La neurologue S. O’Sullivan jette un pavé dans la marre du diagnostic précoce et alerte sur ses dérives

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Suzanne O'Sullivan est une médecin irlandaise exerçant en Grande-Bretagne, spécialisée en neurologie [ 1 ] et en neurophysiologie clinique. En plus de publications universitaires dans son domaine, O'Sullivan est l'auteur d'ouvrages de non-fiction primés, chacun axé sur des cas médicaux liés à sa spécialité en neurologie.

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Le surdiagnostic conduit à des troubles identifiés alors qu’ils ne provoqueraient jamais de symptômes graves. Par exemple, des cancers détectés par dépistage mais qui n’auraient jamais évolué ni tué. Dans The Age of Diagnosis, la neurologue britannique Suzanne O’Sullivan jette un pavé dans la marre de la médecine moderne signe un essai percutant sur la surmédicalisation de nos sociétés modernes. En dénonçant les excès du diagnostic à tout prix, elle interpelle sur une médecine de plus en plus tentée de réduire l’humain à une étiquette.

Une époque qui pathologise l’ordinaire

Fatigue chronique, troubles de la concentration, anxiété, douleur inexpliquée… Autant de symptômes de plus en plus rapidement rattachés à des entités médicales. Pour Suzanne O’Sullivan, ce réflexe diagnostique généralisé reflète moins une dégradation de la santé publique qu’une transformation culturelle profonde : celle d’un monde qui refuse l’incertitude, et cherche dans la médecine des réponses à des maux parfois existentiels.

« Nous ne sommes pas nécessairement plus malades qu’avant, écrit-elle, mais nous avons de nouvelles manières de donner un sens à nos souffrances. » L’ère numérique, les forums en ligne et la valorisation croissante de la santé mentale ont accéléré ce glissement d’une souffrance vécue vers une identité pathologique revendiquée.

Surdiagnostic, surmédicalisation, surdétection : les nouveaux pièges du soin

Dans son analyse, outre Renforcer l’auto-observation anxieuse, (surveillance de soi via des applis, forums, diagnostics en ligne), O’Sullivan distingue trois tendances inquiétantes : le surdiagnostic, qui attribue à des anomalies bénignes ou silencieuses une signification clinique excessive, déclenchant examens et traitements inutiles ; la surmédicalisation, qui transforme des variations normales de la vie humaine – timidité, deuil, agitation – en troubles médicaux et la surdétection, conséquence directe des technologies d’imagerie de plus en plus fines, capables de repérer des “lésions” qui n’auraient jamais posé problème.

Elle met à l’index également les réseaux sociaux et groupes de patients en ligne qui jouent aussi un rôle ambigu : ils peuvent être une source de soutien certes, mais ils contribuent à une auto-identification pathologique, où des individus se reconnaissent dans des descriptions médicales floues partagées en ligne, sans validation clinique.

Pour elle, la médecine moderne, en cherchant toujours plus tôt, toujours plus précisément, finit parfois par fabriquer des malades.

Quand le diagnostic enferme plus qu’il ne libère

Recevoir un diagnostic peut être un soulagement : il valide la souffrance, donne un nom, ouvre l’accès à des soins. Mais Suzanne O’Sullivan alerte sur l’effet inverse, trop souvent ignoré : réduire une personne à son étiquette clinique. Ce phénomène est particulièrement visible chez les jeunes diagnostiqués autistes ou atteints de TDAH, dont l’identité entière se réorganise autour d’un mot.Dans certains cas, le diagnostic devient une forme d’assignation à résidence psychologique. Il bride les évolutions, fige les attentes, et peut aggraver l’auto-surveillance anxieuse. « Nous avons confondu reconnaissance et réduction », souligne-t-elle

Plaidoyer pour une médecine plus humaine

Dans The Age of Diagnosis, O’Sullivan ne milite pas contre la médecine, mais contre ses excès. Elle appelle à une approche plus sobre, plus nuancée, et plus humaine. « Tout ne relève pas du médical, et ce n’est pas un échec », dit-elle.

Elle invite médecins et patients à accepter une part d’incertitude, à écouter sans forcément catégoriser, à soutenir sans nécessairement diagnostiquer. Une position exigeante, à contre-courant d’une société en quête de certitude.

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