À Fès, Antípodas danse le mystère du double : l’âme jumelle en musique et en mouvement

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Photo archives - Florencia Oz, dans une épure viscérale de flamenco contemporain, trace le territoire de la danse. Chaque frappe de talon est un vers, chaque mouvement une question. Face à elle, Isidora O’Ryan lui répond sans mots, avec son violoncelle, sa voix, sa musique

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Dans le décor aussi mythique qu’enchanteur du jardin Jnan Sbil, le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde a accueilli une performance rare et bouleversante. Portée par les jumelles chiliennes Florencia Oz et Isidora O’Ryan, Antípodas a transformé le mythe du double en une poésie chorégraphique et sonore où le flamenco épouse le violoncelle dans une quête identitaire en miroir.

Un pas à deux dans l’intimité du mythe

Le crépuscule tombait sur Fès lorsque les premiers pas de Antípodas ont résonné sur la scène du jardin Jnan Sbil. Ce n’était pas seulement un spectacle, c’était une invocation. Les talons frappaient le sol avec autorité, les mains claquaient l’air comme des incantations. À travers ces gestes millimétrés, cette symphonie de sons corporels et d’émotions contenues, un dialogue s’est engagé entre deux âmes — jumelles, certes, mais bien distinctes.

Florencia Oz, dans une épure viscérale de flamenco contemporain, trace le territoire de la danse. Chaque frappe de talon est un vers, chaque mouvement une question. Face à elle, Isidora O’Ryan lui répond sans mots, avec son violoncelle, sa voix, sa musique — un monde en soi, enraciné dans le folklore chilien et la musique classique, traversé d’échos électroniques discrets. Antípodas devient ainsi un rituel scénique où le spectateur assiste à la naissance, la séparation, puis la reconnexion de deux entités, dans un mouvement d’individuation chorégraphié avec une grâce stupéfiante.

Entre fusion et individuation

Au cœur du spectacle, un thème universel : le double. Inspirées par la figure mythologique du doppelgänger, les sœurs interrogent le moment de bascule où l’un cesse d’être le reflet de l’autre. Où commence l’altérité ? Où s’arrête la fusion ? C’est ce fil fragile qu’elles tirent, chacune à sa manière, entre tension et harmonie.

“Nous sommes parties du mythe du double pour raconter notre propre voyage intérieur”, confiait Isidora O’Ryan en marge de la représentation. Et ce voyage est autant musical que corporel. Des fandangos inspirés par Niño Ricardo aux guajiras enrichies de percussions électroniques, chaque séquence musicale répond à un mouvement, chaque note épouse une impulsion chorégraphique.

Le dispositif scénique, volontairement minimaliste, laisse toute la place à cette alchimie entre corps et son. Rien n’est superflu. Le regard est happé par la beauté crue de la performance, son intensité maîtrisée, sa sincérité désarmante.

Fès, écrin de résonances

Il fallait un lieu comme Fès pour accueillir une œuvre aussi sensible. Ville mystique, carrefour spirituel, Fès sait écouter. Et le Festival des Musiques Sacrées du Monde, placé cette année sous le signe des “Renaissances”, a offert à Antípodas un écrin idéal. Car qu’est-ce que renaître sinon apprendre à se détacher de ce qui nous lie, pour se retrouver autrement ?

Pour Florencia et Isidora, cette première à Fès résonne comme un accomplissement. “C’est un immense honneur, un rêve qui se concrétise. Se produire ici, au milieu de tant de cultures et d’âmes en quête de sens, c’est profondément émouvant”, soulignent-elles.

Un art nourri de racines croisées

L’univers musical des sœurs Oz et O’Ryan est un tissage délicat entre tradition et invention. La musique classique y dialogue avec le folklore chilien, le flamenco avec des sons électroniques ponctuels. Loin de l’étiquette restrictive d’“électro”, leur travail relève d’une hybridation subtile, d’une volonté de traverser les frontières esthétiques.

“Notre musique n’est pas électronique à proprement parler. Nous utilisons des éléments sonores comme des ponctuations, pas comme une fin en soi”, précise Isidora. Ce qui compte, c’est la vibration du moment, la justesse du lien entre corps et son. Et dans cette quête, le passé est un tremplin : la mémoire musicale du Chili, la rigueur du classique, les palmas andalouses deviennent les matériaux d’un langage profondément actuel, profondément féminin.

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