Comment, alors qu’on débat de littérature africaine à L’Académie du Royaume ne pas évoquer Amadou Hampâté Ba

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« Hampâté Bâ est une figure de référence, (et) un architecte de la protection des savoirs de l’Ouest africain » (Abdejlil Lahjomri)

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Rabat - La littérature africaine a été l’objet à Rabat lors d’un colloque international sur la classification des écrivains africains, organisé par l’Académie du Royaume du Maroc dans le cadre des activités de la Chaire des Littératures et des Arts africains.

Organisé sous le thème "Approche classificatoire des littérateurs africains et afrodescendants : champ, paramètres et reconfiguration de la réception", ce colloque est dédié à rendre hommage à l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ, l’une des figures emblématiques de la littérature, de la culture et de la diplomatie en Afrique contemporaine.

Lors de cet hommage qui s’est déroulé en présence de sa fille cadette, Roukiatou Hampâté Bâ, plusieurs intervenants se sont relayés pour témoigner des différentes qualités humaines et scientifiques de cette icône de la littérature africaine.

Dans une allocution d’ouverture, le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, Abdeljalil Lahjomri a affirmé que par le biais de cette initiative à la double résonance académique et mémorielle, l’Académie réaffirme sa vocation celle d’une institution respectueuse de la somme des passés du grand continent africain et ouverte au débat universel des idées.

Quand l’architecture est pensée et quand la pensée se fait architecture

Dans son allocution d’ouverture, Abdjelil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume a insisté sur « la double résonance académique et mémorielle » de ce colloque qui réaffirme la vocation de l’Académie en tant qu’institution « respectueuse de la somme des passés du grand continent africain et ouverte au débat universel des idées. La littérature nous en offre une dynamique illustration. Comment aurions-nous pu, a-t-il souligné, en ce 15 mai, ne pas marquer un temps de recueillement et un temps du souvenir autour de l’une des figures littéraires, culturelles et diplomatiques les plus marquantes de l’Afrique contemporaine ? C’est avec affection que nous saluons la mémoire d’Amadou Hampâté Ba, celui qu’on appelait « l’Aîné du vingtième siècle », et que la vie et l’œuvre ont renommé ‘’Le Sage de Bandiagara’’ », rappelé à Dieu il y a très exactement 33 ans.

L’Académie du Royaume retient plusieurs éléments de son héritage, a encore dit le Secrétaire perpétuel, et parmi eux, trois points fondamentaux : « La reconnaissance qu’il a toujours exprimée pour les enseignements reçus, notamment par deux géants : Son instructeur et Maître Tierno Bokar, puis par l’initiation au métier de chercheur à l’IFAN (Institut Fondamental de l’Afrique Noire) (1938-1954 que fonda Théodore Monod) ; son plaidoyer à l’UNESCO en 1960, au seuil des indépendances africaines, qui défendait les traditions orales.  En 1964, l’UNESCO décida d’inclure comme prioritaire, l’aide à la recherche sur les traditions orales. Puis, en 1974, l’Organisation de l’Unité Africaine créa le Centre d’Études Linguistiques et Historiques par Tradition Orale, et (last but not least), son discours à la jeunesse. 

« Le contexte de ce dernier est important, a précisé M. Lahjomri, car il fut prononcé dans les années 1940.  Aujourd’hui encore comme demain, c’est à la jeunesse que nous devrons le plus nous adresser. C’est sur elle que repose le bon usage de l’avenir. « 

S’adressant à Madame Roukiatou Hampâté Bâ, il indiqué que « l’Académie du Royaume est très heureuse de (sa) présence pour convoquer le passé et fortifier les directions qui préparent le futur. Il s’agit de fortifier la jeunesse africaine en nous adossant aux références de poids, aux poutres maîtresses pour utiliser une métaphore architecturale. 

« Hampâté Bâ est une figure de référence, a poursuivi M. Lahjomri, (et) un architecte de la protection des savoirs de l’Ouest africain. Le colloque qui nous réunit nous invite en effet à nous pencher sur les critères précis à partir desquels s’établit une réputation, ainsi que sur les fondements ou raisonnements à partir desquels s’organisent les échelles de la distinction." 

Il a ensuite souligné l’impératif, certes, de « retourner aux œuvres des auteurs, tenir compte de leurs actes, mais aussi compter avec le jugement de l’Histoire. L’échelle du temps efface parfois les uns pour rétablir les autres, recouvre souvent de la poussière de l’oubli certaines gloires que d’autres temps vont dépoussiérer »

Evoquant la thématique du colloque où sera « discuté le processus de catégorisation à travers l’approche de classification des littérateurs africains et afro-descendants, il a précisé que « classifier n’obéit pas au simple exercice de la nomination ou de la reconnaissance. Il suppose un réaménagement des modes d’élévation, une révision de l’architecture des valeurs littéraires africaines et diasporiques sur des données autonomes. C’est cette nouvelle architecture que révèlera probablement ce colloque. Quand l’architecture est pensée, la pensée se fait aussi architecture. »

Introduisant cette séance d’ouverture, Eugène Ebodé, administrateur de la Chaire des littératures et des arts, a fait observer qu’il est question de souligner les apports, l’ancrage africain et le rayonnement de Amadou Hampâté Bâ, un écrivain passeur d’idées et de mondes qui avait de coutume de dire "Mes phrases ne sont pas de moi, mais du continent" et qui a dompté les orages du particularisme pour mieux traverser un siècle furibond.

M. Ebodé s’est dit honoré de participer à cette rencontre qui offre l’opportunité d’interroger la taxinomie littéraire, autrement dit les mécanismes de la renommée et la manière de classer les écrivains et les critiques littéraires, ajoutant que la jeunesse africaine qu’il a désigné sous l’expression "les plumes montantes" est à considérer en inversant la pyramide littéraire à la fondation de laquelle se trouve "les monstres sacrés" suivie des "figures consacrées" et des "personnalités massacrées".

Invitée à s’exprimer sur la portée de cet hommage, Roukiatou Hampâté Bâ, Directrice exécutive de la Fondation Amadou Hampâté Bâ, a fait part de sa fierté de participer à cette louable initiative pour commémorer la mémoire de son père qui aimait à dire "Ce n’est pas moi qui parle de l’Afrique, c’est l’Afrique qui parle à moi".

Rappelant la célèbre phrase prononcée par Amadou Hampâté Bâ à la tribune de l’UNESCO : "En Afrique, chaque fois qu’un vieillard meurt c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle", Roukiatou a indiqué que l’intérêt de cette rencontre réside dans la tentative de comprendre comment optimiser la valorisation et la diffusion des œuvres à partir des échelles de la renommée.

Au cours de ce rendez-vous culturel de deux jours, universitaires, écrivains et chercheurs marocains et africains ont été appelés à explorer des pistes de réponse à la question : Existe-t-il une échelle des valeurs en littérature ou devrait-on considérer la littérature en général et plus particulièrement la réception des œuvres d’esprit comme ne relevant que du domaine de la subjectivité ?

Ils ont également ét amenés à examiner une interrogation majeure concernant la notoriété : "peut-on définir les contours d’un panthéon des littératures africaines et afrodescendantes ? quels en seraient les critères d’admission ?

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