Cinéma, mon amour de Driss Chouika: FINANCEMENT DE L’INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE AU MAROC

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 Si aux États-Unis, à Hollywood, l’industrie cinématographique s'appuie sur les investisseurs privés et les studios comme moteurs de financement, dans plusieurs pays à fort potentiel cinématographique, des dispositifs spéciaux de soutien à la production sont mis en place pour garantir un marché autonome et compétitif, en partant du principe que le cinéma est aussi une affaire de culture, d’art et d’identité

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« Le cinéma occupe une place singulière dans l'industrie, celle d'une économie de prototypes. Autrefois un solide pifomètre, une bonne dose d'expérience et la place privilégiée du cinéma comme divertissement familial laissaient une certaine marge d'erreur et de folie aux créateurs et aux producteurs ».

Jean-Jacques Beineix.

Le cinéma marocain a connu une évolution significative au cours des dernières décennies, s’affirmant comme un acteur incontournable sur la scène cinématographique internationale. Cependant, pour que cette industrie puisse prospérer, être compétitive et rivaliser sur le plan mondial, le financement demeure un enjeu crucial. Lors du 24ème Festival National du Film, le Centre Cinématographique Marocain (CCM) a organisé un très important colloque sur le thème « Le financement de l’industrie cinématographique au Maroc : Acteurs, dispositifs et perspectives d’avenir ». Cette rencontre a permis de rassembler divers acteurs du secteur. Modérée par Mme Bahaa Trabelsi, présidente de la Commission de l’Avance sur Recettes du CCM, elle a connu la participation de deux représentants d’institutions financières, TAMWILCOM (La Caisse Centrale de Garantie) et Bank of Africa, ainsi qu’une représentante de la Commission de Soutien à la Production Étrangère du CCM. Elle a été l’occasion d’un échange intéressant à propos des réalités, des défis, des opportunités et des perspectives d’avenir pour le développement du financement du cinéma au Maroc.

Le financement des productions cinématographiques au Maroc repose essentiellement sur un soutien de fonds publics, la participation de fonds privés, en grande partie à travers l’autoproduction, demeurant bien secondaire. Le CCM, en tant qu'entité gouvernementale, joue un rôle central dans le soutien à la production à travers l’Avance sur Recettes. Quant à la Caisse Centrale de Garantie (TAMWILCOM) et les banques, leurs interventions dans le financement et la minimisation des risques financiers demeurent bien embryonnaires, sinon inexistantes. Les intervenants au colloque ont bien confirmé ce fait par des données concrètes. Ainsi, il a été relevé que de nombreuses défaillances persistent et de nombreux défis de manque de fonds et de garanties, de pratiques bureaucratiques, d'absence de volonté politique et stratégique de l’Etat restent à relever pour un réel et efficace développement du secteur.

Comme disait Jean-Jacques Beineix « Le cinéma occupe une place singulière dans l'industrie, celle d'une économie de prototypes. Autrefois un solide pifomètre, une bonne dose d'expérience et la place privilégiée du cinéma comme divertissement familial laissaient une certaine marge d'erreur et de folie aux créateurs et aux producteurs ». Aujourd’hui, l’évolution du secteur a fait que la production d’un film nécessite le montage de toute une panoplie de dispositifs de financements, co-productions, fonds de soutien, sponsoring... La situation se complique et pousse les gouvernements à mettre en place une politique et une stratégie spéciales, avec des dispositions particulières, pour réguler, réglementer et assurer la compétitivité de leurs cinéma nationaux dans l’arène du cinéma mondial.

Actuellement au Maroc, le financement est principalement assuré par les fonds de soutien de l’Etat, mais le montant alloué reste bien faible et n’a pas bougé depuis plus de deux décennies. Ces dernières années, plusieurs films marocains voient le jour grâce à des coproductions et la participation de fonds de soutien étrangers. S'ajoutent à cela, des concours et des pitchs organisés par certains organismes publics et privés, qui permettent aux jeunes cinéastes d'exposer leurs projets et d’obtenir des financements complémentaires.

Les enjeux de la problématique étant cruciaux pour assurer la continuité du cinéma national et garantir sa pérennité et son évolution sur des bases saines et solides, il est intéressant de comparer la situation du financement de l’industrie nationale avec d’autres expériences à travers le monde. 

DISPOSITIFS DE FINANCEMENTS ÉTRANGERS

Si aux États-Unis, à Hollywood, l’industrie cinématographique s'appuie fortement et essentiellement sur les investisseurs privés et les studios comme moteurs de financement, dans plusieurs pays à fort potentiel cinématographique, des dispositifs spéciaux de financement et de soutien à la production sont mis en place pour garantir un marché autonome et compétitif, en partant du principe que le cinéma est aussi une affaire de culture, d’art et d’identité d’une extrême importance dans le développement du pays.

