Cinéma mon amour de Driss Chouika: MOHAMMAD RASOULOF, UN CINÉASTE ENGAGÉ POUR LA VÉRITÉ ET LA JUSTICE

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La persécution du régime islamique d’Iran n’a pas empêché Rasoulof de continuer à faire des films. Dans Iron Island il raconte la vie de dizaines de familles pauvres, sans abri et sans instruction qui vivent sur un vieux pétrolier rouillé surpeuplé, ancré au large.

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« Si je faisais du trafic de cocaïne, j'aurais été moins embêté par la République islamique ».

Mohammad Rasoulof. 

Après des études de sociologie à l'Université de Chiraz puis de montage cinématographique à l'Institut des Études Supérieures SOOREH de Téhéran, Mohammad Rasoulof réalise des courts métrages et des documentaires avant de se faire reconnaître en 2005 par un premier long métrage, “La vie sur l’eau“, prix du scénario au Festival des Films du Monde de Montréal, puis d'être définitivement consacré par le Prix de la Mise en Scène à Cannes en 1911, Section Un Certain Regard, pour son film “ Au revoir“. Arrêté en décembre 2010, avec Jafar Panahi, et condamnés pour “actes de propagande hostiles à la République Islamique d’Iran“, il finira par fuir et se réfugier en Allemagne pour pouvoir continuer à « transmettre les récits de ce qu’il se passe en Iran », a-t-il affirmé. « J’ai toujours pensé que si je restais en prison pendant des années, je n’aurais ni la force ni la capacité de faire ces films. Donc je dois d’abord les faire, et puis après, il sera toujours temps de rentrer et d’aller en prison », a-t-il tenu à préciser.

POUR UN CINÉMA AU SERVICE DE LA VÉRITÉ

Mohammad Rasoulof est l'un des réalisateurs iraniens les plus appréciés et les plus controversés de notre époque. Son cinéma, marqué par un engagement sans faille pour la vérité et la justice, est une profonde réflexion morale sur les réalités sociales et politiques de l'Iran moderne. Né en 1972 à Chiraz en Iran, un pays qui a connu de nombreuses fluctuations politiques depuis la révolution de 1979. Sa formation en cinéma a été fortement influencée par ce climat instable. L'environnement sociopolitique iranien a directement nourri ses œuvres, car Rasoulof a toujours utilisé le cinéma comme un moyen de lutte contre l'oppression et de dénonciation de toutes les injustices sociales.

L'un des thèmes les plus récurrents dans les films de Rasoulof est la répression et la liberté d'expression. À travers des œuvres telles que « Iron Island » (2005) et « Les manuscrits ne brûlent pas » (2013), Rasoulof expose les mécanismes de censure et d'oppression utilisés par le gouvernement iranien. Par exemple, ce dernier raconte l'histoire de deux écrivains persécutés par les autorités, une allusion directe à la répression de la dissidence en Iran.

Un autre thème central dans les films de Rasoulof est la moralité et la responsabilité individuelle face à l'injustice. Dans "Un homme intègre" (2017), le réalisateur met en lumière la lutte d'un homme contre la corruption systémique et les dilemmes moraux qu'il affronte. Rasoulof pose des questions profondes sur la responsabilité individuelle et collective dans une société corrompue. 

UN RÉALISME NATUREL ET DÉPOUILLÉ

Le style visuel de Mohammad Rasoulof se caractérise par un réalisme naturel et dépouillé. Il utilise souvent des décors naturels et des acteurs non professionnels pour donner un sentiment d'authenticité à ses récits. Ce procédé non stylisé permet de plonger le spectateur directement dans la réalité iranienne, sans l'intermédiaire d’aucun artifice filmique. Dans ses films, la caméra suit souvent les personnages de manière presque documentaire, créant une proximité troublante avec leurs souffrances et leurs dilemmes moraux.

Mais ce style dépouillé n’a pas empêché Rasoulof d'utiliser également un symbolisme de manière subtile pour échapper à la censure tout en faisant passer des messages puissants. Ses films sont souvent remplis de métaphores visuelles qui dénoncent la corruption et l'oppression. Dans “Iron Island“, par exemple, le bateau rouillé où vivent les personnages devient un microcosme de la société iranienne, un espace fermé où règnent les inégalités et les injustices.

En raison de ses prises de position audacieuses, Rasoulof a souvent été contraint de réaliser ses films de manière clandestine. Les méthodes qu'il utilise pour contourner la censure iranienne incluent le tournage sous de faux prétextes, l'utilisation de pseudonymes pour les collaborateurs et la dissimulation des véritables intentions de ses scénarios. Cette stratégie a permis à Rasoulof de continuer à produire des films malgré les restrictions. Par exemple, “Les manuscrits ne brûlent pas“ a été tourné en secret, avec des lieux et des horaires de tournage changeant constamment pour éviter d'attirer l'attention des autorités. 

UNE RECONNAISSANCE INTERNATIONALE

Les films de Mohammad Rasoulof ont été largement reconnus sur la scène internationale. Il a reçu de nombreux prix dans des festivals prestigieux, tels que le Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes pour “Un homme intègre“ et l'Ours d'Or à la Berlinale pour “Le diable n’existe pas“, puis le Prix Spécial du Jury Cannes 2024 pour “Les graines du figuier sauvage“. Cette reconnaissance mondiale a non seulement mis en lumière son talent, mais a également attiré l'attention sur les graves problèmes de droits humains en Iran.

La persécution du régime islamique d’Iran n’a pas empêché Rasoulof de continuer à faire des films et à exercer une grande influence sur la nouvelle génération de cinéastes iraniens. Son engagement pour la liberté d'expression et son courage face à la censure ont fait des émules et inspiré de nombreux jeunes réalisateurs iraniens.

FILMOGRAPHIE DE MOHAMMAD RASOULOF (LM)

« Gagooman » (2002) ; « Iron Island » (2005) ; « Keshtzar haye sepid » (2009) ; « Au revoir » (2011) ; « Les manuscrits ne brûlent pas » (2013) ; « Un homme intègre » (2017) ; « Le diable n’existe pas » (2020) ; « Les graines du figuier sauvage » (2024).

DRISS CHOUIKA