Architecte et anthropologue, Salima Naji Grande Médaille d’Or de l’Académie d’Architecture française

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Défendre une architecture du bien commun signifie « interroger le bâtiment, mais aussi les conditions de son édification, les pratiques spatiales, l’usage social, l’attachement au lieu » (Salima Naji).

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Paris - L’architecte et docteur en anthropologie, c’est complémentaire, mais rare. La marocaine Salima Naji, Grande Médaille d’Or de l’Académie d’Architecture française, la plus haute distinction de cette institution savante dédiée à la promotion de l’excellence en architecture, réunit les deux. 

"L’œuvre magnifique de Salima Naji illustre avec talent et responsabilité cette capacité d’insertion de l’architecture dans le respect du lieu" (Catherine Jacquot)

Ceux qui ont assisté en octobre 2023 aux journées d’étude sur « Penser les Horizons de dignité après le séisme » d’Al Haouz du 8 septembre de la même année, organisées par l’Académie du Royaume du Maroc, se souviennent de Salima Naji, cheville ouvrière de la réflexion sur l’art et les manières d’harmonisation entre les techniques modernes de reconstruction intégrant dans leur perspective les données induites par le tremblement de terre du 8 septembre 2023, et l’esprit des lieux prenant en compte des spécificités locales et des complexités des multiples configurations territoriales des localités lourdement impactées par le séisme ( bergeries, hameaux, villages, centres-bourgs, petites villes et grandes villes). 

A cette fin, les panélistes, et à leur tête Salima Naji, devaient garder à l’esprit l’impératif d’une reconstruction digne de ces territoires dans le respect des attentes des différentes communautés. L’architecte avait invité à l’Académie des artisans locaux pour expliquer à cette société savante et la familiariser avec leur travail et les techniques utilisées.

Les journées d’étude avaient abouti à des recommandations, que l’Académie du Royaume du Maroc dans le rôle qui est le sien aux côtés des scientifiques, des experts, des chercheurs, des praticiens, s’était engagée à promouvoir et à soutenir ce travail collaboratif en vue de la préservation du bien commun dans les territoires frappés par le séisme d’Al Haouz avec et pour ses habitants.

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Sur le terrain les choses ne sont pas toujours allées dans le sens souhaitée par ces recommandations et souvent la préservation des lieux avec des techniques qui sauvegardent leur esprit et en même temps les protègent des aléas sismiques ont cédé devant la facilité du choix du béton. Mais ailleurs qu’ici Salima Naji, dont "l’œuvre magnifique illustre avec talent et responsabilité cette capacité d’insertion de l’architecture dans le respect du lieu", dixit la présidente de l’Académie d’Architecture française, a résonné et trouvé écho. 

Lors de la cérémonie de remise des Prix et Récompenses 2024, devant une assistance prestigieuse composée de personnalités issues de différents horizons en lien avec le monde de l’architecture, Catherine Jacquot, a salué le travail de cette spécialiste et promotrice des réalisations en terre et autres matériaux marocains traditionnels qui reflètent la richesse d’un patrimoine avec les ressources en matériaux et en savoir-faire.

De son côté, la présidente du jury des prix et récompenses, Sophie Berthelier, a souligné que la plus haute distinction de l’Académie d’Architecture récompense cette année « une architecte anthropologue qui mêle dans son histoire combative l’histoire, le passé et le futur ».

Présentant son travail, l’architecte Martin Robain, membre du jury, a souligné que l’architecte marocaine inscrit sa démarche dans « une dimension humaine, participative et d’un constant apprentissage sur le chantier ».

Il cite quelques mots qui reviennent en récurrence dans les écrits ou conférences de la lauréate pour illustrer sa pensée: « ethnique », « préservation pas conservation », « non à l’ostentatoire », « attachement au lieu », « la modernité questionne », « le commun collectif », « surfaces et espaces partagés », « réemploi », « pierre », « terre », « amélioration », « agir en réparant », « convivialité », « beauté du cadre de vie », « le beau n’est pas l’apanage des élites ».

A ses yeux, défendre une architecture du bien commun signifie « interroger le bâtiment, mais aussi les conditions de son édification, les pratiques spatiales, l’usage social, l’attachement au lieu ».

Il retient aussi que Salima Naji « réinvestit et perfectionne les techniques vernaculaires pour créer une architecture contemporaine en mesure de proposer un développement soutenable appuyé sur les humains », tout en pratiquant « une fine connaissance des territoires, en direction de projets d’utilité sociale afin de réduire l’impact destructeur de l’architecture en béton armé ».

L’architecte marocaine a tenu à remercier à cette occasion l’Académie d’Architecture et les membres du jury pour ce prix qui illustre la confiance de ses pairs en la qualité de son travail qu’elle présente comme relevant d’« une architecture intemporelle ».

« Le prix représente l’assurance et la confiance d’un ensemble de professionnels qui sont attentifs à l’architecture et au monde. C’est la consécration pour moi en tant qu’architecte marocaine et africaine », s’est félicitée Salima Naji dans une déclaration à la MAP.

Pour celle qui place la question de la territorialité et de la soutenabilité au cœur de ses préoccupations en tant qu’architecte, cette consécration intervient après une série de visites effectuées par les membres de la commission des prix et récompenses de l’Académie d’Architecture à ses chantiers au Maroc où ils ont pu mesurer sa démarche globale tendant « à sauver un corps de techniques ».

« Ils étaient extrêmement sensibles au fait que je travaille sur des techniques dites vernaculaires, ancrées dans des territoires avec des maîtres artisans », a précisé l’architecte marocaine qui travaille la pierre, la terre et le style Tataoui, depuis 20 ans.

Installée à Tiznit depuis 2008, Salima Naji avait fait ses études d’architecture à Paris. Elle y a également décroché un doctorat en anthropologie sociale avant de suivre une formation de troisième cycle en esthétique, arts et technologies de l’image, puis en philosophie de l’art.

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Elle a publié de nombreux livres dont récemment « Architecture du bien commun, pour une éthique de la conservation ».

La cérémonie de remise des Prix et Récompenses de l’Académie d’Architecture française est un moment phare de cette institution qui honore chaque année une quarantaine de lauréats. Ils sont architectes, urbanistes, archéologues, enseignants, chercheurs, artistes, ingénieurs, maîtres d’ouvrages, entrepreneurs, artisans ou compagnons.

La Grande Médaille d’or de l’Académie d’architecture est décernée chaque année à un architecte de renommée internationale.

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