En se tournant vers l'international, plusieurs modèles peuvent inspirer le Maroc. Par exemple, En France, le CNC (Centre National du Cinéma et de l'Image Animée) offre un large éventail de soutiens au cinéma, allant de subventions à des détaxations et des crédits d'impôt. Le système de financement du cinéma repose sur des taxes spécifiques sur les recettes des entrées de cinéma, les chaînes de télévision et la vidéo à la demande et les plateformes de streaming. Ces dispositifs encouragent non seulement la production locale mais aussi les co-productions avec d'autres pays. Le tournage en France est également soutenu par des mesures fiscales avantageuses ainsi que des participations des conseils communaux et régionaux, attirant ainsi des productions nationales et internationales. Un système similaire existe aussi en Belgique. Ce système a permis une stabilité et une richesse de production qui pourrait servir de modèle hybride où l'industrie génère ses propres ressources.

Dans les pays nordiques, de robustes institutions nationales offrent des subventions basées non seulement sur la viabilité économique mais aussi sur l'impact culturel et social des projets. Ce modèle durable pourrait inspirer le Maroc à élargir ses critères de financement pour encourager une plus grande diversité de productions.

Au Canada, un système de soutiens gouvernementaux, à travers “Téléfilm Canada“, est combiné avec des programmes de financement pour la production ainsi que pour la distribution cinématographique, faisant du Canada un exemple de la manière dont une politique de soutien solide peut dynamiser l’industrie cinématographique.

Dans plusieurs autres pays, notamment en Afrique du Sud et en Arabie Saoudite, entre autres, l’Etat offre toute une panoplie d’incitations fiscales qui attirent de nombreuses productions internationales. De plus, la création de quotas pour les productions locales a également aidé à renforcer l’industrie cinématographique de ces pays.

PERSPECTIVES D’AVENIR

Au Maroc, bien que la Caisse Centrale de Garantie et certaines banques commencent à s’intéresser au secteur du cinéma, celui-ci demeure tributaire du soutien bien limité de l’Etat. Et d’une manière générale, comme cela a été relevé par les participants au colloque de la 24eme édition du FNF, une avancée réelle et significative dans ce domaine nécessite une volonté politique et un engagement effectif du gouvernement pour asseoir un système de financement susceptible de garantir un développement durable et compétitif de l’industrie cinématographique au Maroc.

Le financement du cinéma marocain est à la croisée des chemins. S'il présente des défis indéniables, il offre aussi des opportunités excitantes. En s'inspirant des modèles internationaux tout en adaptant ces solutions aux réalités locales, le Maroc peut non seulement dynamiser son industrie cinématographique mais aussi asseoir sa place sur la scène mondiale. Par un cadre financier robuste et innovant, le cinéma marocain peut continuer à raconter ses histoires uniques et à fasciner un public de plus en plus large, à l’intérieur comme à l’international.

Alors que le marché du cinéma marocain est prometteur, plusieurs défis doivent être relevés :

- Le manque de transparence et d’égalité des chances dans les processus d’attribution des financements, ainsi que le manque de clarté dans les procédures peuvent décourager les jeunes réalisateurs et entraver le développement de projets ambitieux. Une réforme des mécanismes de financement pourrait contribuer à rendre le système plus transparent et accessible.

- Manque dans la formation et le développement des compétences. Le besoin de former les nouveaux talents et de structurer des ateliers de développement de projets est essentiel. En s’inspirant de programmes réussis dans d’autres pays, comme les ateliers de Sundance par exemple, le Maroc pourrait améliorer ses compétences compétitives en matière cinématographique.

- Manque dans la promotion de l’exportation des films. Bien que le marché national ait besoin d’un soutien, il est également crucial de développer un avenir pour le cinéma marocain à l’international. Des partenariats avec des festivals de films internationaux et une distribution plus large à travers diverses plateformes de diffusion d’œuvres audiovisuelles pourraient ouvrir de larges portes aux réalisateurs marocains.

- Manque d’investissements dans des infrastructures, comme des studios et des équipements techniques modernes. Cela aiderait à diminuer le coût de production et à attirer des productions étrangères. Le développement de pôles cinématographiques régionaux pourrait également stimuler l’emploi et le savoir-faire industriel local.

Ainsi, en s’inspirant de réglementations et pratiques internationales réussies et en s’attaquant aux défis existants, le Maroc peut affirmer son identité cinématographique et contribuer significativement à la défense de sa riche et originale diversité culturelle.

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