Ben Toumert ou les derniers jours des voilés de Mouna Hachim - Par Samir Belahsen

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Le fil conducteur dans les œuvres de Mouna Hachim avant Ben Toumert serait la proposition insistante de relecture de l’histoire

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“ L'histoire de l'humanité est une statistique de la contrainte.”

Léo Ferré 

“ L'histoire est le récit, presque toujours faux, d'événements presque toujours sans importance, occasionnés par des chefs d'états qui sont presque tous des coquins et des soldats qui sont presque tous des imbéciles.”

Ambrose Bierce 

Mouna Hachim, née en1967 à Casablanca, est une femme de lettres et chroniqueuse marocaine. Connue pour ses « Chroniques d'hier et d'aujourd'hui » sur « L’Economiste » puis grâce à ses chroniques radiophoniques « Secrets des noms de famille » sur  la radio Atlantic.

Son « Dictionnaire des noms de famille du Maroc », publié en 2007, nous plonge déjà dans l’histoire. Il permet de découvrir l'origine et l'évolution des patronymes. 

En 2016, dans « Chroniques insolites de notre histoire (Maroc, des origines à 1907) », elle casse les tabous des récits officiels en dévoilant des anecdotes insolites, les épisodes de trahisons, de guerres intestines et des bains de sang.

Dans « Histoire inattendue du Maroc » publié en 2018, à travers la question berbère, elle réclame clairement le droit à une relecture du passé, démontre et fête l’ancrage africain et méditerranéen.

Elle y rappelle les révoltes berbères contre les Arabes et remet en cause les principaux mythes fondateurs de la conquête musulmane.

En 2019 elle publie « Les manuscrits perdus », un roman historique, l'histoire d’un érudit moresque Afoqay qui a été amené à renier sa religion musulmane pour devenir catholique dans l'Espagne de la fin XVIe- début XVIIe siècle.

Afoqay a dû fuir l'Espagne et les persécutions. Il se retrouve, à la fin, au Maroc puis devient ambassadeur de la cause moresque en France et aux Pays-Bas.

Mouna Hachim dénonce ici le fanatisme de l’Inquisition catholique en Péninsule ibérique, qui avait causé l’exode quelque 300.000 Morisques. 

Le fil conducteur dans les œuvres de Mouna Hachim avant Ben Toumert serait la proposition insistante de relecture de l’histoire…

Ben Toumert : l’histoire

C’est l’histoire des dérives du mouvement almohade, contre tous ceux qui n’adhéraient pas à sa doctrine, à son ordre religieux et politique.

Ces dérives sont méconnus par les uns et minimisées par les autres.

Dans « Ben Toumert ou les derniers jours des voilés », on est dans la première moitié du XIIe siècle sous les Almohades dirigés par un penseur prédicateur fanatisé : Mohamed Ben Toumert, le Mahdi bien guidé, le restaurateur de la foi, véridique dans ses dires, l’unique en son temps, le redoutable. C’est l’histoire de la violence pas que doctrinale des Almohades et de leur figure énigmatique, le Mahdi.

Le drame récurrent d’une foi défigurée par l’extrémisme !

Les principaux personnages de cette fresque peuvent être classés en deux catégories :

Il y a d’abord les figures de pouvoir et d'extrémisme, Mohamed Ben Toumert, le Mahdi, incarne le dogmatisme et le fanatisme religieux, cherchant à restaurer la foi et la morale par la guerre et l'autorité. C’était aussi un ascète qui menait une vie austère !

Les personnages humanistes et résilients sont souvent féminins et luttent pour l'amour et la survie face à la violence et à l'extrémisme, offrant une perspective plus émotive sur les événements historiques. Certains personnages féminins, tentent juste d'aimer et de survivre au milieu de la folie des hommes. 

Les défis auxquels font face les personnages principaux évoluent au fil du récit.

Initialement, ils doivent naviguer entre les attentes traditionnelles et les aspirations modernes, souvent en conflit avec l'idéologie extrémiste de Ben Toumert.

Ensuite, ils subissent la violence physique et psychologique liée à l'extrémisme religieux, menaçant leur sécurité et leur liberté.

Tout au long de l'histoire, tous les protagonistes luttent pour se définir dans un contexte de turbulences et de bouleversements sociaux et politiques à la recherche d’une conciliation des croyances avec la réalité.

Dans ce roman historique, fondé sur des événements et des personnages réels, les interrogations de Mouna Hachim sont très contemporaines, sinon éternelles.

Pour Mouna Hachim « Les thèmes sont donc les grandeurs et chutes d’une civilisation, les désordres politiques et sociaux qui constituent un terreau favorable à la naissance de mouvements extrêmes, l’instrumentalisation de la religion en politique. Autant de thèmes qui nous interpellent aujourd’hui. »

La quête identitaire :

La quête identitaire dans la littérature maghrébine, d'expression française, est un thème récurrent. Les tensions entre l’héritage culturel et les influences coloniales ont fait l’objet de beaucoup de textes.

Les identités ne sont-elles pas toujours meurtrières ?

Selon Amin Maalouf, le concept d'identités meurtrières fait  référence à la façon dont le besoin d'appartenance collective, qu'elle soit culturelle, religieuse ou nationale, conduit souvent à la peur de l'autre et à sa négation.

Maalouf explique comment l'identité, loin d'être donnée une fois pour toutes, est une construction qui peut varier et qui comporte des illusions, des pièges et des instrumentations. Il dénonce la violence qui peut découler de ce désir d'appartenance lorsque tous les êtres n'ont pas la même langue, la même foi ni la même couleur.

Maalouf plaide pour une nouvelle conception de l'identité qui valorise le métissage culturel et l'ouverture des hommes les uns aux autres. 

Driss Chraibi, Tahar Benjelloun, Yasmina Khadra et bien d’autres ont interrogé la complexité de l'identité à travers des récits souvent autobiographiques, mettant en lumière les luttes individuelles et collectives dans le contexte postcolonial du XXème siècle en questionnant les défis contemporains liés à la mondialisation et à la diversité culturelle.

La singularité du roman historique de Mouna Hachim « Ben Toumert ou les derniers jours des voilés », c’est qu’il nous rappelle qu’au XIIème  siècle se posaient déjà les mêmes questions « contemporaines » sur la foi, l’intolérance, l’identité et les luttes de pouvoir. 

Les questions de fanatisme et d'extrémisme ne sont pas nouvelles, mais récurrentes à travers l'histoire. Le roman de Mouna Hachim, en situant son intrigue au XIIème siècle, montre que ces problématiques étaient déjà présentes à cette époque. Cela permet de mieux comprendre les dynamiques historiques et culturelles qui ont contribué à ces phénomènes et de réfléchir sur les similarités et différences avec notre époque actuelle. C'est l'un des grands atouts des romans historiques de permettre une telle introspection et une meilleure compréhension des enjeux humains et sociétaux.