Culture
''Anora'' triomphe aux Oscars, un documentaire sur la Cisjordanie oscarisé
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L'actrice Mikey Madison avec l'Oscar de la meilleure actrice dans un rôle principal pour « Anora » lors de la 97e cérémonie annuelle des Oscars au Dolby Theatre à Hollywood, le 2 mars 2025. (Photo par Frederic J. Brown / AFP)
La tragicomédie "Anora" a triomphé dimanche aux Oscars en remportant cinq statuettes, dont celle du meilleur film, lors d'une cérémonie où "Emilia Pérez" de Jacques Audiard, plombé par les polémiques, a récolté seulement deux récompenses.
"Ce film a été réalisé grâce au sang, à la sueur et aux larmes d'artistes indépendants incroyables", a lancé Sean Baker, le réalisateur d'" Anora ", en remerciant l'Académie d'honorer "un film véritablement indépendant", produit avec seulement six millions de dollars.
Après sa Palme d'or à Cannes, son Cendrillon moderne rafle non seulement la récompense suprême, mais aussi les prix de la meilleure actrice pour Mikey Madison, du meilleur scénario, du meilleur montage, et du meilleur réalisateur pour M. Baker, figure du cinéma d'auteur américain.
Ce film où une strip-teaseuse new-yorkaise se marie au rejeton d'un oligarque russe, avant d'affronter le mépris de classe de sa belle-famille ultra-riche, ponctue sa filmographie largement dédiée aux marginaux de l'Amérique et aux travailleuses du sexe.
Révélation du film, Mikey Madison a tenu à leur "rendre hommage" en acceptant son Oscar, à seulement 25 ans.
Gaza et la Cisjordanie
Alors que les Oscars 2025 semblaient se diriger vers une soirée largement dépourvue de politique, contrairement aux années où Jimmy Kimmel avait attaqué Donald Trump, la victoire de "No Other Land" dans la catégorie meilleur documentaire a changé la donne.
Ce film, réalisé par des Palestiniens et des Israéliens, suit le jeune Palestinien Basel Adra, qui documente la destruction progressive de sa terre natale en Cisjordanie alors que des soldats israéliens démolissent des maisons et expulsent les habitants. L’histoire met en parallèle ses épreuves avec la liberté dont jouit le journaliste israélien Yuval Abraham.
En acceptant la récompense, Abraham a dénoncé "la destruction atroce de Gaza et de son peuple", tout en appelant à la libération immédiate des otages israéliens encore détenus après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023.
"Israéliens et Palestiniens doivent emprunter une autre voie, une solution politique sans suprématie ethnique, avec des droits nationaux pour nos deux peuples", a-t-il déclaré.
"Et je dois dire que, alors que je suis ici, la politique étrangère de ce pays [les États-Unis] contribue à bloquer cette voie."
Il va sans dire que cet Oscar a beaucoup déplu au ministre israélien de la Culture, Miki Zohar, qui a qualifié lundi l'attribution d'un Oscar au documentaire israélo-palestinien "No other land" de "triste moment pour le monde du cinéma". Surtout que le même film a été récompensé en 2024 du prix du meilleur documentaire à la Berlinale en Allemagne.
Echec relatif d’Emilia Pérez"
Au contraire d'"Anora", "Emilia Pérez" n'a pas pu reproduire l'enthousiasme généré à Cannes, où il avait notamment reçu le prix du jury.
L'odyssée musicale de Jacques Audiard sur la transition de genre d'un narcotrafiquant mexicain été largement boudée, après le scandale suscité par les anciens tweets racistes et islamophobes de son actrice principale, Karla Sofía Gascón.
Il n’a reçu que deux Oscars : celui du meilleur second rôle féminin pour Zoe Saldana et de la meilleure chanson, pour "El Mal", titre phare où son personnage d'avocate se révolte contre la corruption de la société mexicaine.
La statuette du meilleur film international lui a échappé au profit du drame brésilien "Je suis toujours là", sur la résistance d'une mère courage contre l'ex-dictature brésilienne.
Deuxième sacre pour Adrien Brody -
Adrien Brody a été l'autre sensation de la soirée: le comédien a remporté l'Oscar du meilleur acteur pour "The Brutalist", où il incarne un architecte survivant de l'Holocauste qui émigre aux Etats-Unis.
Il rejoint ainsi Marlon Brando et Jack Nicholson dans le club prestigieux des doubles vainqueurs de cette statuette, 22 ans après avoir été récompensé pour "Le Pianiste", où il jouait déjà un artiste confronté à la Shoah.
L'acteur de 51 ans en a profité pour livrer un plaidoyer politique, dans une référence à peine voilée à la nouvelle présidence de Donald Trump.
"Si le passé peut nous enseigner quelque chose, c'est de nous rappeler de ne pas laisser la haine s'exprimer sans contrôle", a-t-il insisté, en appelant de ses vœux "un monde plus sain, plus heureux et plus inclusif".
De son côté, Zoe Saldana s'est dite "fière d'être l'enfant de parents immigrés qui ont des rêves, de la dignité et des mains qui travaillent dur".
Ces deux discours ont compté parmi les rares allusions politiques de la soirée, lors d'une cérémonie bien moins virulente qu'en 2017 après la première élection de Donald Trump.
Contrairement à Jimmy Kimmel à l'époque, l'humoriste Conan O'Brien a largement évité le sujet, illustrant le malaise d'Hollywood face au milliardaire républicain, élu cette fois avec le vote populaire des Américains.
La cérémonie est restée consensuelle, avec un spectacle assuré par les stars de la comédie musicale "Wicked", Ariana Grande et Cynthia Erivo, et un hommage aux pompiers de Los Angeles, ravagée par des incendies meurtriers en janvier.
Le conflit israélo-palestinien s'est toutefois invité au programme, lorsque le film coup de poing sur la colonisation israélienne en Cisjordanie, "No Other Land" a remporté l'Oscar du meilleur documentaire.
Le reste du palmarès a couronné Kieran Culkin, meilleur second rôle masculin pour son personnage de trentenaire juif à fleur de peau, à la fois charismatique et insupportable, dans "A Real Pain".
La production lettone "Flow" a remporté l'Oscar du meilleur film d'animation, grâce aux aventures bouleversantes d'un chat à la dérive, confronté à l'engloutissement de sa planète par la montée des eaux.
Grand concurrent d'"Anora", le thriller papal "Conclave" et son intrigue sur l'élection les arcanes mouvementées de l'élection d'un nouveau pape au Vatican, n'est finalement reparti qu'avec un seul Oscar, celui du meilleur scénario adapté.
"The Substance", de la Française Coralie Fargeat, a remporté l'Oscar du meilleur maquillage et coiffure, pour la transformation physique impressionnante de Demi Moore en créature accro à un sérum de jouvence aux effets dévastateurs. (Quid avec AFP)