Cinéma, mon amour de Driss Chouika : KIRA MOURATOVA, UNE FIGURE EMBLÉMATIQUE DES CINÉMAS RUSSE ET UKRAINIEN

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C’est la chute de l'Union Soviétique qui avait ouvert de nouvelles opportunités et défis pour Kira Mouratova. Libérée des contraintes de la censure soviétique, elle a pu explorer plus librement des thèmes encore plus personnels et plus profonds

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« Toute ma vie dans le cinéma n’est que persécution. Mais cette fois c’est encore plus effrayant que jamais, parce qu’on ne me laisse même pas finir, on ne veut pas voir le résultat. Je vous en prie, arrêtez ça. Mais ne me payez donc pas mon salaire, à la fin des fins, ne me laissez plus faire de films, mais laissez-moi terminer ce qui l’est presque. Vous voyez bien que je mets dedans tout ce que j’ai de vivant en moi. Ne gâchez pas ce film, s’il vous plaît ».

Kira Mouratova, Extrait d’une lettre au Goskino (Comité d'État de l'URSS pour la cinématographie).

Kira Gueorguievna Mouratova, diplômée de l’Institut National de la Cinématographie russe (VGIK) en 1962, scénariste, actrice et réalisatrice roumaine puis soviétique et enfin ukrainienne (née le 5 novembre 1934 à Soroca en Bessarabie roumaine et morte le 6 juin 2018 à Odessa en Ukraine), est une personnalité remarquée du cinéma soviétique et du cinéma ukrainien. Elle fut notamment couronnée du Prix FIPRESCI au Festival de Locarno en 1987 pour « Longs adieux », puis au même festival en 1990 du Léopard d’Honneur pour l’ensemble de son œuvre, du Prix Spécial du Jury à la Berlinale de 1990 pour « le syndrome asthénique » ainsi que plusieurs prix dans d’autres festivals prestigieux.

Elle est bien connue pour ses multiples démenés avec les instances de gestion et de contrôle de la cinématographie soviétique, notamment le Goskino qui intervenait bien souvent dans le tournage et la post-production de ses films. En effet, déjà en 1967, son premier film remarqué, “Brèves rencontres”, épinglant ouvertement la bureaucratie soviétique, est peu apprécié par la censure. Son film suivant, “Longs adieux” a été, lui, carrément censuré jusqu'en 1987. D’une manière générale, l'activité créatrice de cette réalisatrice sera partiellement bridée jusqu'au début de la Perestroïka, en 1986. Avec la ressortie de ses films précédemment censurés, en 1987, la popularité de Kira Mouratova avait beaucoup grandi, en URSS, comme à l'étranger. Elle a été ainsi, entre autres événements, membre du jury lors de la Mostra de Venise 1990. Ce qui lui avait permis de continuer à faire des films y compris pendant les années de crise succédant à la dislocation de l'Union soviétique. Elle signe alors certains de ses meilleurs films, comme “Le Syndrome asthénique”. À partir de 1997, elle a participé pleinement au renouveau des cinémas russe et ukrainien. En 1997, son œuvre avait été récompensée par le prestigieux prix national Taras Chevtchenko, et en 2002 elle avait reçu le prix Alexandre Dovjenko pour sa contribution au développement du cinéma ukrainien. 

CONFLITS ET RÉSILIENCE

Kira Mouratova est une figure emblématique du cinéma soviétique et ukrainien. Sa carrière prolifique et son style unique ont marqué plusieurs générations de cinéphiles et de cinéastes, tant en Union soviétique qu'à l'international. Son premier long métrage, "Brèves Rencontres", avait déjà posé les bases de ce qui deviendra son style signature : une exploration profonde des émotions humaines, souvent teintée d'un surréalisme discret mais poignant. Les films de Mouratova se distinguent par une structure narrative non linéaire, un usage innovant du montage et une focalisation sur les aspects psychologiques des personnages. Son approche radicale tranche avec le cinéma soviétique traditionnel. Cela lui avait valu à la fois autant des admirateurs et défenseurs fervents que des critiques acerbes, notamment de la part des responsables administratifs, qui trouvaient son travail souvent trop subversif.

Le film "Longs Adieux" (1971) est un exemple frappant de son parcours atypique. Bien qu'ayant été acclamé pour sa sensibilité et la profondeur de ses personnages, il a été interdit par les censeurs soviétiques et ne fut diffusé que 16 ans plus tard. La situation fut similaire pour d'autres œuvres, entraînant une carrière marquée par des grands écarts entre reconnaissance artistique et conflits avec les responsables des instances cinématographiques.

UNE RECONNAISSANCE POST-SOVIÉTIQUE

C’est la chute de l'Union Soviétique qui avait ouvert de nouvelles opportunités et défis pour Kira Mouratova. Libérée des contraintes de la censure soviétique, elle a pu explorer plus librement des thèmes encore plus personnels et plus profonds. Ainsi, les années 1990 et 2000 avaient vu une diversification de son travail, allant de du drame social, comme "Le syndrome asthénique" en 1989, au drame psychologique, tel que "Deux en un" en 2007.

L’ensemble de ses films restent fidèles à sa recherche incessante de vérité émotionnelle et psychologique. A titre d’exemple, dans "Le syndrome asthénique", acclamé sur le plan international, Mouratova traite de la dépression et de l'aliénation dans la société post-soviétique. Ce film est souvent considéré comme un commentaire cinglant sur la société post-révolutionnaire et ses échecs.

D’une manière générale, le montage chez Mouratova joue un rôle crucial non seulement pour structurer l'intrigue, mais aussi pour accentuer les émotions et les états psychologiques des personnages. Elle utilise souvent des scènes répétitives et des dialogues disjonctés pour suggérer un sentiment de désorientation ou de bien précaire équilibre émotionnel.

Aussi, portant une attention particulière à la direction des comédiens, Mouratova collabore fréquemment avec un ensemble semi-fixe de collaborateurs artistiques. Elle travaille régulièrement avec des comédiens de talent tels que Renata Litvinova, dont la présence ajoute une intensité notable à ses films. Mouratova exige de ses comédiens une compréhension profonde des nuances psychologiques des personnages, ce qui leur permet de livrer des performances exceptionnelles. 

FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE DE KIRA MOURATOVA (LM)

« Brèves rencontres » (1967) ; « Longs adieux » (1971) ; « Parmi les pierres grises » (1983) ; « le syndrome asthénique » (1989) ; « Le milicien amoureux » (1992) ; « Les petites passions » (1994) ; « Trois histoires » (1997) ; « Motifs tchékhoviens » (2002) ; « L’accordeur » (2004) ; « Deux en un » (2007) ; « Mélodie pour orgue de barbarie » (2008) ; « L’éternel retour » (2012).