif ABILKASSEM (MAP)
Rabat - "Ce fut une grande année pour la littérature africaine et j'aimerais accepter ce prix au nom de toutes les histoires racontées et non racontées, des écrivains entendus et non entendus, du remarquable continent dont je fais partie", c’est avec ce discours plein d’inspiration que le romancier sud-africain Damon Galgut a accepté le Booker Prize 2021 pour son roman "The promise".
En fait, le roman de Galgut qui relate l'histoire d'une famille d'agriculteurs blancs à la fin de l'apartheid en Afrique du Sud, n'a pas été le seul à exprimer la voix de l'Afrique à travers la littérature en 2021, car deux autres écrivains ont réalisé des exploits similaires en remportant deux autres prestigieux prix de haute facture. Avec Galgut, ils ont contribué au rayonnement de la littérature africaine au cours de cette année.
Il s’agit de l'écrivain tanzanien Abdul Razzaq Garnah, Nobel de littérature pour son "récit émouvant et sans concession des effets du colonialisme et du sort des réfugiés pris en tenailles entre les cultures et les continents", selon l'Académie suédoise, et du jeune écrivain sénégalais, Mohamed Mbogar Sar, prix Goncourt pour son roman "La plus secrète mémoire des hommes".
La vocation première de la littérature a été exprimée d’une manière similaire dans la déclaration de Garnah suite à l'annonce du vainqueur du prix Nobel de littérature. "Je veux écrire sur les interactions humaines, ce que les gens traversent quand ils reconstruisent leur vie", avait-il déclaré.
Ces interactions humaines étaient elles aussi présentes dans le roman de Mbogar Sar (31 ans), premier écrivain d'Afrique subsaharienne à remporter le prix Goncourt, avec une œuvre qui retrace les péripéties d'un écrivain sénégalais confronté à une série interminable d'ennuis et s'inspire du destin brisé de l'écrivain malien Yambo Ouologuem (1940-2017), prix Renaudot 1968 pour "Le Devoir de violence", accusé de plagiat.
Revenant sur le sacre de Mbogar Sar, le jeune écrivain marocain, Abdelmadjid Sebbata, estime que les critiques ont eu raison d’acclamer le roman du jeune écrivain sénégalais avant même qu'il ne remporte le prix Goncourt.
"Il s’agit d’une œuvre qui traite d'un sujet qui m'est cher, l'enquête littéraire. 'La plus secrète mémoire des hommes' plonge dans les secrets et le passé d'un écrivain sénégalais inconnu, auteur d'un roman mystérieux qui relate des événements qui se sont produits dans plus d'un pays, à la recherche de la vérité, a-t-il indiqué dans un entretien accordé à la MAP.
“Malheureusement, je n'ai pas encore été en mesure de lire des œuvre de Garnah ou de Galgut. Les thèmes choisis par le premier portent en grande partie sur la crise de la migration et des réfugiés, tandis que 'The Promise' de Galgut traite d'une saga familiale à l'ère de l'apartheid en Afrique du Sud. Ces ouvrages figurent en tête de liste de mes prochaines lectures, pour en savoir plus sur le monde des écrivains”, a confié Sebbata.
S’agissant de Gurnah, l'écrivain marocain a jugé que ce dernier n’était pas très connu auprès des lecteurs arabes avant son sacre, notant dans ce sens que "de nombreuses critiques ont été adressées aux traducteurs arabes après l'annonce du prix Nobel d'Abdul Razzaq Garnah".
"Aucun ouvrage de l'écrivain n'avait été traduit en arabe et les journalistes n’ont trouvé qu’une seule interview avec lui dans un magazine culturel arabe en 2008. Je trouve toutefois que cette critique n'a pas de sens", assure Sebbata.
En effet, a-t-il dit, Garnah ne jouit pas d’une grande notoriété hors du Royaume-Uni où il réside, rappelant que la page officielle du prix Nobel avait posté sur Twitter un sondage pour tester les connaissances des participants sur les œuvres de l’auteur et que l'écrasante majorité (93%) avait déclaré ne pas le connaître.
De l'avis de Sebbata, il semble que la tendance actuelle pour le prix Nobel est de s'éloigner des noms illustres, qui "ont été suffisamment applaudis".
Pour ce qui est du rôle de la littérature dans la définition des enjeux du continent africain, de ses problèmes et des défis auxquels il est confronté, l'écrivain marocain a relevé que cette dernière a un rôle central dans la définition des particularités des populations et de la souffrance des opprimés et des laissés pour compte, dont la voix a été oubliée par les médias traditionnels.
A ses yeux, la difficulté d’atteindre le reste du monde est le principal obstacle pour la littérature africaine. Par exemple, "la diffusion de la littérature latino-américaine depuis la fin des années cinquante et le début des années soixante a contribué à faire découvrir les atrocités des régimes dictatoriaux en Amérique du Sud (...) La littérature fut le meilleur porte-voix d'un continent que l’on voulait être une arrière-cour pour le géant nord-américain".
Et d’ajouter que "le continent africain regorge de grands talents et de plumes, qui n'ont rien à envier au reste de la littérature mondiale". Le problème qui se pose est avant tout lié à la diffusion et à la lisibilité. "Les maisons d'édition mondiales s'intéressent-elles à ces ouvrages ? Cherchent-elles à acquérir les droits d’édition et de traduction des ouvrages de ces écrivains dans plusieurs langues ? Ou les regardent-elles d’un point de vue de mépris, d'infériorité et de centralité de la civilisation européenne ?", s’est interrogé Sebbata.
Quoi qu'il en soit, la littérature africaine a marqué l’année 2021 de sa présence comme en témoignent les prestigieuses récompenses littéraires qui ont fait briller le soleil de l’Afrique sur le monde. Les écrivains africains n’ayant jamais cessé d'interagir avec les enjeux du continent et de présenter ses problèmes, principalement ceux découlant de la colonisation.
Cette interaction, qui est la finalité ultime de la littérature, ne cessera pas de porter la voix du continent au monde. Et c'est précisément dans ce sens que Galgut a déclaré dans son discours de remerciement pour le Booker Prize : "S’il vous plaît, continuez à nous écouter. Il y a beaucoup plus à venir".